Décision judiciaire de Conseil d'État, 23 avril 2015

Date de Résolution23 avril 2015
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R ÊT

nº 230.947 du 23 avril 2015

A. 209.601/XI-19.772

En cause : 1. l’A.S.B.L. Coordination et initiative pour et avec les réfugiés et les étrangers (en abrégé CIRE), ayant élu domicile rue du Vivier 80/82 1050 Bruxelles, 2. l’A.S.B.L. Association pour le droit des étrangers (en abrégé ADDE), ayant élu domicile rue du Boulet 22 1000 Bruxelles, 3. l’A.S.B.L. Bureau d'accueil et de défense des jeunes (en abrégé B.A.D.J.), ayant élu domicile rue du Marché aux Poulets 30 1000 Bruxelles, 4. l’A.S.B.L. Vluchtelingenwerk Vlaanderen, ayant élu domicile rue du Botanique 75 1210 Bruxelles, 5. l’A.S.B.L. Ligue des droits de l'homme,

ayant élu domicile chez Me G. LADRIERE, avocat, avenue Winston Churchill 253 1180 Bruxelles,

contre :

1. l'Etat belge, représenté par le Secrétaire d'Etat à l'Asile et la Migration, 2. l'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile (FEDASIL), ayant élu domicile chez Me A. DETHEUX, avocat, rue du Mail 13 1050 Bruxelles.

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LE CONSEIL D’ÉTAT, XI e CHAMBRE,

XI - 19.772 - 1/25

Vu la requête introduite le 26 juillet 2013 par l’A.S.B.L. Coordination et initiatives pour et avec les réfugiés et les étrangers, l’A.S.B.L. Association pour le droit des étrangers, l’A.S.B.L. Bureau d’accueil et de défense des jeunes, l’A.S.B.L. Vluchtelingenwerk Vlaanderen, et l’A.S.B.L. Ligue des droits de l’homme qui demandent l’annulation de :

1. Les règles contenues dans la note de l’Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d’asile, communiquée par courriel du 30 mai 2013, intitulée "Information sur l’aide matérielle et le trajet de retour des familles avec mineurs accueillis en vertu de l’AR du 24 juin 2004";

2. La décision prise par Madame la Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté ou par tout organe de l’Office des Étrangers d’approuver une convention signée avec l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile qui contiendrait des règles modificatives de l’arrêté royal du 24 juin 2004 visant à fixer les conditions et modalités pour l’octroi d’une aide matérielle à un étranger mineur qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume (convention apparemment signée le 29 mars 2013);

3. La décision prise par Madame la Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté, en sa qualité de membre du Gouvernement responsable pour l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile ou par tout autre organe de cette Agence d’approuver une convention signée avec l’Office des Étrangers qui contiendrait des règles modificatives de l’arrêté royal du 24 juin 2004 visant à fixer les conditions et modalités pour l’octroi d’une aide matérielle à un étranger mineur qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume (convention apparemment signée le 29 mars 2013);

4. Pour autant que de besoin, la décision conjointe de l’Office des Étrangers et de l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, ou de leurs Ministres ou Secrétaires d’État responsable[s], d’adopter des règles modifiant l’arrêté royal du 24 juin 2004 visant à fixer les conditions et modalités pour l’octroi d’une aide matérielle à un étranger mineur qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume

;

Vu le dossier administratif;

Vu les mémoires en réponse et en réplique;

Vu le rapport, déposé le 25 septembre 2014, notifié aux parties, de M. B. CUVELIER, premier auditeur au Conseil d’État, rédigé sur la base de l’article 12 du règlement général de procédure;

XI - 19.772 - 2/25

Vu les derniers mémoires;

Vu l’ordonnance du 14 janvier 2015 notifiées aux parties, convoquant celles-ci à comparaître le 12 février 2015;

Entendu, en son rapport, Mme C. DEBROUX, conseiller d’État;

Entendu, en leurs observations, Me P.-Fr. HENRARD, loco Me G. LADRIERE, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me N. de TERWANGNE, loco Me A. DETHEUX, avocat, comparaissant pour les parties adverses;

Entendu, en son avis partiellement conforme, M. B. CUVELIER, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

I. LES FAITS ET LE CONTEXTE LÉGAL

Considérant que les faits et le contexte légal utiles à l’examen de la cause sont les suivants :

  1. Actuellement, l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale dispose notamment ce qui suit :

    § 2. Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d’action sociale se limite à :

    1° l’octroi de l’aide médicale urgente, à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume;

    2° constater l’état de besoin suite au fait que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, à l’égard d’un étranger de moins de 18 ans qui séjourne, avec ses parents, illégalement dans le Royaume.

