Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-04-22
Jurisdiction | Bélgica |
Judgment Date | 22 avril 2021 |
ECLI | ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210422.5 |
Docket Number | 58/2021 |
Link to Original Source | https://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210422.5 |
Court | Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage) |
Numéro du rôle : 7166
Arrêt n° 58/2021
du 22 avril 2021
ARRÊT
________
En cause : la question préjudicielle relative à l'article 60 de la loi du 12 janvier 2007 « sur
l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers », tel qu'il a été
modifié par l'article 71 de la loi du 21 novembre 2017, posée par le Tribunal du travail du
Brabant wallon, division de Wavre.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman,
T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache,
T. Detienne et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président
F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 12 avril 2019, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le
25 avril 2019, le Tribunal du travail du Brabant wallon, division de Wavre, a posé la question
préjudicielle suivante :
« L'article 60 de la loi du 12 janvier 2017 [lire : 2007] sur l'accueil des demandeurs d'asile
et de certaines autres catégories d'étrangers, tel que modifié par l'article 71 de la loi du
21/11/2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour,
l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des
demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers, viole-t-il les articles 10, 11, 22
et 23 de la Constitution lu isolément ou en combinaison avec les articles 2.2, 3.2, 9, 22, 23 et
24 de la Convention internationale des droits de l'enfant, en ce qu'il limite l'octroi de l'aide
matérielle, aux personnes vulnérables que sont les mineurs séjournant avec leurs parents
illégalement sur le territoire, uniquement au sein d'une structure d'accueil communautaire,
alors que les autres bénéficiaires de la loi dont la vulnérabilité est reconnue au sens de
l'article 36, peuvent bénéficier d'un accueil au sein d'une structure individuelle, traitant de la
sorte d'une façon différente des catégories de personnes, qui, in fine, sont considérées par
l'article 2, 2° de la loi comme étant des bénéficiaires de l'accueil et qui se trouvent dès lors
dans une situation essentiellement similaire ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- H.M., S.M. et A.H., assistés et représentés par Me E. Magnette, avocat au barreau de
Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me A. Detheux, avocat au barreau de
Bruxelles.
Par ordonnance du 3 mars 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait
tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de
la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les
débats seraient clos le 17 mars 2021 et l'affaire mise en délibéré.
Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le
17 mars 2021.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives
à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les parties demanderesses devant la juridiction a quo, qui sont de nationalité arménienne, forment une famille
composée des deux parents, d'un fils majeur gravement handicapé et de deux fils mineurs.
Le 16 juillet 2015, elles introduisent une demande d'asile en Belgique. À partir de cette date, elles sont
hébergées au sein d'une initiative locale d'accueil située à Jumet, que l'Agence fédérale pour l'accueil des
demandeurs d'asile (ci-après : Fedasil) leur a désignée comme lieu obligatoire d'inscription. Leur demande d'asile
est définitivement rejetée par un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 23 mai 2017 et elles reçoivent
l'ordre de quitter le territoire pour le 30 juin 2017. Depuis ce jour, elles séjournent illégalement sur le territoire.
Le 6 juin 2017, Fedasil désigne aux parties demanderesses devant la juridiction a quo une place de retour au
sein du centre communautaire de Jodoigne. Ces dernières contestent cette décision en saisissant, par requête
unilatérale, le président du Tribunal du travail du Hainaut, lequel ordonne qu'elles restent hébergées au sein de
l'initiative locale d'accueil.
Le 5 juillet 2017, à la suite de l'expiration de l'ordre de quitter le territoire, Fedasil décide de mettre fin à
l'aide matérielle et invite les parties demanderesses devant la juridiction a quo à quitter l'initiative locale d'accueil.
Par ordonnance du 11 juillet 2017, rendue sur requête unilatérale et dont les effets sont limités à une période de
douze mois, le président du Tribunal du travail du Hainaut condamne Fedasil à prolonger l'octroi de l'aide
matérielle au sein de l'initiative locale d'accueil.
