Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-02-25

JurisdictionBélgica
Judgment Date25 février 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210225.2
Docket Number24/2021
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210225.2
CourtGrondwettelijk Hof (Arbitragehof)

Numéro du rôle : 7060

Arrêt n° 24/2021

du 25 février 2021

ARRÊT

________

En cause : la question préjudicielle relative à l'article 187ter du Code judiciaire, posée par

le Conseil d'État.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman,

T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques et Y. Kherbache,

assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par l'arrêt n° 242.982 du 19 novembre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la

Cour le 26 novembre 2018, le Conseil d'État a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 187ter du Code judiciaire viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce

qu'il aboutit à traiter de manière différente les magistrats lauréats à l'examen d'aptitude et les

magistrats dispensés de cet examen en vertu des articles 187bis, 191bis, 194bis du Code

judiciaire dès lors que les magistrats de ces deux catégories sont présumés disposer de la

maturité et de la capacité nécessaires à l'exercice de la fonction de magistrat et se trouvent par

conséquent dans une situation identique puisqu'ils ont tous répondu avec succès au contrôle de

maturité et de capacité qui conditionne l'entrée dans la magistrature ? ».

Des mémoires ont été introduits par :

- Joëlle Vossen, assistée et représentée par Me J. Laurent et Me C. Servais, avocats au

barreau de Bruxelles;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me B. Renson, avocat au barreau de

Bruxelles.

Joëlle Vossen a également introduit un mémoire en réponse.

Par ordonnance du 25 novembre 2020, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs

M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait

tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de

la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les

débats seraient clos le 9 décembre 2020 et l'affaire mise en délibéré.

Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le

9 décembre 2020.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives

à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

En 2011, Joëlle Vossen est nommée juge au Tribunal de première instance du Hainaut, division de Charleroi,

après avoir réussi l'examen oral d'évaluation visé à l'article 191bis, § 2, du Code judiciaire. En 2016, elle pose sa

candidature en vue d'une nomination comme Juge de paix du canton de Tubize. Devant le Conseil d'État, elle

demande l'annulation de l'arrêté royal du 21 juillet 2016 nommant à cette fonction Claire Picard, qui était

auparavant substitut de l'auditeur du travail près l'auditorat du travail du Brabant wallon.

L'État belge et Claire Picard, qui est partie intervenante dans cette procédure, font valoir que la partie

requérante n'a pas intérêt au recours, en ce que l'annulation de l'acte qu'elle attaque ne pourrait lui apporter

l'avantage qu'elle recherche. En effet, l'article 187ter du Code judiciaire prévoit que le nombre de personnes

nommées, sur la base de l'examen oral d'évaluation visé à l'article 191bis, § 2, du même Code, à des places de

juge de paix et de juge au tribunal de police ne peut excéder, par ressort, 12 % du nombre total, fixé par la loi, des

juges de paix et des juges au tribunal de police du ressort de la cour d'appel. Cette règle s'applique aux candidats

qui ont réussi l'examen oral d'évaluation précité, indépendamment du fait qu'ils exercent déjà une fonction de

magistrat - comme c'est le cas pour la partie requérante - ou non. Ce quota étant atteint dans le ressort de la Cour

d'appel de Bruxelles, la partie requérante ne pourrait pas, en tout état de cause, être nommée à la place postulée.

À la suggestion de la partie requérante, qui conteste la constitutionnalité de l'article 187ter du Code judiciaire,

le Conseil d'État pose la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit

-A-

A.1. La partie requérante devant le juge a quo considère que les candidats lauréats à l'examen d'aptitude

professionnelle visé à l'article 259bis-9, § 1er, du Code judiciaire, d'une part, et les candidats qui sont dispensés

de cet examen en vertu des articles 187bis, 191bis et 194bis du même Code, selon le système dit de la « troisième

voie », d'autre part, se trouvent dans des situations identiques. L'examen d'aptitude professionnelle sert à évaluer

si le candidat a la maturité et la capacité nécessaires à l'exercice de la fonction de magistrat. Sont dispensées de

cet examen les personnes qui ont exercé la profession d'avocat pendant un certain laps de temps et qui, de ce fait,

sont présumées disposer aussi de ces qualités. Les deux catégories de candidats devraient donc être traitées de la

même manière.