    Dans le cas visé sous 2°, l’aide sociale est limitée à l’aide matérielle indispensable pour le développement de l’enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d’accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi. La présence dans le centre d’accueil des parents ou personnes qui exercent effectivement l’autorité parentale est garantie.

    [...]

    .

  2. Par les modifications législatives portées à cet article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 par les articles 483 de la loi-programme de 22 décembre 2003 et 22 de la loi du 27 décembre 2005 portant des dispositions diverses, le législateur a voulu tenir

    XI - 19.772 - 3/25

    compte des objections d’inconstitutionnalité émises par la Cour d’arbitrage, désormais Cour constitutionnelle, dans ses arrêts nos 106/2003 du 22 juillet 2003 et 131/2005 du 19 juillet 2005. Ces objections d’inconstitutionnalité ont été formulées de la manière suivante :

    1) dans l’arrêt n° 106/2003 du 22 juillet 2003 :

    [...]

    B.7.4. Ainsi que le constate le juge a quo, ces parents n’ont pas droit, pour eux-mêmes, à l’aide sociale autre que l’aide médicale urgente. Ils ne pourraient davantage l’obtenir indirectement en invoquant l’état de besoin de leurs enfants. Il ne serait en effet pas raisonnable de traiter différemment les étrangers qui ne se sont pas comportés conformément à la réglementation de séjour existante parce qu’ils n’ont pas donné suite à un ordre de quitter le territoire ou n’ont pas obtenu un permis de séjour, selon qu’ils sont ou non accompagnés de leurs enfants mineurs.

    Même si elle est accordée en n’ayant égard qu’à l’état de besoin de l’enfant, une telle aide irait à l’encontre de l’objectif du législateur qui est, ainsi qu’il est exposé notamment dans l’arrêt n° 51/94, d’inciter l’étranger qui séjourne illégalement sur le territoire à obéir à l’ordre qu’il a reçu de le quitter.

    B.7.5. Le souci de ne pas permettre que l’aide sociale soit détournée de son objet ne pourrait toutefois justifier qu’elle soit totalement et dans tous les cas refusée à un enfant alors qu’il apparaîtrait que ce refus l’oblige à vivre dans des conditions qui nuiraient à sa santé et à son développement et alors qu’il n’existerait aucun risque de voir bénéficier de cette aide des parents qui n’y ont pas droit. L’article 2.2 de la Convention oblige en effet les États parties à prendre "toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique […] de ses parents".

    B.7.6. Il importe donc de concilier les objectifs énumérés aux articles 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention, qui concernent exclusivement les enfants, avec l’objectif de ne pas inciter des adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire.

    B.7.7. Une aide sociale doit pouvoir être accordée à la triple condition que les autorités compétentes aient constaté que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, qu’il soit établi que la demande concerne des dépenses indispensables au développement de l’enfant au bénéfice duquel elle est formulée et que le centre s’assure que l’aide sera exclusivement consacrée à couvrir ces dépenses.

    Il appartient donc au centre - sous réserve d’une intervention du législateur qui adopterait d’autres modalités appropriées - d’accorder une telle aide mais à la condition qu’elle le soit dans la limite des besoins propres à l’enfant, et sous la forme d’une aide en nature ou d’une prise en charge de dépenses au profit de tiers qui fournissent une telle aide afin d’exclure tout détournement éventuel au profit des parents, étant entendu que cette aide ne fait pas obstacle à ce que la mesure d’éloignement des parents et de leurs enfants soit exécutée.

    XI - 19.772 - 4/25

    B.7.8. A la condition que l’aide envisagée satisfasse aux conditions exprimées en B.7.7, elle ne pourrait être refusée sans méconnaître les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 2, 3, 24.1, 26 et 27 de la Convention des droits de l’enfant. Dans ces limites, la question préjudicielle appelle une réponse positive.

    [...]

    ;

    2) dans l’arrêt n° 131/2005 du 19 juillet 2005 :

    [...]

    B.3.2. La lecture des travaux préparatoires de la loi révèle qu’en adoptant la mesure critiquée, le législateur entendait tirer les conséquences de l’arrêt n° 106/2003, prononcé par la Cour le 22 juillet 2003, en octroyant une aide sociale aux mineurs illégaux dont les parents ne sont pas en mesure d’assurer l’entretien, tout en évitant que l’aide ainsi octroyée ne soit détournée de son objet initial (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0473/001 et DOC 51-0474/001, pp. 223-224, et DOC 51-0473/029).

    Pour les motifs exposés dans l’arrêt n° 106/2003, les parents n’ont en principe pas droit, pour eux-mêmes, à l’aide sociale autre que l’aide médicale urgente. Une telle aide irait à...

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