Extrait de l'arrêt n° 102/2023 du 29 juin 2023 Numéro du rôle : 7789 En cause : le recours en annulation totale ou partielle (articles 1er, 4, 6, 7

Extrait de l'arrêt n° 102/2023 du 29 juin 2023

Numéro du rôle : 7789

En cause : le recours en annulation totale ou partielle (articles 1er, 4, 6, 7, 8 et 18) du décret de la Région wallonne du 12 novembre 2021 « modifiant le Livre II du Code de l'Environnement contenant le Code de l'Eau en vue d'instaurer un cadre pour la valorisation des eaux d'exhaure », introduit par l'ASBL « Abbaye Notre-Dame de Saint-Rémy ».

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

  1. Objet du recours et procédure

    Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 15 avril 2022 et parvenue au greffe le 19 avril 2022, l'ASBL « Abbaye Notre-Dame de Saint-Rémy », assistée et représentée par Me L. Depré, Me L.-S. Pan-Van De Meulebroeke et Me L. Coufopandelis, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation totale ou partielle (articles 1er, 4, 6, 7, 8 et 18) du décret de la Région wallonne du 12 novembre 2021 « modifiant le Livre II du Code de l'Environnement contenant le Code de l'Eau en vue d'instaurer un cadre pour la valorisation des eaux d'exhaure » (publié au Moniteur belge du 26 novembre 2021).

    (...)

  2. En droit

    (...)

    Quant au décret attaqué et à son contexte

    B.1. La partie requérante demande l'annulation totale ou partielle du décret de la Région wallonne du 12 novembre 2021 « modifiant le Livre II du Code de l'Environnement contenant le Code de l'Eau en vue d'instaurer un cadre pour la valorisation des eaux d'exhaure » (ci- après : le décret du 12 novembre 2021).

    B.2.1. Le décret du 12 novembre 2021 a tout d'abord pour objet de fixer « un cadre juridique clair pour la valorisation des eaux d'exhaure » (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 684/1, p. 2).

    L'article D.2, 36° bis, du Livre II du Code de l'Environnement constituant le Code de l'Eau (ci-après : le Code de l'eau) définit les « eaux d'exhaure » comme « les eaux évacuées par un moyen technique adéquat afin de permettre l'exploitation à sec d'une carrière ou d'une mine ».

    L'article D.2, 33°, du Code de l'eau définit les « eaux destinées à la consommation humaine » comme « les eaux, soit en l'état, soit après traitement, destinées à la boisson, à la cuisson, à la préparation d'aliments, ou à d'autres usages domestiques, quelle que soit leur origine, et qu'elles soient fournies par un réseau de distribution par canalisations ou à partir d'une prise d'eau privée, d'un camion-citerne ou d'un bateau-citerne, ou fournies en bouteilles ou en conteneurs lorsqu'elles sont destinées à être utilisées à des fins non commerciales ainsi que les eaux fournies aux établissements alimentaires à partir d'un réseau de distribution avant toute manipulation ou tout traitement dans ces établissements ».

    L'article D.2, 37°, du Code de l'eau définit les « eaux potabilisables » comme « toutes eaux souterraines ou de surface qui, naturellement ou après un traitement approprié physico-chimique ou microbiologique, est destinée à être distribuée pour être bue sans danger pour la santé ».

    En vertu de l'arrêté du Gouvernement wallon du 4 juillet 2002 « arrêtant la liste des projets soumis à étude d'incidences, des installations et activités classées ou des installations ou des activités présentant un risque pour le sol » (ci-après : l'arrêté du Gouvernement wallon du 4 juillet 2002), une installation pour la prise d'eau souterraine potabilisable ou destinée à la consommation humaine (rubrique 41.00.02) et une installation pour la prise d'eau souterraine non potabilisable et non destinée à la consommation humaine (rubrique 41.00.03) sont des installations classées distinctement.

    Selon le législateur décrétal, la jurisprudence récente du Conseil d'Etat, semblant remettre en cause la pratique administrative qui s'était développée jusque-là, considère qu'un projet de valorisation des eaux d'exhaure nécessite un permis d'environnement portant non pas sur une prise d'eau souterraine non potabilisable et non destinée à la consommation humaine, mais sur une prise d'eau souterraine potabilisable ou destinée à la consommation humaine. Par le décret du 12 novembre 2021, le législateur décrétal entend clarifier le cadre juridique applicable à la valorisation des eaux d'exhaure. A cet égard, les travaux préparatoires indiquent :

    C'est un fait, l'eau et la pierre constituent deux ressources naturelles importantes dans le sous-sol wallon. Tant les opérateurs du secteur de l'eau que du secteur carrier reconnaissent que ces deux ressources naturelles doivent être à la fois protégées et exploitées de manière parcimonieuse et durable.

