Décision judiciaire de Conseil d'État, 9 décembre 2016

Date de Résolution 9 décembre 2016
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 236.718 du 9 décembre 2016

220.144/XV-3192

En cause : 1. l’a.s.b.l. ESPACE P..., 2. l’a.s.b.l. LIGUE DES DROITS DE L’HOMME, 3. XXXX,

ayant élu domicile chez

Me V. LETELLIER, avocat,

rue Defacqz 78-80/2

1060 Bruxelles,

contre :

la Ville de Bruxelles, ayant élu domicile chez Mes M. UYTTENDAELE et P. MINSIER, avocats, rue de la Source 68 1060 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE PRÉSIDENT DE LA XV e CHAMBRE,

Vu la requête introduite le 29 août 2016 par (1) l’a.s.b.l. «Espace P...», (2) l’a.s.b.l. «Ligue des Droits de l’Homme» et (3) XXXX, en ce qu’elle tend à la suspension de l’exécution de l’article 2 du règlement de la ville de Bruxelles du 27 juin 2016 «de lutte contre les nuisances dans le quartier Alhambra et ses alentours» (réf.: SJ. J. 35.026/G/SM);

Vu le rapport de M. J.-Fr. NEURAY, premier auditeur chef de section au Conseil d’État, rédigé sur la base de l’article 93 du règlement général de procédure;

Vu la notification aux parties du rapport et de l’ordonnance du 23 novembre 2016, les convoquant à comparaître le 8 décembre 2016 à 9 heures 30;

Entendu, en son rapport, M. M. LEROY, président de chambre;

Entendu, en leurs observations, Me V. LETELLIER, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me P. MINSIER, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

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Entendu, en son avis conforme, M. J.-Fr. NEURAY, premier auditeur chef de section au Conseil d’État;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l’examen du recours se présentent comme suit:

En vue de lutter contre la prostitution dans le quartier dit «de l’Alhambra», délimité par la rue de Laeken, le quai aux Pierres de Taille, le quai du Commerce, le boulevard d’Anvers, le boulevard Émile Jacqmain et la rue des Hirondelles, le conseil communal Bruxelles a adopté, le 4 juin 2012, un règlement rédigé comme suit:

Le conseil communal,

Vu l’article 17 de la Convention du 21 mars 1950 pour la répression de la traite des être humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui;

Vu les articles 1er et 2 de la loi du 21 août 1948 supprimant la réglementation officielle de la prostitution;

Vu les articles 117, 119, 119bis, 121, 133 et 135, § 2 de la nouvelle Loi communale;

Considérant que dans le quartier dénommé Alhambra et ses alentours, la qualité de vie s’est détériorée au cours de ces dernières années;

Que cette détérioration est en grande partie liée au développement et à l’augmentation de la prostitution;

Que les nombreuses actions mises en place dans le quartier ne suffisent plus à enrayer le phénomène de manière satisfaisante;

Considérant que les activités de prostitution entrent en conflit avec la fonction d’habitation;

Qu’elles entrent également en conflit avec les fonctions ou activités culturelles, scolaires et de jeunesse;

Que les endroits où l’on se livre à la débauche et/ou à la prostitution sont de nature à compromettre la moralité et/ou la tranquillité publique;

Considérant que certaines activités “connexes” à la prostitution (carrousel de voitures, nuisances sonores, bagarres, intimidations et toutes autres formes de criminalité – traite des êtres humains, pratiques de blanchiment, extorsion, trafic d’armes et de drogues, ...) entrent également en conflit avec la fonction d’habitation;

Que toutes ces nuisances et autres atteintes à la moralité publique sont attestées, notamment, par les nombreux rapports de police;

Que la Ville de Bruxelles souhaite que la qualité de vie et la sécurité s’améliorent dans le quartier;

Qu’il est donc nécessaire de prendre des mesures visant à lutter contre toutes les formes de nuisances publiques générées par les activités précitées, ceci devant permettre de mieux garantir le maintien de l’ordre public et, ainsi, d’assurer la tranquillité, la sécurité et la moralité publiques,

ARRÊTE:

Article 1 – Périmètre Le présent règlement est d’application dans le périmètre délimité par les rues suivantes (toutes les artères suivantes, y compris les périphériques): boulevard Jacqmain (entre la rue du Pont-Neuf et bd Baudouin), boulevard Baudouin (entre le boulevard Jacqmain et la place de l’Yser) boulevard d’Anvers, rue du Pont-Neuf (entre le boulevard Jacqmain et la rue de Laeken),

