Décision judiciaire de Conseil d'État, 7 novembre 2018

Date de Résolution 7 novembre 2018
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

XVe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 242.871 du 7 novembre 2018

A. 192.926/XV-1038

En cause : la s.a. EUROPEAN AIR TRANSPORT, à laquelle succède la société de droit allemand

EUROPEAN AIR TRANSPORT LEIPZIG GmbH, ayant élu domicile chez Me Tamara LEIDGENS, avocat, avenue Louise 65, boîte 11 1050 Bruxelles,

contre :

la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me François TULKENS, avocat, boulevard de l’Empereur 3 1000 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 8 juin 2009, la société anonyme EUROPEAN AIR TRANSPORT, à laquelle succède la société de droit allemand EUROPEAN AIR TRANSPORT LEIPZIG GmbH, demande l’annulation de "la décision du Collège d’Environnement du 6 avril 2009 de confirmer la décision du fonctionnaire dirigeant de l’Institut bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (I.B.G.E.) [actuellement BRUXELLES ENVIRONNEMENT] du 12 décembre 2008 de lui infliger une amende administrative de 60.835 euros du chef d’infractions à l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien".

II. Procédure

Un arrêt n° 240.014 du 28 novembre 2017 a rouvert les débats et réservé les dépens. Il a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un mémoire complémentaire.

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Par une ordonnance du 1er août 2018, l’affaire a été fixée à l’audience publique du 2 octobre 2018 à 9 heures 30.

Mme Pascale VANDERNACHT, président de chambre, a fait rapport.

Me Tamara LEIDGENS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me François TULKENS, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Denis DELVAX, premier auditeur, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits de la présente cause ont été exposés dans l’arrêt n° 240.014 du 28 novembre 2017. Il y a lieu de s’y référer.

IV. Rétroactes

Dans son arrêt n° 240.014, précité, le Conseil d’État a mis hors de cause le collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale, a rejeté le quatrième moyen, seconde branche, le septième moyen, première, deuxième et troisième branches, le neuvième moyen, le dixième moyen et le douzième moyen et a rouvert les débats pour les autres moyens et les branches des moyens qui ont été soulevés dans le mémoire en réplique ou dans le dernier mémoire. Cette réouverture des débats a été décidée à la suite de l’arrêt de l’assemblée générale de la section du contentieux administratif n° 238.588 du 20 juin 2017 qui a décidé ce qui suit:

"7. Contrairement aux principes régissant les autres moyens, un moyen d’annulation, qui est présenté comme étant d’ordre public, ne doit pas nécessairement, sous peine d’irrecevabilité, être invoqué par la partie requérante dans la requête ou dès qu’elle en a l’occasion dans le cadre de la procédure après qu’elle en a connaissance ou devait en avoir connaissance. Ceci se justifie par le fait que s’il devait effectivement s’avérer qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public et que ce moyen est fondé, le Conseil d’État devrait, le cas échéant, le prendre d’office en considération. 8. Toutefois, dans certaines circonstances propres au cas d’espèce, il peut se justifier que le moyen présenté comme étant d’ordre public par la partie

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requérante ne soit pas examiné lorsque l’invocation de ce moyen par la partie requérante apparaît comme une atteinte avérée à la loyauté procédurale, qui constitue un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. 9. Il revient à la chambre compétente d’apprécier si, en l’espèce, il existe ou non de tels motifs spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués le plus rapidement possible dans le cadre de la procédure, mais qui, selon la partie requérante, revêtent un caractère d’ordre public, doivent ou non être considérés comme irrecevables".

V. Examen des moyens et de leur recevabilité

V.a. Recevabilité au regard de la loyauté procédurale

V.a.1. Thèses des parties

La partie adverse, dans son mémoire complémentaire, indique que toutes les circonstances sont réunies pour que l’ensemble des moyens et questions préjudicielles soulevés tardivement soient irrecevables. Selon elle, la partie requérante n’apporte aucun élément qui permettrait de justifier l’invocation tardive de ces moyens et questions préjudicielles. Elle considère par conséquent que l’invocation de ces moyens et questions préjudicielles présente un caractère dilatoire manifeste au regard de leur nombre et du fait qu’ils ont tous déjà été examinés dans d’autres affaires.

