Décision judiciaire de Conseil d'État, 16 mars 2016

Date de Résolution16 mars 2016
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 234.152 du 16 mars 2016

  1. 206.194/XV-2033

    En cause : 1. A.S.B.L ESPACE P.... 2. A.S.B.L LIGUE DES DROITS DE L'HOMME 3. D'OSTILIO Ermina 4. VANWAELEGHEM Marie-Jeanne 5. TORREKENS Carina 6. NAERT Micha 7. BEAUMEZ Lucette 8. JODARD Stéphanie 9. BOCZKOWSKA Jadwiga 10. MEHMEDOVA Gyulten 11. FRANCO PERREZ Freddy Xavier 12. GARCIA José 13. CALAN LAPANGUI Carlos Enrique 14. CORDERO Daniel 15. LAINEZ SUAREZ Emilio 16. VILLAFUERTE ARELLARA Carlos 17. MINDA ORTIS Alan Marlon 18. LECOMTE Pascal,

    ayant élu domicile chez Me V. LETELLIER, avocat, rue Defacqz 78-80 1060 Bruxelles,

    contre :

    la ville de Bruxelles, ayant élu domicile chez Me M. UYTTENDAELE, avocat, rue de la Source 68 1060 Bruxelles,

    Parties intervenantes:

    1. XXXX 2. XXXX 3. XXXX 4. XXXX 5. XXXX 6. XXXX 7. XXXX 8. XXXX 9. XXXX 10. XXXX 11. XXXX 12. XXXX 13. XXXX 14. Immoass CVA 15. XXXX 16. XXXX

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    17. XXXX 18. XXXX 19. XXXX 20. XXXX, ayant élu domicile chez Me Fr. KRENC, avocat, place Albert Leemans 6 1050 Bruxelles. ----------------------------------------------------------------------------------------------------

    LE CONSEIL D'ÉTAT, XV e CHAMBRE,

    Vu la requête introduite le 3 septembre 2012 par (1) l’a.s.b.l. «Espace P...», (2) l’a.s.b.l. «Ligue des Droits de l’Homme», (3) Ermina D’Ostilio, (4) Marie-Jeanne Vanwaeleghem, (5) Carina Torrekens, (6) Micha Naert, (7) Lucette Beaumez, (8) Stéphanie Jodard, (9) Lucette Boczkowska, (10) Gyulten Mehmedova, (11) Freddy Xavier Franco Perrez, (12) José Garcia, (13) Carlos Enrique Calan Lapangui, (14) Daniel Cordero, (15) Emilio Lainez Suarez, (16) Carlos Villafuerte Arellara, (17) Alan Marlon Minda Ortis et (18) Pascal Lecomte, en ce qu’elle tend à l’annulation du «règlement de lutte contre la prostitution de rue dans le quartier Alhambra», adopté le 4 juin 2012 par le conseil communal de la ville de Bruxelles;

    Vu le dossier administratif;

    Vu l’arrêt n° 222.075 du 15 janvier 2013 qui rejette la demande de suspension;

    Vu la demande de poursuite de la procédure des parties requérantes;

    Vu les mémoires en réponse, en réplique et en intervention régulièrement échangés;

    Vu le rapport de M. J.-Fr. NEURAY, premier auditeur chef de section au Conseil d'État;

    Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

    Vu l’ordonnance du 5 avril 2013 qui accueille la requête en intervention introduite le 11 octobre 2012 par XXXX, la société en commandite «IMMOASS» et XXXX;

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    Vu l'ordonnance du 9 février 2016, notifiée aux parties, convoquant celles-ci à comparaître le 1er mars 2016 à 9 heures 30;

    Entendu, en son rapport, M. M. LEROY, président de chambre;

    Entendu, en leurs observations, Me V. LETELLIER, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, Mes M. UYTTENDAELE et P. MINCIER, avocats, comparaissant pour la partie adverse et Me Fr. KRENC, avocat, comparaissant pour les parties intervenantes;

    Entendu, en son avis conforme, M. J.-Fr. NEURAY, premier auditeur chef de section;

    Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

    Faits

    Considérant que les faits utiles à l’examen du recours ont été exposés dans l’arrêt n° 222.075 du 15 janvier 2013;

    Interventions

    Considérant que les intervenants demandent que leur identité ne soit pas mentionnée dans l’arrêt; qu’en application de l’article 2 de l’arrêté royal du 7 juillet 1997 relatif à la publication des arrêts et des ordonnances de non-admission du Conseil d’État, il ne peut être fait droit à cette demande qu’en ce qui concerne les personnes physiques; que l’identité des intervenants sera omise lors de la publication de l’arrêt, sauf en ce qui concerne la 14e intervenante, qui est une personne morale;

