Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2022-03-10

JurisdictionBélgica
Judgment Date10 mars 2022
ECLIECLI:BE:GHCC:2022:ARR.033
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.033
Docket Number33/2022
CourtVerfassungsgerichtshof (Schiedshof)

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 33/2022
du 10 mars 2022
Numéro du rôle : 7330
En cause : le recours en annulation partielle de la loi du 22 mai 2019 « modifiant diverses dispositions en ce qui concerne la gestion de l'information policière », introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 décembre 2019 et parvenue au greffe le 18 décembre 2019, l’ASBL « Ligue des droits humains », assistée et représentée par Me C. Forget, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 4, 7, 8, 13, 14, 21 et 22 de la loi du 22 mai 2019 « modifiant diverses dispositions en ce qui concerne la gestion de l'information policière » (publiée au Moniteur belge du 19 juin 2019).
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me B. Lombaert, Me S. Adriaenssen et Me J. Simba, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 20 octobre 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Detienne et D. Pieters, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 10 novembre 2021 et l’affaire mise en délibéré.
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Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 10 novembre 2021.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au moyen unique
A.1. Le moyen unique est pris de la violation des articles 14, 15, 16, 17 et 28 de la directive (UE) 2016/680
du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil » (ci-après : la directive « police ») et des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 47 et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec les principes généraux du droit de la proportionnalité, de la transparence, de la prévisibilité, de la légalité et de l’égalité. Il est divisé en sept branches.
A.2. Le Conseil des ministres soulève l’irrecevabilité du moyen unique en raison, d’une part, du contrôle direct au regard des dispositions de la directive « police » auquel il invite la Cour et, d’autre part, de l’absence d’exposé des griefs.
Il relève que la loi attaquée s’inscrit dans un cadre légal général qui vise à assurer le respect des droits et libertés de manière structurelle. Il se réfère aux garanties prévues par les articles 28, 29 et 65, 2°, de la loi du 30 juillet 2018 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel » (ci-après : la loi du 30 juillet 2018), par les titres 5 et 7 de la même loi, par l’article 144 de la loi du 7 décembre 1998 « organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux » et par les articles 44/1 à 44/11/13 de la loi du 5 août 1992 « sur la fonction de police » (ci-après : la loi sur la fonction de police).
A.3. La partie requérante expose qu’il ressort des développements du moyen unique que celui-ci est pris de la violation des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les autres normes de référence qu’elle invoque.
En ce qui concerne les catégories particulières de données (article 44/1, § 2, de la loi sur la fonction de police)
A.4. Dans la première branche du moyen unique, la partie requérante reproche à l’article 44/1 de la loi sur la fonction de police, tel qu’il a été modifié par l’article 4 de la loi attaquée, de ne pas limiter au strict nécessaire le traitement, par les services de police, des catégories particulières de données que sont les données biométriques, les données relatives à la santé et les données génétiques.
En ce qui concerne les données biométriques, la partie requérante fait valoir que la durée de conservation de ces données n’est pas proportionnée et que l’absence d’interdiction de transmettre celles-ci est contraire au considérant 37 de la directive « police ».
En ce qui concerne les données de santé, la partie requérante soutient que la finalité du traitement est énoncée en des termes qui ne satisfont pas au critère de la légalité. Elle souligne que, dans son avis n° 9/2018 du 12 décembre 2018, l’Organe de contrôle de l’information policière (ci-après : l’Organe de contrôle) a invité le législateur à clarifier les termes « comprendre le contexte lié à la personne concernée ». Par ailleurs, selon la partie
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requérante, la durée de conservation des données de santé n’est pas proportionnée. Elle soutient en outre que la disposition attaquée ne prévoit pas des conditions d’accès plus strictes pour le traitement des données de santé, ni une interdiction de transmettre ces données, ce qui est contraire à la directive « police ». Elle estime enfin que la disposition attaquée devrait prévoir des critères d’évaluation de la qualité des données de santé, une procédure de validation ainsi qu’un mécanisme d’information préalable de l’Organe de contrôle.
En ce qui concerne les données génétiques, la partie requérante fait valoir que la finalité du traitement est trop large et qu’elle ne permet pas d’apprécier si la durée de conservation de ces données est justifiée. Elle fait également valoir que la disposition attaquée ne prévoit pas de limiter la collecte des données génétiques à « celles en rapport avec la personne concernée », ni des conditions d’accès plus strictes pour le traitement des données génétiques, ni une interdiction de transmettre ces données. Elle soutient que le traitement des données génétiques ou biométriques nécessite des exigences de sécurisation plus strictes.
La partie requérante expose par ailleurs que le législateur a omis de transposer les règles relatives aux droits de la personne concernée d’avoir accès aux données auprès du responsable du traitement et de l’autorité de contrôle prévues aux articles 14, 15 et 17 de la directive « police », qui sont toutefois un préalable indispensable à l’exercice du droit à un recours effectif. La partie requérante invite la Cour à poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
« Est-ce que les articles 42, § 2 et 38, § 2, de la loi du 30 juillet 2018 en ce qu’ils transposent l’article 17, 1
et 17, 3 de la directive ‘ police ’, peuvent être interprétés comme permettant de limiter entièrement le droit d’accès en autorisant l’autorité de contrôle à uniquement informer les personnes concernées qu’elle ‘ a procédé à toutes les vérifications nécessaires ’ ou au contraire est-ce que l’article 17, 1 de la directive ‘ police ’ impose ‘ également ’ de prévoir que le droit d’accès de la personne concernée puisse être exercé auprès du responsable du traitement, outre l’accès par l’intermédiaire de l’autorité de contrôle ? »
« Est-ce que l’article 17, 3 de la directive ‘ police ’ doit être interprété dans le sens où lorsque les droits s’exercent par l’intermédiaire de l’autorité de contrôle comme le prévoit l’article 42, § 1 de la loi du 30 juillet 2018, celle-ci peut se limiter à indiquer qu’elle a procédé à toutes les vérifications nécessaires au sens de l’article 42, § 2 de la loi du 30 juillet 2018 ou au contraire, est-ce que en l’absence de limitation totale ou partielle par la loi nationale (en l’occurrence la loi sur la fonction de police) du droit d’accès doit être interprété en ce que l’autorité de contrôle est tenue d’identifier le responsable du traitement à la demande de la personne concernée et de lui communiquer l’ensemble d’information la concernant au sens de l’article 38, § 1, de la loi du 30 juillet 2018 ? ».
A.5.1. Le Conseil des ministres observe que les griefs concernent uniquement l’article 4, 2°, de la loi attaquée, en ce qu’il insère dans la loi sur la fonction de police un second paragraphe dans l’article 44/1. Il soulève l’irrecevabilité de la première branche du moyen unique en raison de la tardiveté des griefs relatifs aux garanties insuffisantes prévues en matière de droit d’accès aux données et de droit à un recours effectif qui auraient dû être dirigés, selon lui, contre la loi du 30 juillet 2018.
A.5.2. En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres expose d’abord que le respect du critère de la légalité fait l’objet d’une appréciation particulière quant aux ingérences visant à protéger la sécurité nationale. En ce qui concerne les données de santé, le Conseil des ministres indique que la finalité d’« assurer la sécurité et [de] protéger la santé de toute personne susceptible d’entrer en contact avec les personnes concernées dans le cadre de l’intervention policière » vise à permettre que les interventions, planifiées ou non, se déroulent en toute sécurité et à éviter que les personnes présentes lors de l’intervention courent le risque d’être contaminées par une maladie infectieuse. Selon lui, dès...

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