Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-05-20
Jurisdiction | Bélgica |
Judgment Date | 20 mai 2021 |
ECLI | ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210520.9 |
Docket Number | 74/2021 |
Link to Original Source | https://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210520.9 |
Court | Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage) |
Numéro du rôle : 7359
Arrêt n° 74/2021
du 20 mai 2021
ARRÊT
_________
En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 2 de la loi du 2 septembre 2018
« modifiant la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, en ce qui
concerne la confiscation et l'immobilisation des véhicules », posées par le Tribunal
correctionnel du Hainaut, division Tournai.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman,
T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache,
T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président
F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 22 novembre 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le
7 février 2020, le Tribunal correctionnel du Hainaut, division Tournai, a posé les questions
préjudicielles suivantes :
« 1. L'article 2 de la loi du 2 septembre 2018 publiée le 12 octobre 2018 modifiant la loi
du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, à supposer que cet article n'ait
pas la nature d'une loi interprétative, en ce qu'il recevrait une application aux faits antérieurs à
sa publication du 12 octobre 2018, soit dès la date d'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2018,
ne viole-t-il pas les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, 6 et 7 de la Convention européenne
des droits de l'Homme et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en
créant une discrimination entre les prévenus qui ont été jugés avant la publication le 12 octobre
2018 de cette loi du 2 septembre 2018 et ceux jugés après sa publication, pour des faits
antérieurs à sa publication et qui, exclusivement en fonction de la date du jugement prononcé
sur ces faits n'ont pas vu, pour les premiers, ou au contraire, pour les seconds, verront remplies
les conditions de la récidive de l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 telles que cet article 2
de la loi du 2 septembre 2018 les modifie ?
2. L'article 2 de la loi du 2 septembre 2018 publiée le 12 octobre 2018 modifiant la loi du
6 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, à supposer que cet article n'ait pas la
nature d'une loi interprétative, en ce qu'il recevrait une application aux faits antérieurs à sa
publication le 12 octobre 2018, soit dès la date d'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 2018, ne
viole-t-il pas les articles 12, al. 2, et 14 de la Constitution, 7 de la Convention européenne des
droits de l'Homme, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dès lors que
des prévenus se verraient appliquer des sanctions dans des hypothèses non prévues par la loi au
moment de la commission des faits ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- B.D., assisté et représenté par Me N. Divry, avocat au barreau de Tournai;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz, avocat au barreau
de Bruxelles.
Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 3 mars 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
P. Nihoul et T. Merckx-Van Goey, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne
serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception
de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande,
les débats seraient clos le 17 mars 2021 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le
17 mars 2021.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives
à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
B.D. a été condamné, par un jugement du 6 septembre 2018 du Tribunal de police du Hainaut, division
Tournai, pour avoir commis, le 4 février 2017, plusieurs infractions définies par la loi du 16 mars 1968 « relative
à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968) et par un arrêté d'exécution de celle-ci.
Le Tribunal de police a, en vertu de l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968, prononcé la déchéance du
permis de B.D. pour six mois parce qu'il a commis l'infraction dans les trois ans à compter du prononcé du
jugement coulé en force de chose jugée du 4 octobre 2016 par lequel le même Tribunal l'avait condamné pour
l'une des infractions visées par cette disposition.
Le 3 octobre 2018, B.D. a interjeté appel de ce jugement.
Le Tribunal de première instance du Hainaut, division Tournai, retrace l'évolution législative de l'article 38,
§ 6, de la loi du 16 mars 1968.
Au moment de la commission des faits, l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 disposait qu'il y avait
récidive si, dans la période de trois ans à compter du jour du prononcé d'un précédent jugement de condamnation
coulé en force de chose jugée, le prévenu avait commis à nouveau l'une des infractions visées par cette disposition.
Le juge a quo constate que la loi du 6 mars 2018 « relative à l'amélioration de la sécurité routière » (ci-après :
la loi du 6 mars 2018) a remplacé cette disposition et qu'il résulte du libellé de celle-ci que l'appréciation de la
récidive doit tenir compte de la date d'une seconde condamnation pour des infractions de même nature et non de
la date de la commission de nouveaux faits. Cette version de l'article 38, § 6, était applicable au moment du
prononcé du jugement du Tribunal de police.
