Décision judiciaire de Conseil d'État, 8 avril 2016

Date de Résolution 8 avril 2016
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 234.324 du 8 avril 2016

G./A.218.734/VI-20.736

En cause : 1. la société privée à responsabilité limitée DAKE INVEST, 2. la société privée à responsabilité limitée L'AIR CHIC,

ayant élu domicile chez

Mes Benoît CAMBIER, Fabien HANS et Thomas CAMBIER, avocats, avenue Winston Churchill, n° 253/40, 1180 Bruxelles,

contre :

l'Etat belge, représenté par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,

ayant élu domicile chez

Me Jean-François DE BOCK, avocat, chaussée de Waterloo 612 1050 Bruxelles

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE PRESIDENT DE LA VIe CHAMBRE DU CONSEIL D'ETAT, SIEGEANT EN REFERE,

  1. OBJET DE LA REQUETE

    Par une requête introduite par télécopie le 15 mars 2016 et par recommandation postale le 16 mars 2016, la société privée à responsabilité limitée DAKE INVEST et la société privée à responsabilité limitée L'AIR CHIC sollicitent, selon la procédure d'extrême urgence, la suspension de l'exécution de "l'arrêté royal du 15 février 2016 relatif à la fabrication et à la mise dans le commerce des cigarettes électroniques, publié le 3 mars 2016".

  2. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

    Une ordonnance du 16 mars 2016, notifiée aux parties, convoque celles-ci à comparaître le 24 mars 2016 à 10 heures 30.

    VIr – 20.736 - 1/48

    Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat ont été acquittés dans le délai prescrit.

    La partie adverse a fait parvenir une note d'observations et le dossier administratif.

    M. le Président de chambre, Jacques JAUMOTTE, a exposé son rapport.

    Mes Fabien HANS et Thomas CAMBIER, avocats, comparaissant pour les parties requérantes et Me Charlotte HUART, loco Me Jean-François DE BOCK, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

    M. le Premier auditeur au Conseil d'Etat, Christian AMELYNCK, a été entendu en son avis contraire.

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

  3. EXPOSE DES FAITS

    III.1. Les requérantes font valoir qu'elles sont commerçantes dans le secteur des cigarettes électroniques depuis plusieurs mois.

    Elles déclarent disposer de plusieurs commerces : la SPRL L'AIR CHIC dispose de commerces à Chatelineau, Hornu, La Louvière et Anderlecht ; la SPRL DAKE INVEST dispose de commerces à Charleroi et à Bruxelles.

    III.2. Les requérantes mettent également l'accent sur la spécificité de ce commerce par comparaison au commerce des produits du tabac.

    En effet, pour la consommation de cigarettes électroniques, les consommateurs acquièrent essentiellement les produits suivants :

    - les flacons de liquide contenant une proportion de nicotine ; - et les cigarettes et les accessoires que l'acte attaqué définit comme : " un produit, ou tout composant de ce produit, y compris une cartouche, un réservoir et le dispositif dépourvu de cartouche ou de réservoir, qui peut être utilisé, au moyen d'un embout buccal, pour la consommation de vapeur contenant de la nicotine. Les cigarettes électroniques peuvent être jetables ou rechargeables au moyen d'un flacon de recharge et un réservoir ou au moyen de cartouches à usage unique".

    VIr – 20.736 - 2/48

    Les requérantes poursuivent en précisant que cette "activité diffère sensiblement de celle liée à la commercialisation des produits du tabac dans la mesure où il s'agit d'une activité de niche qui est exploitée par une quarantaine de magasins spécialisés sur le territoire du Royaume" et que, comme " le relève le législateur européen dans le cadre de la directive 2014/40/UE servant de fondement à l'acte attaqué, le secteur de la commercialisation des produits du tabac est caractérisé par «la propension des fabricants de produits du tabac à concentrer leur production pour toute l'Union dans un nombre restreint d'usines de production au sein de l'Union et l'ampleur du commerce transfrontalier des produits du tabac et des produits connexes». Il en résulte que la fabrication et l'importation de produits du tabac est centralisée autour de quelques grands acteurs qui se chargent de la distribution auprès de commerçants distributeurs, ces derniers ne s'occupant donc absolument pas des aspects relatifs à l'importation de ces produits. ".

    Elles exposent encore qu'à " l'inverse du commerce des produits du tabac, la fabrication et la distribution des produits liés à la cigarette électronique ne sont pas organisées autour de grands acteurs du secteur, ce qui implique que chaque commerçant est lui-même importateur des produits qu'il entend mettre en vente. Les requérantes, tout comme les autres commerçants du secteur, importent donc elles-mêmes tous ces produits qu'elles se procurent auprès de distributeurs étrangers" et il " en résulte, donc, que chaque commerçant, distributeur des produits de cigarette électronique, est également un importateur de ces produits au sens de l'arrêté attaqué.".

    III.3. La partie adverse retrace, pour sa part, comme suit le cadre légal et les rétroactes qui ont conduit à l'adoption de l'acte attaqué : " 1. La cigarette électronique ou e-cigarette connaît un succès grandissant dans l'Union européenne et en Belgique.

    Il s'agit d'un appareil électronique présenté sous forme d'une cigarette, d'un cigare ou encore d'une pipe. Cet appareil contient une capsule remplie d'un liquide et une batterie équipé d'un système de chauffe à commande électronique. Le système de chauffe permet au liquide présent dans la capsule de s'évaporer, pour ensuite être inhalée par l'utilisateur (…).

    La composition de ces «e-liquides» est diverse : certains contiennent de la nicotine, d'autres pas; certains sont conçus à base de propylène glycol, d'autres de terpènes (menthol, linalol); ils peuvent également contenir des arômes attractifs (chocolat, menthe,..) ou des extraits de tabac (…).

    1. Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 15 février 2016 [à savoir l'acte attaqué], les cigarettes électroniques étaient classées selon trois catégories (…) :

      - les cigarettes qui contiennent des extraits de tabac sont considérées comme des «produits de tabac» et sont régies par les mêmes règles que les cigarettes classiques;

      VIr – 20.736 - 3/48

      - les cigarettes électroniques sans extrait de tabac, sans nicotine et sans allégation d'aide à l'arrêt. Elles peuvent être légalement mises dans le commerce si elles répondent aux dispositions du Code de droit économique relatives à la sécurité des produits. Normalement, seuls ces produits peuvent être vendus dans les magasins ;

      - les cigarettes électroniques qui font l'objet du présent recours, c'est-à-dire qui contiennent de la nicotine, et qui sont considérées comme des médicaments.

    2. En effet, la nicotine est une substance connue pour son activité pharmacologique et est utilisée dans plusieurs produits de substitution du tabac comme les patchs, les chewing-gums et les inhalateurs à la nicotine (…).

      Les cigarettes électroniques et les flacons de recharge entraient dans le champ d'application de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments.

      Partant, pour l'ensemble de ces produits, il était nécessaire d'obtenir une autorisation de mise sur le marché auprès de l'agence fédérale des médicaments et produits de santé (ci-après «afmps») : «Art. 6. § 1er. Aucun médicament ne peut être mis sur le marché sans qu'une autorisation de mise sur le marché, ci-après dénommée " AMM " n'ait été octroyée, soit par le ministre ou son délégué conformément aux dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution, soit par la Commission européenne conformément au droit communautaire».

      Seuls les pharmaciens visés à l'article 4, § 1er, de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé (…) étaient habilités à délivrer des cigarettes électroniques et les flacons de recharge y relatifs.

      L'article 16 de cette loi prévoit que le non-respect de ces obligations est pénalement sanctionné : «Art. 16. Sans préjudice des peines comminées par le Code pénal : (…) § 3. Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de (200 EUR à 15 000 EUR) ou d'une de ces peines seulement : 1°) celui qui contrevient aux dispositions de l'article 3, §§ 2, 3 ou 4, de l'article 6, (…)».

      Aucune entreprise n'a introduit de demande d'autorisation de mise sur le marché fondée sur les dispositions qui précèdent, de sorte que la vente des e-cigarettes contenant de la nicotine était interdite à la vente en Belgique.

    3. Le 3 avril 2014, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne adoptent la directive 2014/40/UE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (ci-après «la Directive 2014/40/UE) (…).

      Il est considéré, notamment concernant les cigarettes électroniques, que d'importants écarts subsistent entre les règlementations des différents Etats membres. Au vu de l'évolution de la science, du marché et du contexte international, ces divergences devraient s'accroître, raison pour laquelle une intervention législative au niveau de l'Union européenne est nécessaire (Considérants nos 4 et 6 de la Directive 2014/40/UE).

      La France, par exemple, n'a pas considéré les cigarettes électroniques contenant de la nicotine comme des médicaments de sorte que les ressortissants belges s'y approvisionnaient, au détriment des commerçants belges qui ne pouvaient commercialiser que des cigarettes ne contenant pas de nicotine.

      VIr – 20.736 - 4/48

      5. Le 36ème considérant de la directive 2014/40/UE précise que la réglementation des cigarettes électroniques et des flacons de recharge doit prendre en compte un niveau élevé de protection de la santé...

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