Décision judiciaire de Conseil d'État, 12 octobre 2012

Date de Résolution12 octobre 2012
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 220.988 du 12 octobre 2012

G./A.200.363/VI-19.130

En cause : BOUDHAN Abdeslam,

ayant élu domicile chez

Me Ronald FONTEYN, avocat, rue de Florence, nº 13, 1000 Bruxelles,

contre :

la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement,

ayant élu domicile chez

Me Jérôme SOHIER, avocat, avenue Emile De Mot, nº 19, 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE CONSEIL D'ETAT, VIe CHAMBRE,

  1. OBJET DE LA REQUETE

    Par une requête introduite le 27 mai 2011, Abdeslam BOUDHAN demande l'annulation de la décision prise par le fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-capitale le 29 mars 2011 déclarant son recours recevable mais non fondé et confirmant le montant de l’amende administrative de 12.900 euros pour le logement situé rue des Commerçants, 59A à 1000 Bruxelles (rez-de-chaussée).

  2. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

    Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

    Le dossier administratif a été déposé.

    Mme l'Auditeur au Conseil d'Etat, Nathalie VAN LAER, a rédigé un rapport.

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    Le rapport a été notifié aux parties. La partie requérante a déposé un dernier mémoire.

    Une ordonnance du 20 juillet 2012, notifiée aux parties, fixe l'affaire à l'audience du 19 septembre 2012.

    M. le Conseiller d'Etat, Yves HOUYET, a exposé son rapport.

    Me Ronald FONTEYN, avocat, comparaissant pour la partie requérante et Me Jérôme SOHIER, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

    Mme l'Auditeur, Nathalie VAN LAER, a été entendue en son avis conforme.

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

  3. EXPOSE DES FAITS

    Les faits utiles à l’examen du recours sont les suivants :

  4. 1. A la suite d’une plainte, introduite le 19 août 2010 par le locataire du logement situé rue des Commerçants, 59A à 1000 Bruxelles (rez-de-chaussée), qui appartient au requérant, les services de la partie adverse procèdent, le 12 octobre 2010, à la visite de ce logement.

  5. 2. Le 8 novembre 2010, l’inspection régionale du Logement prononce, d’une part, une interdiction immédiate de continuer à mettre le logement en location ou de le louer ou de le faire occuper et, d’autre part, estime le montant total de l’amende administrative à 12.900 euros sous réserve des observations et moyens à faire valoir par le bailleur.

  6. 3. Le requérant ne s’étant pas présenté à l’audition annoncée dans le courrier du 8 novembre 2010 et n’ayant demandé aucune remise, l’amende administrative de 12.900 euros est confirmée le 21 février 2011.

  7. 4. Le 28 février 2011, le requérant introduit un recours contre cette décision auprès du fonctionnaire délégué de la Région de Bruxelles-capitale. Par un courrier du 2 mars 2011, la partie adverse accuse réception de ce recours en rappelant qu’à défaut

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    de décision dans les trente jours, la décision de l’inspection régionale du Logement serait confirmée.

  8. 5. Par un courrier du 15 mars 2011, le conseil du requérant complète ce recours.

  9. 6. Le 29 mars 2011, le fonctionnaire délégué déclare le recours recevable mais non fondé et confirme, en conséquence, le montant de l’amende de 12.900 euros. Il s’agit de l’acte attaqué.

  10. PREMIER MOYEN

  11. 1. Arguments des parties

    A. Thèse du requérant

    Le requérant soulève un premier moyen pris de la violation des articles 10, 11 et 159 de la Constitution ainsi que de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1955 et approuvée par la loi du 13 mai 1955.

    Il fait valoir que l'amende administrative lui a été infligée à la suite d'une procédure ne lui permettant pas de faire valoir des circonstances atténuantes alors qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que, dans le cadre d'une procédure pénale, l'auteur peut faire valoir des causes de justification et des circonstances atténuantes lui permettant de voir le montant de l'amende diminuer en-deçà du minimum légal. Il en déduit qu’il doit pouvoir bénéficier des garanties visées à l'article 6 précité, en ce compris la possibilité de faire valoir des causes de justification.