Le juge a quo observe que la loi du 2 septembre 2018 « modifiant la loi du 16 mars 1968 relative à la police
de la circulation routière, en ce qui concerne la confiscation et l'immobilisation des véhicules » (ci-après : la loi
du 2 septembre 2018) a une nouvelle fois remplacé l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 en prévoyant
désormais que la date d'expiration du délai de récidive est celle de la commission de nouveaux faits (et non plus
celle d'une seconde condamnation), revenant ainsi à la situation antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 6 mars
2018.
Il rappelle que la Cour de cassation a jugé que, par la loi du 6 mars 2018, le législateur n'avait pas eu
l'intention de soumettre la répression de l'infraction commise en état de récidive à la condition que le jugement de
condamnation du chef de cette infraction intervienne dans les trois ans de la décision initiale fondant la récidive.
La Cour de cassation a estimé que l'insertion de cette condition par la loi du 6 mars 2018 procédait d'une erreur
de formulation que la loi du 2 septembre 2018 avait rectifiée.
Il relève toutefois que la Cour de cassation n'a pas pour autant estimé que la loi du 2 septembre 2018 était
une loi interprétative.
Il en déduit que la portée de l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 a varié au cours du temps. Il estime
que les conditions d'application de l'état de récidive fixées par cette disposition sont plus faciles à réunir pour la
partie poursuivante en application de la loi du 2 septembre 2018 qu'en application de la loi du 6 mars 2018, de
sorte que la loi la plus récente est plus sévère pour le prévenu.
Il pose, en conséquence, les deux questions préjudicielles reproduites ci-dessus.
III. En droit
-A-
A.1.1. Le Conseil des ministres indique qu'à la suite de la modification de l'article 38, § 6, de la loi du
16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968), introduite par la
loi du 6 mars 2018 « relative à l'amélioration de la sécurité routière » (ci-après : la loi du 6 mars 2018), il ne
suffisait plus, pour être en état de récidive, d'une condamnation suivie d'une infraction dans un délai de trois ans,
comme c'était le cas dans la première version de cette disposition, mais il fallait que la première condamnation
soit suivie par une seconde condamnation prononcée dans le délai de trois ans. Il constate que la deuxième version
de l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968 rendait la récidive plus difficile à établir, étant donné le temps qui
pouvait s'écouler entre l'infraction et la condamnation.
Selon le Conseil des ministres, la modification introduite par l'article 2 de la loi du 2 septembre 2018
« modifiant la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, en ce qui concerne la confiscation
et l'immobilisation des véhicules » (ci-après : la loi du 2 septembre 2018), qui donne lieu à la troisième version de
l'article 38, § 6, de la loi du 16 mars 1968, rétablit le système d'origine.
Il fait valoir que l'arrêt de la Cour de cassation du 3 avril 2019 (P.18.1224.F) et les travaux préparatoires de
la loi du 6 mars 2018 et de la loi du 2 septembre 2018 indiquent toutefois que l'intention du législateur au moment
de la modification introduite par la loi du 6 mars 2018 n'était pas de subordonner la récidive à une seconde
condamnation et que cette formulation était une erreur corrigée par la loi du 2 septembre 2018. Il ajoute cependant
qu'une partie de la jurisprudence, notamment l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 88/2019 du 28 mai 2019,
estime que la loi du 6 mars 2018 remplace la condition d'une nouvelle infraction commise par la condition d'une
nouvelle condamnation.
A.1.2. À titre principal, le Conseil des ministres soutient que les deux questions préjudicielles n'appellent
pas de réponse.
A.1.3. Quant à la première question préjudicielle, le Conseil des ministres estime qu'il n'y a pas de différence
de traitement entre les personnes qui ont commis des infractions et ont été jugées avant l'entrée en vigueur de la
loi du 2 septembre 2018 et les personnes qui ont commis des infractions avant cette date, mais ont été jugées après
celles-ci. À cet égard, le Conseil des ministres fait valoir que, dès lors que la loi du 2 septembre 2018 est...
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