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rue de Laeken (entre le boulevard d’Anvers et la rue du Béguinage), rue des Commerçants (entre le quai du Commerce et le boulevard Jacqmain), rue Saint-Jean Népomucène, rue des Échelles, rue de l’Épargne, rue du Pélican, rue Saint-Roch, quai aux Pierres de Taille, quai au Foin, rue Van Gaver, quai du Chantier, rue du Chantier, rue du Magasin, quai du Commerce, place de l’Yser, quai à la Chaux, rue du Canal, rue du Grand Hospice, rue Marcq, cité du Sureau, rue du Béguinage, quai aux Briques, quai à la Houille, rue du Lilas, rue de l’Infirmerie, rue du Marronnier, place du Béguinage, rue du Rouleau, rue du Peuplier, rue du Cyprès.

Article 2 – Nuisances

§ 1. Il est interdit à toute personne se trouvant sur l’espace public, dans le périmètre visé à l’article 1er, de faire savoir par des paroles, des gestes, des attitudes ou des signes que des actes sexuels sont proposés contre rémunération.

§ 2. Il est également interdit d’utiliser ou de s’apprêter à utiliser les services à connotation sexuelle proposés sur l’espace public dans le périmètre visé à l’article 1er.

Cela inclut notamment l’interdiction des comportements visant à rechercher des prostitué(e)s tels que:

– répondre aux signes, gestes ou paroles d’un(e) ou de plusieurs prostitué(e)s et/ou entamer une conversation avec lui/eux/elle(s),

– proposer de l’argent à un(e) ou plusieurs prostitué(e)s, – attirer l’attention des prostitué(e)s par des gestes, signes ou paroles, – avoir un comportement désobligeant envers les prostitué(e)s, – emprunter à plusieurs reprises, à l’aide d’un véhicule à moteur, des rues identiques et se livrer notamment aux actes suivants:

– attirer l’attention des piétons et/ou des prostitué(e)s en faisant des gestes, des signes ou des bruits,

– ralentir ou s’arrêter pour entamer une conversation avec des piétons et/ou des prostitué(e)s,

– s’arrêter et redémarrer à plusieurs reprises sans raison valable, – rouler de manière anormalement lente sans raison valable.

Les infractions commises au présent règlement à l’aide d’un véhicule sont présumées avoir été commises par le propriétaire de ce dernier.

Article 3 – Sanctions

§ 1. Selon la procédure définie à l’article 119bis de la nouvelle loi communale, sera puni d’une amende administrative de maximum 250 euros quiconque contrevient aux dispositions du présent règlement.

L’amende administrative ne pourra jamais excéder la somme de 125 euros lorsque les faits ont été commis par des mineurs ayant atteint l’âge de 16 [ans] accomplis au moment des faits.

§ 2. Les amendes administratives prescrites par le présent règlement sont augmentées en cas de récidive dans les trois ans de l’imposition d’une amende administrative, sans qu’elles puissent jamais excéder la somme de 250 euros. Elles ne pourront jamais excéder la somme de 125 euros lorsque les faits ont été commis par un mineur ayant atteint l’âge de 16 [ans] accomplis au moment des faits, même si cette personne est devenue majeure au moment du jugement des faits.

[…]

.

Saisi d’un recours formé, notamment, par les deux premières requérantes, le Conseil d’État a annulé l’article 3 de ce règlement par l’arrêt n° 234.152 du 16 mars 2016. Cet arrêt porte notamment la motivation suivante :

Considérant que, dans son texte applicable lors de l’adoption du règlement attaqué, l’article 119bis de la nouvelle loi communale disposait comme suit en son § 1er:

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“Le conseil communal peut établir des peines ou des sanctions administratives contre les infractions à ses règlements ou ordonnances, à moins que des peines ou des sanctions administratives soient établies par ou en vertu d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance pour les mêmes infractions”;

Considérant que l’article 121 de la même loi..., prévoit en son alinéa 2 que ce sont des peines de police qui punissent les infractions aux règlements communaux qui ont pour objet d’assurer la moralité ou la tranquillité publique, règlements adoptés en application de l’alinéa 1er; qu’il s’ensuit que l’article 119bis exclut que des sanctions administratives soient comminées en vue de punir les infractions à ces règlements;

Considérant que, dans la question préjudicielle proposée par la partie adverse, la violation des articles 41 et 162 de la Constitution ne peut faire l’objet d’une question préjudicielle qu’à la condition d’être combinée avec les articles 10 ou 11; que ces dispositions-ci protègent...

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