    En effet, on constate que :

    - d'une part, certains carriers doivent, dans le cadre de leur exploitation, rabattre la nappe aquifère pour extraire le gisement, cette eau pompée est communément dénommée ` eau d'exhaure '; et

    - d'autre part, des opérateurs du secteur de l'eau exploitent dans la même structure géologique des captages d'eau à des fins de distribution publique.

    De ces constats, l'idée de valoriser l'eau d'exhaure a été développée et mise en place. Partant, le processus de valorisation des eaux d'exhaure a pour objet de récupérer, partiellement, l'eau d'exhaure de la carrière, de la traiter et de l'acheminer vers le réseau public de distribution.

    C'est ainsi que depuis plus de 20 ans, des projets de valorisation des eaux d'exhaure ont été développés et mis en place en étroite collaboration entre les deux secteurs avec le soutien de la Région wallonne et de l'Union européenne. En termes de chiffres, environ 9 millions de m3/an d'eaux d'exhaure (sur un total de 36 millions de m3/an d'eaux d'exhaure captées) sont actuellement mis à disposition et valorisés en eau potable par les opérateurs du secteur de l'eau. A l'avenir, ce chiffre devrait augmenter à +/- 13 millions de m3/an par la mise en oeuvre de nouveaux projets (Source : Société wallonne des eaux).

    Toutefois, on observe qu'il n'existe pas de cadre juridique clairement établi pour la valorisation des eaux d'exhaure. Les seuls éléments dont disposent les acteurs actuellement sont :

    - une Charte de concertation signée le 21 février 2011 entre Aquawal, Fediex et Pierres et Marbres de Wallonie, visant à favoriser la conduite simultanée des activités respectives des producteurs d'eau et de l'industrie extractive, grâce au dialogue permanent et à la concertation;

    - la pratique administrative mise en place pour permettre la valorisation des eaux d'exhaure qui considère les eaux exhaurées comme ` non potabilisables ';

    - des conventions qui se négocient de manière individuelle entre les carriers et les opérateurs du secteur de l'eau réglementant les droits et engagements de chacun dont notamment les participations financières (coûts d'investissements, frais d'exploitation, etc.).

    Par deux arrêts rendus récemment (arrêt n° 210.200 [lire : 241.200] rendus le 3 avril 2018 et n° 244.656 du 28 mai 2019), le Conseil d'Etat semble, de facto, remettre en cause la pratique usuelle qui s'est développée pour valoriser les eaux d'exhaure. En effet, selon le Conseil d'Etat le demandeur de permis, en l'occurrence le carrier, serait, dans le cadre d'un projet de valorisation des eaux d'exhaure, tenu de solliciter un permis portant sur ` une prise d'eau souterraine potabilisable ou destinée à la consommation humaine ' - cf. rubrique 41.00.02 des installations classées - pour exhaurer la carrière.

    A suivre cette jurisprudence, force est de constater que la sécurité juridique des mécanismes mis en place actuellement est compromise alors que l'utilisation de l'eau d'exhaure pour alimenter le réseau public de distribution constitue un processus durable afin d'assurer une gestion parcimonieuse et efficace de la ressource en eau en Région wallonne. L'intérêt est donc réel de pouvoir pérenniser ce mécanisme. Parallèlement, la réglementation actuelle souffre de lacunes en termes de compréhension et de clarté.

    Le présent projet de décret a pour objectif de proposer une intervention ciblée et non une refonte complète du Code de l'Eau permettant de sécuriser, tant pour les projets existants que pour les futurs projets, le processus de valorisation de l'eau d'exhaure. Il s'agit donc de s'inscrire dans la même philosophie et dans la continuité des mécanismes mis en place actuellement pour valoriser l'eau d'exhaure. Le projet de décret n'a pas pour objet de modifier le régime juridique mis en place pour les minéraliers, brasseurs.

    [...]

    Rappelons que si l'eau d'exhaure n'est pas valorisée, aucune modification n'est apportée par le présent projet de décret de sorte que l'exploitant carrier sollicitera, comme c'est déjà le cas actuellement, un permis d'environnement de prise d'eau souterraine non potabilisable et non destinée à la consommation humaine

    (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 684/1, p. 3).

    B.2.2. L'article 1er, 4°, du décret du 12 novembre 2021 insère, à l'article D.2, 36° sexies, du Code de l'eau, la définition suivante de la notion d'« eaux d'exhaure valorisables » : « eaux d'exhaure potabilisables ou destinées à la consommation humaine cédées, directement ou indirectement, à un producteur disposant de la personnalité morale de droit public ».

    Les travaux préparatoires indiquent :

    Sont visées par cette notion les eaux d'exhaure définies à l'article D.2, 36bis, qui sont captées et ensuite cédées, directement ou indirectement, par le carrier à un producteur, disposant de la personnalité morale de droit public (Société wallonne des eaux (SWDE), intercommunales, communes, etc.). C'est l'utilisation finale de l'eau qui doit être prise en compte pour déterminer son statut juridique (eau potabilisable ou non).

    Partant, il en résulte que le carrier qui souhaite céder, en tout ou en partie, de l'eau...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT