Décision judiciaire de Conseil d'État, 28 mars 2019

Date de Résolution28 mars 2019
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

LA XIe CHAMBRE SIEGEANT EN REFERE

A R R Ê T

nº 244.049 du 28 mars 2019

A. 213.746/XI-20.404

En cause : 1. BENHACHEM Nadia, 2. la s.p.r.l. SARIAA, ayant élu domicile chez Me Marc UYTTENDAELE, avocat, rue de la Source 68 1060 Bruxelles,

contre :

1. l’Etat belge, représenté par le Ministre de la Justice, 2. le Président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, ayant tous deux élu domicile chez Me Bernard RENSON, avocat, rue Père Eudore Devroye 47 1040 Bruxelles.

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I. Objet de la requête

1. Par une requête introduite par courrier recommandé le 19 septembre 2014, Nadia BENHACHEM et la s.p.r.l. SARIAA demandent l’annulation et la suspension de l’exécution de « la décision prise le 25 juillet 2014 par le Président du tribunal de première instance de Bruxelles d’omettre Nadia BENHACHEM de la liste des traducteurs interprètes auprès du tribunal de première instance de Bruxelles », d’une part, et « pour autant que de besoin [de] la décision de date inconnue prise par la même autorité de faire interdiction à des traducteurs assermentés dans un arrondissement judiciaire d’exercer leur activité dans un autre arrondissement judiciaire », d’autre part.

II. Procédure

2. Les droits de rôle ont été régulièrement acquittés.

Le dossier administratif a été déposé et les parties adverses ont déposé une note d’observations.

R XI - 20.404 - 1/15

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 12 de l’arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’État.

L’arrêt n° 229.577 du 16 décembre 2014 a ordonné la suspension de l’exécution de « la décision prise le 25 juillet 2014 par le Président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles d’omettre Nadia BENHACHEM de la liste des traducteurs/interprètes auprès du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et de l’empêcher d’effectuer des prestations en cette qualité ».

L’arrêt n° 230.028 du 29 janvier 2015 a rejeté la demande de mesures provisoires sous peine d’astreinte introduite selon la procédure d’extrême urgence.

Les parties adverses ont régulièrement demandé la poursuite de la procédure.

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

L’arrêt n° C.15.0043.F de la Cour de cassation du 29 septembre 2017 a cassé l’arrêt n° 229.577 précité du 16 décembre 2014 et renvoyé la cause à la section du contentieux administratif du Conseil d’État, autrement composée.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 12 du règlement général de procédure.

Ce rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 3 avril 2018, les parties ont été convoquées à l'audience du 26 avril 2018.

À l’audience du 26 avril 2018, les parties requérantes et adverses ont comparu volontairement devant la XIe chambre siégeant en référé, la procédure en suspension étant redevenue pendante à la suite de la cassation précitée de l’arrêt n° 229.577 du 16 décembre 2014.

Mme Colette DEBROUX, président de chambre, a exposé son rapport.

R XI - 20.404 - 2/15

Me Sébastien KAISERGRUBER, loco Me Marc UYTTENDAELE, avocats, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Bernard RENSON, avocat, comparaissant pour les parties adverses, ont été entendus en leurs observations.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur, a été entendu en son avis.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits utiles à l’examen de la cause

3. Les faits utiles à l’examen de la cause ont été exposés dans les arrêts n° 229.577 du 16 décembre 2014 et n° 230.028 du 29 janvier 2015. Il convient de s’y référer.

IV. Mise hors cause

Thèse des parties adverses

  1. Les parties adverses demandent que le recours soit déclaré irrecevable en tant que dirigé contre « le président du tribunal de première instance de Bruxelles », d’une part, parce que le « tribunal de première instance de Bruxelles » n’existe plus et qu’il eut fallu viser, à titre de partie adverse, le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles. D’autre part et surtout, elles font valoir que l’article 151, § 1er, de la Constitution consacre le principe de l’indépendance des juges et des magistrats du ministère public, depuis toujours admis et consacré par de nombreuses autres dispositions, notamment du Code judiciaire, non seulement vis-à-vis du Parlement et du Gouvernement mais aussi à l’égard des parties, que si l’exercice de la présidence du tribunal de première instance francophone de Bruxelles ne constitue pas l’exercice d’une fonction juridictionnelle, il s’agit néanmoins d’une fonction accomplie au sein de l’Ordre judiciaire en qualité de magistrat du siège, et qu’en vertu des articles 1140 et suivants du Code judiciaire, les juges ne sont pas susceptibles de répondre civilement devant le tribunal de première instance pour des faits de leur fonction mais que seule est ouverte la procédure de prise à partie qui relève de la compétence exclusive de la Cour de cassation.

    Décision du Conseil d’État

  2. D’une part, la seule circonstance que les requérantes aient désigné la seconde partie adverse comme étant le « Président du tribunal de première instance de

    R XI - 20.404 - 3/15

    Bruxelles », en omettant la qualification de « francophone » de ce tribunal, ne suffit pas à créer la confusion sur son exacte qualité, ni sur celle du tribunal qu’elle préside.

    D’autre part, l’existence même du second objet du recours fût-elle mise en cause par les parties adverses, les deux actes attaqués ont été adoptés par le Président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, qui est un organe du pouvoir judiciaire. La seule circonstance que cet organe du pouvoir judiciaire soit mis à la cause dans le cadre d’un recours en annulation porté devant le Conseil d’État, notamment pour lui permettre de défendre la légalité objective des actes ainsi attaqués dont il est l’auteur, n’est pas de nature à porter atteinte à son indépendance dès lors que ces actes sont étrangers à sa mission juridictionnelle. Par ailleurs, le recours ne tend pas à engager sa responsabilité mais seulement à contester la légalité objective des actes contestés.

    Quant à la première partie adverse, qui est une autorité administrative, elle ne demande pas à être mise hors de cause.

    Il convient donc de maintenir à la cause l’État belge, représenté par le ministre de la

    Justice, et le Président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

    V. Compétence du Conseil d’État

    Thèse des parties

    6. Les requérantes exposent qu’il n’est pas aisé de qualifier les actes attaqués tant ils sont pris dans un cadre juridique incertain puisque, dans l’état de la législation, aucune condition n’est exigée dans le chef des traducteurs et interprètes lors de procédures judiciaires et qu’il est en réalité fait appel à des personnes inscrites sur des listes officieuses tenues par les greffes des tribunaux mais que la pratique n’est pas uniforme. Elles estiment qu’il est donc permis de penser qu’en établissant ces listes et en omettant de celles-ci certaines personnes qui y figurent, le Président du tribunal de première instance de Bruxelles agit comme autorité administrative et partant comme organe du pouvoir exécutif, se substituant ainsi, fût-ce irrégulièrement, à la ministre compétente, de sorte que le Conseil est compétent pour connaître du présent recours.

    Par ailleurs, elles font valoir qu’il est également possible de considérer que, ce faisant, le président du tribunal de première instance de Bruxelles pose un acte à caractère administratif accompli dans le champ de ses attributions, auquel cas le Conseil d’État est également compétent pour connaître du recours dès lors qu’il est

    R XI - 20.404 - 4/15

    désormais « compétent pour censurer les actes et règlements des organes du pouvoir judiciaire relatifs aux marchés publics, au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire », et elles citent à ce sujet un large extrait de l’exposé des motifs de la loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État, relatif à la notion de « fonction publique » qui doit s’entendre dans un « sens fonctionnel », et un autre passage relatif aux sanctions disciplinaires...

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