Extrait de l'arrêt n|SD 72{/2016 du 25 mai 2016 Numéro du rôle : 6145 En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014 « tendant à lutter contre le sexisme dans

Extrait de l'arrêt n|SD 72{/2016 du 25 mai 2016

Numéro du rôle : 6145

En cause : le recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014 « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination », introduit par le « Parti Libertarien » et autres.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

  1. Objet du recours et procédure

    Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 janvier 2015 et parvenue au greffe le 21 janvier 2015, un recours en annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014 « tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination » (publiée au Moniteur belge du 24 juillet 2014) a été introduit par le « Parti Libertarien », Feyrouze Omrani et Patrick Smets, assistés et représentés par Me R. Fonteyn, avocat au barreau de Bruxelles.

    (...)

  2. En droit

    (...)

    Quant aux dispositions attaquées

    B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation des articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014 tendant à lutter contre le sexisme dans l'espace public et modifiant la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes afin de pénaliser l'acte de discrimination, qui disposent :

    Art. 2. Pour l'application de la présente loi, le sexisme s'entend de tout geste ou comportement qui, dans les circonstances visées à l'article 444 du Code pénal, a manifestement pour objet d'exprimer un mépris à l'égard d'une personne, en raison de son appartenance sexuelle, ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle et qui entraîne une atteinte grave à sa dignité.

    Art. 3. Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cinquante euros à mille euros, ou de l'une de ces peines seulement, quiconque, adopte un comportement visé à l'article 2

    .

    B.1.2. La loi attaquée a « pour objectif de renforcer l'arsenal juridique existant en développant les instruments de lutte contre les phénomènes sexistes » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/001, p. 3).

    L'exposé des motifs indique :

    Force est en effet de constater que les problèmes sexistes ne sont pas encore reconnus comme un phénomène général à part entière, que la garde a baissé, que l' ' inconscient collectif ' admet encore aujourd'hui la pérennisation des stéréotypes hommes femmes.

    Le sexisme n'est pas l'apanage des quartiers défavorisés ou d'une communauté particulière, mais est omniprésent. Les témoignages de résignation face à un phénomène trop répandu sont trop nombreux, et on ne peut admettre dans un Etat de droit démocratique, que la simple appartenance à un sexe soit génératrice de comportements attentatoires à la dignité humaine de la personne.

    Certes, une prise de conscience s'opère progressivement et aujourd'hui le droit européen et [le droit] belge luttent contre les discriminations entre les hommes et les femmes dans certains secteurs précis. Pourtant, aujourd'hui encore la liberté d'aller et de venir peut être entravée par des comportements sexistes, de même que le droit au respect à la dignité humaine, alors même que le Constituant proclame, en son article 11bis ' la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent aux femmes et aux hommes l'égal exercice de leurs droits et libertés '

    (ibid.).

    Les auteurs de ce projet entendent [...] affirmer le droit à la dignité humaine de chaque personne, en tant que relevant d'un genre

    (ibid., p. 4).

    En commission de la Chambre, la ministre de l'Egalité des chances a indiqué :

    Le présent projet trouve son fondement dans l'article 11bis de la Constitution, qui proclame que le législateur se doit de garantir l'égalité des sexes dans l'exercice des droits et libertés

    (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3297/003, p. 3).

    Quant à la recevabilité du recours

    B.2.1. La première partie requérante est le « Parti Libertarien ». Le Conseil des ministres considère que cette partie ne dispose pas de la capacité à agir en annulation devant la Cour, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une association de fait.

    B.2.2. Aux termes de l'article 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la partie requérante devant la Cour doit être une personne physique ou morale justifiant d'un intérêt. Les partis politiques qui sont des associations de fait n'ont pas, en principe, la capacité requise pour introduire un recours devant la Cour.

    Il n'en va autrement que lorsqu'ils agissent dans des matières pour lesquelles ils sont légalement reconnus comme formant des entités distinctes et que, alors que leur intervention est légalement reconnue, certains aspects de celle-ci sont en cause.

    B.2.3. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Le recours est irrecevable en ce qu'il est introduit par le « Parti Libertarien ».

    B.3.1. Les deuxième et troisième parties requérantes sont des personnes physiques qui exposent qu'elles sont, comme tout citoyen, susceptibles d'être poursuivies sur la base des dispositions attaquées.

    B.3.2. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt à agir de ces parties requérantes. Il estime que leur intérêt ne se distingue pas de l'intérêt qu'a toute personne au respect de la Constitution, de sorte que le recours s'apparenterait à une action populaire.

    B.3.3. L'article 142 de la Constitution et l'article 2, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle requièrent que toute personne physique qui introduit un recours en annulation justifie d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée. Il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.

    Des dispositions qui prévoient une peine privative de liberté touchent à un aspect à ce point essentiel de la liberté du citoyen qu'elles n'intéressent pas que les seules personnes qui font ou ont fait l'objet d'une procédure répressive.

    B.3.4. Le recours est recevable dans le chef des deuxième et troisième parties requérantes.

    Quant au fond

    En ce qui concerne le principe de légalité en matière pénale (premier moyen)

    B.4.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par les articles 2 et 3 de la loi du 22 mai 2014, des articles 10, 11, 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les principes généraux de légalité, de sécurité juridique et d'exigence de prévisibilité de la loi pénale. Elles font grief au législateur de n'avoir pas défini l'infraction, à l'article 2 attaqué, en des termes suffisamment précis et clairs.

    Le principe de légalité en matière pénale est exprimé, non pas à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, mais bien à l'article 7 de cette Convention.

    B.4.2. L'article 12, alinéa 2, de la Constitution, dispose :

    Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.

    L'article 7.1 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose :

    Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

    B.5.1. Le principe de légalité en matière pénale procède de l'idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d'une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d'autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d'appréciation.

    Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n'empêche pas que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s'appliquent et de l'évolution des comportements qu'elles répriment.

    B.5.2. La condition qu'une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.

    Ce n'est qu'en examinant une disposition pénale spécifique qu'il est possible, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu'elle entend réprimer, de déterminer si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu'ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.

    B.6. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé au sujet de l'article 7 de la Convention :

    Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale...

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