Décision judiciaire de Conseil d'État, 20 décembre 2018

Date de Résolution20 décembre 2018
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

XVe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 243.312 du 20 décembre 2018

A. 175.196/XV-2423

En cause : la société de droit américain

AMERICAN AIRLINES,

ayant élu domicile chez

Me Tamara LEIDGENS, avocat,

avenue Louise 65, bte 11,

1050 Bruxelles,

contre :

la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me François TULKENS, avocat, boulevard de l’Empereur 3 1000 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 24 juillet 2006, la société de droit américain AMERICAN AIRLINES demande l’annulation de la décision du 23 mai 2006 du collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale confirmant la décision prise par M. HANNEQUART, en sa qualité de fonctionnaire dirigeant de l’Institut bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (I.B.G.E.) [actuellement BRUXELLES ENVIRONNEMENT] du 27 janvier 2006 de lui infliger une amende administrative de 900 euros pour une infraction à l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien.

II. Procédure

Un arrêt n° 240.021 du 28 novembre 2017 a rouvert les débats et a réservé les dépens. Il a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un mémoire complémentaire.

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Par une ordonnance du 1er août 2018, l’affaire a été fixée à l’audience publique du 2 octobre 2018 à 9 heures 30.

Mme Pascale VANDERNACHT, président de chambre, a fait rapport.

Me Tamara LEIDGENS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me François TULKENS, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Denis DELVAX, premier auditeur, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits de la présente cause ont été exposés dans l’arrêt n° 240.021 du 28 novembre 2017. Il y a lieu de s’y référer.

IV. Rétroactes

Dans son arrêt n° 240.021, précité, le Conseil d’État a mis hors de cause le collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale, a rejeté le troisième moyen, seconde branche, le quatrième moyen, le sixième moyen, première à cinquième branches et les septième, huitième, neuvième et dixième moyens et a rouvert les débats pour les autres moyens et les branches des moyens qui ont été présentés dans le mémoire en réplique ou dans le dernier mémoire. Cette réouverture des débats a été décidée à la suite de l’arrêt de l’assemblée générale de la section du contentieux administratif n° 238.588 du 20 juin 2017 qui a décidé ce qui suit:

"7. Contrairement aux principes régissant les autres moyens, un moyen d’annulation, qui est présenté comme étant d’ordre public, ne doit pas nécessairement, sous peine d’irrecevabilité, être invoqué par la partie requérante dans la requête ou dès qu’elle en a l’occasion dans le cadre de la procédure après qu’elle en a connaissance ou devait en avoir connaissance. Ceci se justifie par le fait que s’il devait effectivement s’avérer qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public et que ce moyen est fondé, le Conseil d’État devrait, le cas échéant, le prendre d’office en considération. 8. Toutefois, dans certaines circonstances propres au cas d’espèce, il peut se justifier que le moyen présenté comme étant d’ordre public par la partie

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requérante ne soit pas examiné lorsque l’invocation de ce moyen par la partie requérante apparaît comme une atteinte avérée à la loyauté procédurale, qui constitue un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. 9. Il revient à la chambre compétente d’apprécier si, en l’espèce, il existe ou non de tels motifs spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués le plus rapidement possible dans le cadre de la procédure, mais qui, selon la partie requérante, revêtent un caractère d’ordre public, doivent ou non être considérés comme irrecevables".

V. Examen des moyens et de leur recevabilité

V.a. Recevabilité au regard de la loyauté procédurale

V.a.1. Thèses des parties

La partie adverse, dans son mémoire complémentaire, indique que toutes les circonstances sont réunies pour que l’ensemble des moyens et questions préjudicielles soulevés tardivement soient irrecevables. Selon elle, la partie requérante n’apporte aucun élément qui permettrait de justifier l’invocation tardive de ces moyens et questions préjudicielles. Elle considère par conséquent que l’invocation de ces moyens et questions préjudicielles présente un caractère dilatoire manifeste au regard de leur nombre et du fait qu’ils ont tous déjà été examinés dans d’autres affaires.

La partie requérante, dans son mémoire complémentaire, relève qu’il n’est pas établi, en l’espèce, qu’elle aurait retardé l’invocation d’un quelconque moyen dans le but de se procurer un avantage, et encore moins qu’elle l’aurait fait sciemment ou avec une extrême légèreté. Elle ajoute qu’il n’est pas non plus établi qu’elle aurait empêché une bonne administration de la justice ni lésé les droits de la partie adverse d’une manière manifestement fautive ou portant atteinte à son droit au procès équitable. Si elle a développé certains aspects de sa défense dans son dernier mémoire, c’est à la suite de son examen des rapports de l’auditeur et des arrêts du Conseil d’État rendus entre l’introduction de sa requête en annulation et le dépôt de son dernier mémoire.

