Extrait de l'arrêt n° 99/2019 du 19 juin 2019 Numéro du rôle : 6813 En cause : le recours en annulation partielle de la loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres

Extrait de l'arrêt n° 99/2019 du 19 juin 2019

Numéro du rôle : 6813

En cause : le recours en annulation partielle de la loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres en ce qui concerne la mention d'une modification de l'enregistrement du sexe dans les actes de l'état civil et ses effets, introduit par l'ASBL « Çavaria » et autres.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

  1. Objet du recours et procédure

    Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 janvier 2018 et parvenue au greffe le 10 janvier 2018, un recours en annulation partielle des articles 3 et 11 de la loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres en ce qui concerne la mention d'une modification de l'enregistrement du sexe dans les actes de l'état civil et ses effets (publiée au Moniteur belge du 10 juillet 2017) a été introduit par l'ASBL « Çavaria », l'ASBL « Maison Arc-en-Ciel » et l'ASBL « Genres Pluriels », assistées et représentées par Me J.-M. Mommens, avocat au barreau de Bruxelles.

    (...)

  2. En droit

    (...)

    Quant aux dispositions attaquées

    B.1.1. La loi du 25 juin 2017 réformant des régimes relatifs aux personnes transgenres en ce qui concerne la mention d'une modification de l'enregistrement du sexe dans les actes de l'état civil et ses effets (ci-après : la loi du 25 juin 2017) modifie la loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité (ci-après : la loi du 10 mai 2007). Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a estimé que la loi du 10 mai 2007 devait être adaptée à la lumière des obligations internationales en matière de droits de l'homme :

    Le présent projet de loi tend, à la suite de l'accord de gouvernement fédéral du 9 octobre 2014, à adapter la loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité à la lumière des obligations internationales en matière de droits de l'homme.

    Il vise à remédier aux deux principaux problèmes que pose l'actuelle loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité. Il s'agit, d'une part, de supprimer la condition obligatoire de stérilisation, qui est critiquée sur le plan des droits de l'homme, et, d'autre part, de régler les liens de filiation des personnes transgenres après le changement de l'enregistrement du sexe officiel. En outre, les conditions médicales sont également supprimées dans la procédure de changement de prénom et la possibilité pour toute personne intéressée de s'opposer à un changement [de] l'enregistrement du sexe dans l'acte de naissance est supprimée.

    L'assouplissement de la procédure a nécessité l'instauration d'un certain nombre de garanties contre la fraude et les changements de l'enregistrement du sexe irréfléchis. Enfin, un certain nombre d'éléments et de formulations imprécis de la loi du 10 mai 2007 ont été éliminés

    (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2403/001, p. 4).

    B.1.2. Il ressort des travaux préparatoires que le législateur a suivi la tendance en matière de droits de l'homme et les évolutions à l'étranger :

    Conformément aux principes de Yogyakarta de mars 2007, rédigés par un groupe d'éminents experts en matière de droits de l'homme, personne ne peut être forcé de subir des procédures médicales, y compris la chirurgie de réassignation de sexe, la stérilisation ou la thérapie hormonale, comme condition à la reconnaissance légale de son identité de genre. Ce Parlement a explicitement souscrit à ces principes, tout comme d'autres parlements (notamment le Parlement flamand le 2 avril 2014), dans une résolution adoptée à l'unanimité par le Sénat le 6 décembre 2012.

    Le Conseil de l'Europe a également approuvé, le 22 avril 2015, une résolution dans laquelle les Etats membres du Conseil de l'Europe sont appelés à mettre un terme à la discrimination des personnes transgenres et à abroger la législation qui limite les droits de cette catégorie de personnes. Les Etats membres y sont en outre appelés à fonder leur réglementation relative à l'enregistrement du sexe sur l'autodétermination.

    La Cour européenne des droits de l'homme a estimé, le 10 mars 2015, que la condition de stérilisation pour les personnes transgenres était contraire aux droits de l'homme, après avoir estimé en 2002 que les Etats membres ont l'obligation de reconnaître juridiquement le changement de sexe d'une personne transsexuelle, pour autant que cette personne ait subi une opération de réassignation sexuelle.

    Sur le plan international également, beaucoup de choses ont changé ces dernières années. Dans plusieurs Etats européens, la condition de la stérilisation a été jugée contraire aux droits de l'homme (par exemple, en Suède, en Norvège, en Allemagne et en Autriche). Dans le même temps, une nouvelle législation a vu le jour dans de nombreux pays en vue de dissocier complètement l'adaptation de l'enregistrement du sexe de tout critère médical (par exemple, en Argentine, en Uruguay, au Danemark, en Suède, aux Pays-Bas, en Irlande, à Malte, etc.).