Le 19 juillet 2018, Fedasil indique aux parties demanderesses devant la juridiction a quo qu'elles doivent
quitter l'initiative locale d'accueil, mais qu'en raison de la présence de mineurs, elles peuvent bénéficier de l'aide
matérielle au sein d'une structure d'accueil communautaire. Le 27 juillet 2018, Fedasil leur désigne une place de
retour au sein du centre communautaire de Jodoigne. Le 13 août 2018, après avoir rejoint ce centre, les parties
demanderesses devant la juridiction a quo demandent à être hébergées au sein d'une initiative locale d'accueil, en
raison des problèmes de santé du fils majeur gravement handicapé. Par décision du 17 septembre 2018, Fedasil
rejette cette demande. Les parties demanderesses devant la juridiction a quo contestent cette décision en saisissant,
par requête unilatérale, le président du Tribunal du travail du Brabant wallon, lequel rejette la demande, au motif
que l'extrême urgence et l'absolue nécessité ne sont pas démontrées.
Par ailleurs, par décision du 27 novembre 2018, le CPAS de Jodoigne refuse d'accorder une aide sociale
financière aux parties demanderesses devant la juridiction a quo, dès lors qu'une aide matérielle leur est déjà
octroyée par Fedasil au sein d'un centre d'accueil.
Par requêtes du 8 octobre 2018 et du 4 janvier 2019, les parties demanderesses devant la juridiction a quo
saisissent cette dernière d'une action dirigée contre Fedasil et d'une action dirigée contre le CPAS de Jodoigne et
Fedasil. Ces deux actions sont jointes par la juridiction a quo. À titre principal, les parties demanderesses devant
la juridiction a quo sollicitent l'annulation des deux décisions précitées de Fedasil du 27 juillet 2018 et du
17 septembre 2018, ainsi que la condamnation de Fedasil à leur offrir un hébergement au sein d'une structure
d'accueil individuelle. En examinant cette demande, la juridiction a quo constate que l'article 60 de la loi du
12 janvier 2007 « sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers » (ci-après : la
loi du 12 janvier 2007), tel qu'il a été modifié par l'article 71 de la loi du 21 novembre 2017 « modifiant la loi du
15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et la loi du
12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers » (ci-après : la
loi du 21 novembre 2017), prévoit que l'aide matérielle pour les enfants mineurs séjournant avec leurs parents
illégalement sur le territoire est octroyée au sein d'une structure d'accueil communautaire. La juridiction a quo
relève que les travaux préparatoires de la loi du 21 novembre 2017 font apparaître que la modification de
l'article 60 de la loi du 12 janvier 2007 avait pour objet de résoudre la controverse jurisprudentielle relative à la
question de la légalité d'un hébergement dans un centre géré par un partenaire de Fedasil, mais qu'ils ne permettent
pas, en revanche, de comprendre pour quelle raison la structure d'accueil en cause doit nécessairement être
communautaire. La juridiction a quo considère ensuite que les modalités relatives à l'octroi de l'aide matérielle en
question sont de stricte interprétation. Se référant à l'arrêt du Conseil d'État n° 230.947 du 23 avril 2015, la
juridiction a quo observe que les mineurs séjournant avec leurs parents illégalement sur le territoire doivent être
considérés comme des bénéficiaires de l'accueil au sens de l'article 2, 2°, de la loi du 12 janvier 2007. Elle ajoute
qu'il ressort des articles 11, § 3, alinéa 3, et 12, § 2, de la même loi que Fedasil doit accorder une attention
particulière aux personnes vulnérables lors de la désignation d'un lieu obligatoire d'inscription et peut modifier le
lieu obligatoire d'inscription vers un lieu plus adapté. Enfin, la juridiction a quo constate que l'article 60 de la loi
du 12 janvier 2007, tel qu'il a été modifié par l'article 71 de la loi du 21 novembre 2017, fait naître une différence
de traitement entre deux catégories de bénéficiaires de l'accueil : alors que les demandeurs d'asile peuvent
bénéficier de l'aide matérielle dans une structure d'accueil communautaire ou individuelle, les mineurs séjournant
avec leurs parents illégalement sur le territoire et bénéficiant de l'aide matérielle ne peuvent, quant à eux, recevoir
celle-ci qu'au sein d'une structure d'accueil communautaire.
La juridiction a quo pose donc la question préjudicielle reproduite plus haut. En outre, après avoir relevé
l'existence d'un certificat médical établissant que l'état de santé du fils majeur gravement handicapé justifie un
hébergement au sein d'une structure d'accueil individuelle, la juridiction a quo juge que la demande des parties
demanderesses devant elle est fondée sur une apparence de droit sérieuse et, sur la base de l'article 19 du Code
judiciaire, elle condamne Fedasil, au provisoire et avant dire droit, à prolonger l'aide matérielle au sein d'une
structure d'accueil...
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