La partie requérante devant le juge a quo fait valoir que la disposition en cause, telle qu'elle est interprétée

par le SPF Justice et par le juge a quo, est d'autant plus discriminatoire qu'elle ne se limite pas aux

primo-nominations et qu'en conséquence, les candidats visés aux articles 187bis, 191bis et 194bis du Code

judiciaire pourraient ne jamais accéder aux fonctions de juge de paix et de juge au tribunal de police, lorsque la

limite des 12 % est atteinte. Par ailleurs, elle renvoie à l'avis du Conseil supérieur de la Justice du 17 octobre 2016

concernant un « avant-projet de loi portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de

dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de

justice », par lequel ce Conseil a estimé que la limite des 12 % fixée à l'article 187ter du Code judiciaire ne devrait

viser que les primo-nominations et ne devrait pas concerner les magistrats qui ont été nommés ou promus à une

autre fonction après avoir accédé à la magistrature par la troisième voie.

A.2. Le Conseil des ministres expose que, par son arrêt n° 14/2003 du 28 janvier 2003, la Cour a admis la

compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'existence d'une troisième voie d'accès à la

magistrature, outre la réussite de l'examen d'aptitude professionnelle et la réussite du stage judiciaire, en vue

d'encourager les personnes qui disposent d'une expérience professionnelle particulière, essentiellement acquise

au barreau, à poser leur candidature à une fonction dans la magistrature. La Cour a toutefois jugé que cette

troisième voie ne pouvait, notamment, être ouverte que dans une très faible proportion, sous peine de méconnaître

les attentes légitimes de ceux qui se soumettent aux épreuves du concours ou de l'examen : dès lors qu'il n'avait

pas déterminé cette proportion, le législateur était allé au-delà de ce qu'exigeait l'objectif qu'il poursuivait.

Le Conseil des ministres fait valoir que le législateur a voulu remédier à cette inconstitutionnalité par

l'adoption de l'article 187ter du Code judiciaire. Cette disposition fixe un quota maximum de 12 % du nombre

total des juges de paix et des juges au tribunal de police, par ressort de cour d'appel, pour les personnes qui accèdent

à la magistrature via la troisième voie.

Le Conseil des ministres observe que la Cour, par son arrêt n° 142/2006 du 20 septembre 2006, a validé le

système ainsi mis en place. Elle a jugé que le législateur, en appliquant un tel quota, a pris une mesure conforme

à l'objectif qu'il poursuit, à savoir disposer d'une magistrature « plurielle », dans laquelle toutes les tranches d'âge

sont représentées. Il ressort de ce même arrêt que la mesure prévue à l'article 187ter, en cause, du Code judiciaire

n'est pas disproportionnée et qu'elle n'engendre pas une différence de traitement injustifiée au détriment des deux

autres types de candidats à une fonction judiciaire, à savoir les stagiaires et les lauréats de l'examen d'aptitude

professionnelle. Le Conseil des ministres en conclut que la question préjudicielle appelle une réponse négative.

A.3. La partie requérante devant le juge a quo répond que l'article 187ter du Code judiciaire tend uniquement

à rencontrer l'exigence, formulée par la Cour dans l'arrêt n° 142/2006, de limiter l'accès à la magistrature pour les

personnes issues de la troisième voie. L'interprétation que le SPF Justice donne à cette disposition n'est donc pas

conforme à la ratio legis de cette dernière. En outre, dans cet arrêt, la Cour faisait uniquement référence aux

primo-nominations, et non aux nominations des candidats qui exerçaient déjà une autre fonction au sein de la

magistrature, à laquelle ils étaient parvenus en empruntant la troisième voie. Enfin, la question de savoir si la

limitation de 12 % doit s'appliquer à toute nomination ou uniquement aux primo-nominations n'a pas été abordée

dans les travaux préparatoires.

-B-

B.1. Les articles 187 à 187ter, 191bis et 194bis du Code judiciaire disposent :

« Art. 187. § 1er. Pour pouvoir être nommé juge de paix ou juge au tribunal de police, le

candidat doit être âgé d'au moins 35 ans, être docteur ou licencié en droit et avoir réussi

l'examen d'aptitude professionnelle prévu par l'article 259bis-9, § 1er ou être détenteur du

certificat attestant qu'il a achevé avec fruit le stage judiciaire prévu par l'article 259octies.

§ 2. Le candidat doit en outre satisfaire à l'une des conditions suivantes :

1° avoir, pendant au moins douze années, suivi le barreau, exercé des fonctions de

magistrat du ministère public ou de juge ou la profession de notaire; ou avoir exercé des

fonctions juridiques pendant douze années dont au moins trois années dans une fonction

judiciaire;

2° avoir, pendant au moins cinq années, exercé des fonctions de conseiller, d'auditeur,

...

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