Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-12-16

JurisdictionBélgica
Judgment Date16 décembre 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.185
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.185
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)
Docket Number185/2021

Numéro du rôle : 7508

Arrêt n° 185/2021

du 16 décembre 2021

En cause : la question préjudicielle concernant l'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996, posée par le Tribunal de première instance d'Anvers, division Malines.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 19 octobre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 janvier 2021, le Tribunal de première instance d'Anvers, division Malines, a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 35 du décret de la Région flamande du 22 octobre 1996 relatif à l'aménagement du territoire viole-t-il l'article 16 de la Constitution et l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, lus en combinaison avec le principe d'égalité et de non-discrimination consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le mode de calcul forfaitaire ne tient pas compte du cas mentionné dans le considérant B.12.3 de l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 66/2018 du 7 juin 2018, à savoir le cas dans lequel les propriétaires ont payé, pour les parcelles concernées, des droits de succession qui ne sont pas pris en compte dans l'indemnité relative aux dommages résultant de la planification spatiale, dès lors que la limitation considérable de l'indemnité n'en tient pas compte ? ».

Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :

- Gisela Slachmuylders, Jozef Slachmuylders et Carina Slachmuylders, assistés et représentés par Me P. Flamey, avocat au barreau d'Anvers;

- la ville de Malines, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, assistée et représentée par Me F. Sebreghts et Me O. Verhulst, avocats au barreau d'Anvers;

- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me T. Moonen, avocats au barreau de Bruxelles.

Par ordonnance du 22 septembre 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J. Moerman et J.-P. Moerman, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 6 octobre 2021 et l'affaire mise en délibéré.

À la suite de la demande d'une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 6 octobre 2021, a fixé l'audience au 10 novembre 2021.

À l'audience publique du 10 novembre 2021 :

- ont comparu :

. Me G. Declercq, avocat au barreau d'Anvers, loco Me P. Flamey, pour Gisela Slachmuylders, Jozef Slachmuylders et Carina Slachmuylders;

. Me O. Verhulst, qui comparaissait également loco Me F. Sebreghts, pour la ville de Malines;

. Me K. Caluwaert, avocat au barreau de Bruxelles, loco Me B. Martel, pour le Gouvernement flamand;

- les juges-rapporteurs J. Moerman et J.-P. Moerman ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

Le litige entre les parties devant le juge a quo concerne une action en indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale à laquelle les parties demanderesses devant le juge a quo estiment avoir droit, en raison de la moins-value subie par leur parcelle d'une superficie de 9 813 m2 après qu'un plan particulier d'aménagement a modifié en grande partie la destination de la zone d'habitat en une zone de vallée. Il ressort du rapport déposé devant le juge a quo par l'expert désigné que la fluctuation de valeur de la parcelle concernée varie selon qu'elle est calculée conformément à l'article 35 du décret de la Région flamande relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996 (ci-après : le décret coordonné), ou à l'aide d'une liste de points de comparaison.

Par jugement du 26 septembre 2016, le juge a quo a posé une question préjudicielle à la Cour concernant la compatibilité de l'article 35 du décret coordonné avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour a répondu à cette question par son arrêt n° 66/2018 du 7 juin 2018.

Le juge a quo constate que la Cour a jugé, par cet arrêt, que l'article 35 du décret coordonné ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant, il constate également que la Cour a jugé, dans le considérant B.12.3 de cet arrêt, qu'il n'est pas exclu que le mode de calcul décrétal porte dans certains cas atteinte aux droits des propriétaires concernés, et que tel peut entre autres être le cas lorsque l'autorité a déjà délivré un permis et ainsi suscité une attente légitime que la parcelle concernée pouvait être bâtie ou lotie, lorsque la nouvelle destination des parcelles ne permet plus aucun aménagement et les rend quasi invendables ou lorsque les propriétaires ont payé, pour les parcelles concernées, des droits de succession qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'indemnité relative aux dommages résultant de la planification spatiale. Selon le juge a quo, l'arrêt de la Cour ne permet pas de déduire si l'article 35 du décret coordonné comporte ou non une lacune que le juge peut combler en accordant une indemnisation fondée sur le principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ou sur la doctrine de la quasi-expropriation.

Le juge a quo considère qu'aucun permis de bâtir ou de développement n'avait été accordé aux parties demanderesses avant l'entrée en vigueur du plan particulier d'aménagement et que la possibilité de bâtir et de développer la parcelle concernée n'est pas totalement exclue depuis la nouvelle destination. Il constate que les parties demanderesses ont acquis la parcelle concernée par héritage et qu'elles ont payé des droits de succession qui ont été calculés sur la base de la valeur actuelle de la parcelle au moment du décès du défunt. Il considère dès lors qu'il est indiqué de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit

-A-

A.1.1. Jozef, Gisela et Carina Slachmuylders, parties demanderesses devant le juge a quo sont d'avis que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative, parce que le mode de calcul de l'indemnité relative aux dommages résultant de la planification spatiale prévu par la disposition en cause n'aboutit pas toujours à fixer correctement la valeur du bien immobilier concerné. Elles soulignent que le prix payé pour un bien immobilier ne reflète pas nécessairement la valeur réelle de ce bien et ajoutent que les propriétaires de tels biens immobiliers nourrissent l'attente légitime qu'en cas de réalisation de leur propriété, ils pourront engranger une certaine plus-

value. Elles déduisent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que de telles attentes légitimes sont protégées par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

A.1.2. Les parties demanderesses devant le juge a quo estiment que toute indemnisation pour des dommages résultant de la planification spatiale doit être proportionnée à la perte patrimoniale effective des personnes concernées. Elles déduisent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que l'autorité publique doit respecter le principe de proportionnalité lorsqu'elle réglemente l'usage des biens et que l'existence ou non d'un mécanisme d'indemnisation constitue un facteur déterminant dans le cadre du contrôle de proportionnalité. Elles considèrent que lorsqu'un expert judiciaire aboutit à la conclusion que le prix d'achat initial d'un bien ne reflète pas la valeur réelle de ce bien, la disposition en cause doit être interprétée en ce sens que la valeur réelle du bien l'emporte.

A.2.1. Les parties demanderesses devant le juge a quo observent que si la Cour a jugé, par ses arrêts nos 66/2018 et 57/2019, que la disposition en cause est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, elle n'en a pas moins formulé une réserve importante en n'excluant pas que le mode de calcul décrétal puisse dans certains cas porter atteinte aux droits des propriétaires concernés. Elles contestent la thèse des autres parties selon laquelle la Cour s'est déjà prononcée, avec l'autorité de la chose jugée, sur la question préjudicielle.

Elles estiment que, par les arrêts précités, la Cour a constaté une lacune potentiellement contraire à la Constitution, auquel cas le juge doit, en règle, appliquer le principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Elles soulignent que le juge a quo considère que la Cour a omis de préciser, dans son arrêt n° 66/2018, si la lacune décrétale peut être...

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