    Il expose qu’en l'occurrence, il peut faire valoir les circonstances atténuantes suivantes :

    - il vit lui-même dans l’immeuble concerné; - il n’a pas agi dans un but de lucre mais pour accueillir son fils qui venait de l'étranger; - la réalité du bail est sujette à caution; - il s'est comporté comme exécutant une obligation naturelle et familiale; - la réclamation d'un loyer est quasi-concomitante au dépôt de la plainte et l'a manifestement suggérée.

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    Il soutient que l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement ne prévoit nullement la possibilité d'invoquer des causes de justification ou des circonstances atténuantes afin de diminuer le montant de l'amende administrative en-deçà du minimum légal et qu’il en résulte une différence de traitement entre les personnes faisant l'objet d'une amende pénale dans le cadre d'une procédure administrative et les personnes qui se voient infligées une amende pénale à la suite d'une procédure pénale.

    Il ajoute que la procédure prévue par le Code bruxellois du Logement est illégale de telle sorte que son application doit être écartée en vertu de l'article 159 de la Constitution et sollicite que soit posée à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

    " L'article 15 de l'Ordonnance du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du

    Logement viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'autorité administrative statue au terme d'une procédure qui ne permet au justiciable d'invoquer des circonstances atténuantes afin de diminuer le montant de l'amende administrative en-deçà du minimum légal alors que les justiciables faisant l'objet d'une amende pénale au terme d'une procédure pénale peuvent voir le montant de leur amende diminué suite à l'invocation de circonstances atténuantes?".

    B. Mémoire en réponse

    La partie adverse répond qu’en ce qu’il vise l’application de l’article 159 de la Constitution, le moyen manque manifestement en droit car cet article 159 ne confère au juge que le pouvoir d’écarter des règlements et arrêtés considérés comme illégaux et non des ordonnances votées par le Parlement régional de Bruxelles-Capitale qui ont valeur législative.

    Elle ajoute qu’à supposer que le requérant entende viser, en réalité, l’article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, qui confère aux juridictions le pouvoir de contrôler les ordonnances, cette disposition n’est pas invoquée à l’appui du moyen et ne peut plus être soulevée dans le cours ultérieur de la procédure.

    Elle fait valoir que le moyen manque en droit étant donné qu’il part du postulat que l’acte attaqué serait une mesure à caractère pénal alors qu’il constitue exclusivement une sanction administrative, exclusive de tout caractère pénal. Elle explique que le choix du législateur, de recourir à des sanctions administratives pour

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    réprimer certains comportements portant atteinte à l’intérêt général, n’est pas critiquable en soi.

    Elle indique que le requérant ne précise pas la catégorie de personnes à laquelle le bailleur sanctionné devrait être comparé en l’espèce, sinon, de manière générale, toute personne prévenue dans le cadre d’une procédure pénale, alors qu’il n’existe pas de poursuites pénales pour les bailleurs sanctionnés dans le cadre de l’article 15 du Code bruxellois du Logement.

    Elle en déduit que, s’agissant de procédures et de sanctions totalement différentes avec des effets distincts, il n’y a pas lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle.

    Subsidiairement, elle soutient que le requérant n’a nullement fait valoir de circonstances atténuantes à l’appui de son recours administratif devant le fonctionnaire délégué mais qu’il s’est limité à contester l’existence d’un bail et à faire valoir que, s’il n’a jamais donné suite aux courriers antérieurs de l’inspection régionale du Logement, c’est parce que ces courriers avaient été détournés par son fils.

    Elle expose qu’un contrat de bail a bien été conclu le 1er septembre 2008 entre le requérant et son fils, auquel il a effectivement réclamé des loyers, tout en le menaçant d’expulsion en cas de non-paiement. Elle explique que les envois recommandés de l’inspection régionale du Logement ont été adressés au domicile du requérant. Elle indique que le fonctionnaire délégué a constaté dix-neuf infractions lors de la visite des lieux.

    Elle fait valoir que, par un arrêt n° 211.711 du 2 mars 2011, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger, à ce sujet, que "sans qu’il soit besoin de déterminer si le Code bruxellois du Logement s’oppose à ce que des causes de justification, telles que celles visées par l’article 71 du Code pénal, soient présentées, il suffit de constater que la première requérante ne soutient pas qu’elle aurait voulu en invoquer […]; qu’elle n’établit donc pas qu’elle ait un intérêt au moyen" et que ces considérations paraissent mutatis mutandis transposables en l’espèce, puisque le requérant n’a pas davantage invoqué des circonstances...

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