    Recevabilité

    Considérant que les intervenants contestent que les requérants (3) à (18) aient intérêt au recours aux motifs :

     qu’ils n’établissent pas qu’ils se livrent à la prostitution;  que si c’est le cas, l’intérêt associé à la pratique de la prostitution est illégitime pour être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs; qu’en particulier, les requérants indiquent notamment que «l’acte attaqué interdit le racolage», comportement qui est réprimé par l’article 380bis du Code pénal; qu’ils ne pourraient se prévaloir de la poursuite d’une activité pénalement répréhensible;  que l’activité en question est, indépendamment de toute considération morale, de nature à porter atteinte à la dignité des personnes qui sont contraintes de la

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    pratiquer: elle participe d’un système visant à exploiter des personnes humaines selon une logique marchande, la personne étant considérée comme une chose dont on peut user et abuser pour satisfaire un plaisir sexuel;  qu’en toute hypothèse, les requérants ne pourraient s’en prendre à l’article 2,

    § 2, du règlement en cause qui porte qu’«il est également interdit d’utiliser ou de s’apprêter à utiliser les services à connotation sexuelle proposés sur l’espace public dans le périmètre visé à l’article 1er; que seuls les clients des prostitués pourraient poursuivre l’annulation de cette disposition;

    Considérant que la prostitution n’est pas une activité interdite; que l’intérêt des requérants à poursuivre l’annulation d’un règlement qui limite la possibilité de l’exercer n’est pas illégitime; que le recours est recevable;

    Fond

    Considérant que les requérants prennent un premier moyen de la violation des articles 121 et 135, § 2, de la nouvelle loi communale, de l’absence de base juridique de l’acte attaqué, de l’incompétence de son auteur et de l’excès de pouvoir; qu’ils exposent que:

     au préambule du règlement attaqué sont visés indifféremment les articles 117,

    119, 119bis, 121, 133 et 135, § 2, de la nouvelle loi communale, alors que ces dispositions ont des contenus et des fins spécifiques et ne sont pas librement interchangeables;  l’article 2, § 1er, du règlement attaqué interdit le racolage quand cette infraction est déjà inscrite à l’article 380bis du Code pénal, qui punit l’incitation à la débauche, avec pour résultat de déplacer une infraction du champ de l’action pénale vers celui de la répression administrative; or, si l’article 121 de la nouvelle loi communale autorise l’intervention des autorités locales, leurs règlements devraient nécessairement venir compléter le dispositif général existant, et non s’y substituer;  les travaux préparatoires de la proposition dont est issue la loi du 21 août

    1948 supprimant la réglementation officielle de la prostitution indiquent qu’il n’est pas permis aux communes d’interdire des comportements, comme l’offre de prostitution, qui sont déjà incriminés par des dispositions particulières;  si l’article 119bis de la nouvelle loi communale écarte ce principe en permettant de sanctionner d’amendes administratives des agissements déjà appréhendés par la loi pénale, les faits qui justifient l’intervention de l’autorité locale sont énumérés limitativement par la loi et le racolage sur la voie publique ne figure pas au nombre de ces «infractions mixtes»;

    Considérant qu’en réplique, les requérants font valoir que:  en principe, l’intervention des autorités fondée sur la disposition générale que constitue l’article 135, § 2, de la loi communale ne peut se prévaloir de considérations d’ordre moral, l’article 121 du même dispositif faisant figure d’exception;

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     en conséquence, c’est l’article 121 qui constitue la seule base juridique admissible du règlement attaqué et, en invoquant la première pour réprimer les clients des prostitués, ses auteurs ont fait montre d’incohérence;

     aux termes de la loi, les règlements adoptés sur la base de l’article 121 ne peuvent que compléter et renforcer les dispositifs existants, comme c’est expressément prévu en matière de prévention des incendies;

     les travaux préparatoires de la loi du 21 août 1948 supprimant la réglementation officielle de la prostitution portent notamment les passages suivants: ◦ «La question est trop grave pour être abandonnée à la réglementation communale. C’est au législateur qu’il appartient de définir les actes qui portent atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs» (développements de la proposition de loi);

    ◦ «La proposition ne prévoit pas seulement l’abolition de la réglementation en supprimant l’article 96 de la loi communale du 30 mars 1836 [...], mais prévoit à partir de son article 2 de nombreuses mesures pour rendre plus difficile l’exercice de la prostitution en général, de même que des peines assez sévères pour les prostituées, les souteneurs et ceux qui profitent de cette déchéance. […] En ce qui concerne le racolage, ou bien la provocation est assez manifeste pour troubler la tranquillité publique et alors elle tombe sous le coup des lois générales, ou bien elle consiste en des actes, qui en eux-mêmes et accomplis par tout individu non suspect, sont regardés comme parfaitement licites et innocents, alors qu’ils sont le prétexte pour l’arrestation des prostituées. Il s’agit d’un régime d’exception, que l’État doit abandonner pour retourner au droit commun.» (rapport de la commission de la...

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