    L'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes a déjà fait faire de nombreuses études à ce sujet. L'étude ' Etre transgenre en Belgique ', réalisée en 2009, a notamment montré que les critères médicaux stricts se traduisent par une exclusion et des pratiques indésirables, que la loi de 2007 crée un traitement inégal sur le plan de la parentalité et que les duplicata sur lesquels on peut retrouver la mention du changement de l'enregistrement du sexe entraînent une violation du droit à la vie privée des personnes concernées. Dans un avis de 2013, l'Institut plaide, notamment sur la base de ces conclusions, en faveur d'une révision des critères en matière de changement de sexe et de changement de prénom dans la loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité, ainsi qu'en faveur d'une meilleure protection des droits des parents transgenres et de leurs enfants.

    Les organisations de transgenres ont elles aussi de plus en plus mis l'accent sur l'identité de genre vécue intimement, que seule la personne concernée est en mesure de juger. La loi doit aussi reconnaître la diversité dans l'identité de genre, de manière à ce que des personnes ne soient pas poussées vers l'un ou l'autre sexe. Dans le même temps, les transgenres doivent pouvoir, à l'instar de toutes les autres personnes, développer une vie de famille normale après l'enregistrement du changement de sexe dans l'acte de naissance. L'exigence de la stérilisation doit certainement disparaître. Enfin, afin de respecter la vie privée des personnes concernées, il faut également éviter les pénibles confrontations au sexe précédemment enregistré visible dans les copies d'actes d'état de l'état civil.

    Le ministre explique que, à la lumière de toutes ces constatations, il est clair qu'il est nécessaire et urgent de modifier la législation en matière de transgenres en Belgique

    (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2403/004, pp. 4-5).

    Se fondant sur ces évolutions, le législateur a choisi l'autodétermination comme principe de base en ce qui concerne la procédure de modification de l'enregistrement du sexe mentionné dans l'acte de naissance, en prévoyant toutefois quelques restrictions :

    Vu la suppression des conditions médicales pour procéder à un changement de l'enregistrement du sexe dans l'acte de naissance, il est nécessaire d'intégrer une série de garanties contre la fraude. Tant la tendance observée sur le plan des droits de l'homme que les évolutions qu'on peut constater à l'étranger dans ce domaine nous amènent à opter dans ce projet pour l'approche de l'autodétermination. Personne ne doit poser un diagnostic médical concernant l'identité de genre de la personne intéressée. Celle-ci décide elle-même comment elle se sent. Toutefois, afin de veiller qu'elle soit suffisamment informée sur toutes les conséquences juridiques, sociales et psychologiques d'un changement de l'enregistrement du sexe, le présent projet opte pour un temps de réflexion (selon le modèle danois) avant de pouvoir changer de sexe. Pendant ce délai de réflexion de trois mois au minimum, la personne intéressée aura le temps de s'informer auprès d'une organisation de transgenres agréée sur toutes les conséquences du changement de l'enregistrement du sexe dans son acte de naissance. Il s'agit uniquement d'une formalité d'information obligatoire, pas d'un diagnostic ni d'un jugement de valeur. Après le délai de réflexion, la personne intéressée doit présenter une attestation d'information à l'officier de l'état civil. La procédure est basée sur l'autodétermination, mais l'information (pendant le délai de réflexion) est obligatoire.

    Outre le délai de réflexion, d'autres garanties sont encore insérées dans le texte afin de veiller à ce que la personne intéressée soit convaincue de son choix de changement de l'enregistrement du sexe, d'une part, et de prévenir la fraude, d'autre part.

    Le procureur du Roi peut rendre un avis préalable sur la contrariété du changement de l'enregistrement du sexe à l'ordre public. L'officier de l'état civil doit refuser si l'avis est négatif. Après l'établissement de l'acte également, le procureur du Roi doit poursuivre la nullité pour ces raisons.

    Autre garantie supplémentaire : la procédure inverse vers le sexe initial par le biais du tribunal de la famille. En effet, le changement de l'enregistrement du sexe dans l'acte de naissance est en principe irrévocable. Toutefois, si dans des circonstances exceptionnelles un deuxième changement de l'enregistrement du sexe est souhaité, il faudra suivre une procédure plus lourde en ayant recours au tribunal

    (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2403/001, pp. 8-9).

    B.1.3. L'article 3 de la loi du 25 juin 2017 remplace l'article 62bis du Code civil. L'article 62bis ainsi...

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