La partie requérante, dans son mémoire complémentaire, relève tout d’abord que les questions préjudicielles qu’elle propose de poser à la Cour constitutionnelle ou à la Cour de Justice de l’Union européenne ne sont que le développement d’un moyen existant et, ensuite, qu’il n’est pas établi, en l’espèce, qu’elle aurait retardé l’invocation d’un quelconque moyen dans le but de se procurer un avantage, et encore moins qu’elle l’aurait fait sciemment ou avec une extrême légèreté. Elle ajoute qu’il n’est pas non plus établi qu’elle aurait empêché une bonne administration de la justice ni lésé les droits de la partie adverse d’une manière manifestement fautive ou portant atteinte à son droit au procès équitable. Si elle a développé certains aspects de sa défense dans son dernier mémoire, c’est à la suite de son examen des rapports de l’auditeur et des arrêts du Conseil d’État rendus entre l’introduction de sa requête en annulation et le dépôt de son dernier mémoire.

Dans la note d’audience adressée moins d’une semaine avant la date de l’audience, elle soulève un moyen nouveau pris de la violation de l’article 7 de l’arrêté du 3 juin 1993 relatif au collège d’Environnement. Dans les développements de ce moyen, elle indique avoir, par un courriel du 17 août 2018, demandé la

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production des procès-verbaux des diverses séances du collège d’Environnement au cours desquels celui-ci a connu de cette affaire. Le conseil de la partie adverse lui a transmis le procès-verbal de la séance du collège du 6 avril 2009 au cours de laquelle le projet a été "adopté moyennant quelques modifications". Elle en déduit que le projet aurait fait l’objet d’une délibération lors d’une séance précédente dont le procès-verbal ne lui a pas été communiqué. Elle en tire par conséquent argument pour considérer que la composition du collège était irrégulière.

V.a.2. Appréciation

Lorsqu’un moyen qualifié d’ordre public est soulevé dans le mémoire en réplique, la circonstance qu’il est soulevé tardivement n’empêche pas l’auditeur de l’examiner ni la partie adverse d’y répondre dans son dernier mémoire, c’est-à-dire un écrit prévu par le règlement de procédure. Par ailleurs, dans les cas où le rapport est d’abord notifié à la partie requérante, si celle-ci soulève de nouveaux moyens d’ordre public ou propose de nouvelles questions préjudicielles, la partie adverse a encore l’occasion de faire valoir ses observations dans ce dernier mémoire. Le nombre de moyens invoqués et de questions préjudicielles proposées peut avoir une incidence sur le délai de traitement de l’affaire mais il ne constitue pas en lui-même un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. De même, la réitération de moyens rejetés dans des affaires précédentes n’est pas en soi non plus une atteinte avérée à la loyauté procédurale puisqu’une partie peut toujours espérer une évolution ou un revirement de la jurisprudence. Il n’existe par conséquent pas en l’espèce de circonstances spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués dans la requête mais qui revêtent un caractère d’ordre public et sont soulevés dans le dernier mémoire soient néanmoins considérés comme irrecevables.

En revanche, lorsqu’un moyen n’est pas soulevé par la partie requérante dans son dernier mémoire mais bien ultérieurement dans une note d’audience, la partie adverse n’a plus la possibilité d’y répondre dans un écrit prévu par le règlement de procédure. Cette situation est susceptible de porter atteinte au principe de l’égalité des armes — l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable — qui requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Cour eur. D.H. (Grande chambre), 7 juin 2001 (Kress c. France), n° 39594/98, § 72). Seules des circonstances exceptionnelles liées à une impossibilité de soulever ce moyen en temps utile pourraient justifier une telle atteinte à l’égalité des armes.

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En ce qui concerne les circonstances justifiant la tardiveté de ce moyen, la partie requérante indique qu’il est inspiré de l’enseignement de l’arrêt n° 240.250 du 20 décembre 2017. Or, dans cette affaire, le moyen était soulevé dans la requête elle-même introduite le 8 avril 2013. De plus, le procès-verbal a été communiqué le 2 mars 2015 à la suite d’une mesure d’instruction de l’auditeur rapporteur du 25 février 2015. Le moyen soulevé dans la note d’audience aurait pu l’être dès la requête ou, à tout le moins dans le mémoire en réplique voire le dernier mémoire. Par ailleurs, si la copie du procès-verbal du collège d’Environnement avait été demandée dans un délai raisonnable après la consultation du dossier administratif, comme l’a fait l’auditeur dans l’affaire précitée, elle aurait pu être transmise par la partie adverse. En attendant près de dix ans pour...

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