V.a.2. Appréciation

Lorsqu’un moyen qualifié d’ordre public est soulevé dans le mémoire en réplique, la circonstance qu’il est soulevé tardivement n’empêche pas l’auditeur de l’examiner ni la partie adverse d’y répondre dans son dernier mémoire, c’est-à-dire un écrit prévu par le règlement de procédure. Par ailleurs, dans les cas où le rapport

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est d’abord notifié à la partie requérante, si celle-ci soulève de nouveaux moyens d’ordre public ou propose de nouvelles questions préjudicielles, la partie adverse a encore l’occasion de faire valoir ses observations dans ce dernier mémoire. Le nombre de moyens invoqués et de questions préjudicielles proposées peut avoir une incidence sur le délai de traitement de l’affaire mais il ne constitue pas en lui-même un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. De même, la réitération de moyens rejetés dans des affaires précédentes n’est pas en soi non plus une atteinte avérée à la loyauté procédurale puisqu’une partie peut toujours espérer une évolution ou un revirement de la jurisprudence. Il n’existe par conséquent pas en l’espèce de motifs spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués dans la requête mais qui revêtent un caractère d’ordre public et sont soulevés dans le dernier mémoire soient néanmoins considérés comme irrecevables.

V.1. Premier moyen

Dans son arrêt n° 240.021, précité, le Conseil d’État a constaté que la partie requérante s’était désistée, dans son dernier mémoire, de ce moyen et, en conséquence, ne l’a pas examiné.

V.2. Deuxième moyen

Dans son arrêt n° 240.021, précité, le Conseil d’État a jugé que ce deuxième moyen n’était pas fondé. Toutefois, il a décidé de rouvrir les débats compte tenu de la circonstance que, dans son dernier mémoire, la partie requérante demande que deux questions préjudicielles soient posées à la Cour Constitutionnelle.

V.2.a. Thèse de la partie requérante

Les deux questions préjudicielles que la partie requérante demande de poser à la Cour constitutionnelle sont ainsi rédigées :

"1. Les articles 33, 7°, b), 35, 37. 38 et 39bis de l’ordonnance du 25 mars 1999, interprétés comme privant les personnes faisant l’objet de la procédure administrative qu’ils organisent du droit à voir immédiatement punir le dépassement du délai raisonnable alors qu’elles auraient bénéficié de l’application de l’article 21ter à tous les stades devant le juge pénal, même en dernière instance, violent-ils les articles 10, 11, 14 et 16 de la Constitution lus à la lumière de l’article 6 de la CEDH, qui consacre le droit à être jugé dans un délai raisonnable?

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2. Les articles 33, 7°, b), 35, 37, 38, 39bis et 40bis de l’ordonnance du 25 mars 1999 violent-ils les articles 10, 11, 13 et 16 de la Constitution lus en combinaison avec les articles 6 et 13 de la CEDH en ce qu’ils organisent une procédure d’amende administrative privant ceux qui font l’objet d’une “accusation en matière pénale” d’un recours de pleine juridiction en tant que le seul juge statuant sur le bien-fondé de l’accusation en matière pénale dont le justiciable fait l’objet depuis plusieurs années se déclare incompétent pour punir le dépassement du délai raisonnable ?".

V.2.b. Appréciation

Le Conseil d’État s’est déjà prononcé sur ce moyen dans de nombreuses affaires où la partie requérante concernée proposait également de saisir la Cour constitutionnelle de questions préjudicielles formulées en des termes similaires à celles suggérées dans le cadre du présent moyen.

Dans ces affaires, le Conseil d’État a jugé que ces questions préjudicielles ne devaient pas être posées, tout en rejetant le moyen.

Ainsi notamment, dans son arrêt nº 234.792 du 20 mai 2016, il a jugé ce

qui suit:

"Considérant que la requérante prend un troisième moyen de la violation de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce que l’amende contestée lui a été infligée par l’I.B.G.E., puis confirmée par le Collège d’Environnement, qui ne sont pas des juridictions indépendantes et impartiales, et que le Conseil d’État est compétent pour vérifier la légalité de la décision querellée devant lui, mais non pour examiner la réalité de l’infraction dont elle est...

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