Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2023-11-30

JurisdictionBélgica
Judgment Date28 juin 2018
ECLIECLI:BE:GHCC:2018:ARR.080
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.080
Docket Number80/2018
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)

Numéros du rôle :
6538 et 6539
Arrêt n° 80/2018
du 28 juin 2018
ARRET
En cause : les recours en annulation partielle de la loi du 4 mai 2016 relative à l’internement et à diverses dispositions en matière de Justice, introduits par R.W. et autres et par l’ASBL « Ligue des Droits de l’Homme ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite E. De Groot, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite E. De Groot,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
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I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 12 novembre 2016
et parvenue au greffe le 15 novembre 2016, un recours en annulation des articles 171, 173, 183, 196, 197, 203 et 208 à 222 de la loi du 4 mai 2016 relative à l’internement et à diverses dispositions en matière de Justice (publiée au Moniteur belge du 13 mai 2016) a été introduit par R.W., D.V., M. V.E., M.C., G.O., K. V.Z., P.L., J.C., F.M., J. V.W., R.G., D.A., M.C., J.-P. K. et Y. D.W., assistés et représentés par Me P. Verpoorten, avocat au barreau de Turnhout.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 novembre 2016
et parvenue au greffe le 15 novembre 2016, l’ASBL « Ligue des Droits de l’Homme », assistée et représentée par Me D. Dupuis, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 23, 144, d), 163, 167, § 1er, 216, alinéa 3, 221 et 224, alinéa 2, de la même loi.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 6538 et 6539 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Staelens, avocat au barreau de Bruges (dans l’affaire n° 6538);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me A. Poppe, avocats au barreau de Bruxelles (dans les affaires nos 6538 et 6539);
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 18 octobre 2017, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs R. Leysen et T. Giet, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 14 novembre 2017 et les affaires mises en délibéré.
A la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 14 novembre 2017, a fixé l'audience au 13 décembre 2017.
A l'audience publique du 13 décembre 2017 :
- ont comparu :
. Me P. Verpoorten, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 6538;
. Me D. Dupuis, pour la partie requérante dans l’affaire n° 6539;
. Me B. Staelens, pour le Gouvernement flamand;
. Me E. Jacubowitz, Me A. Poppe et Me C. Caillet, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres;
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- les juges-rapporteurs R. Leysen et T. Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt des parties requérantes dans les affaires n os 6538 et 6539
A.1.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 6538 ont le statut d’interné et ont donc intérêt à demander l’annulation d’une loi qui modifie leur statut. Il découle en outre de la jurisprudence de la Cour que l’habeas corpus est, en toutes circonstances, un aspect à ce point essentiel de la liberté du citoyen que toute personne physique se trouvant sur le territoire belge a en permanence intérêt à ce que les règles relatives à l’internement garantissent la liberté individuelle.
A.1.2. Selon l’article 3 de ses statuts, la partie requérante dans l’affaire n° 6539 a pour objet de combattre l’injustice et toute atteinte arbitraire aux droits d’un individu ou d’une collectivité. Elle défend les principes d’égalité, de liberté et d’humanisme sur lesquels se fondent les sociétés démocratiques qui ont été proclamés notamment par la Constitution belge et diverses conventions internationales. Elle soutient toute initiative tendant à la formation et à la promotion des droits et libertés et poursuit ces objectifs en dehors de tout engagement partisan ou confessionnel. Elle fait valoir que la Cour a, dans des affaires comparables, reconnu à plusieurs reprises qu’elle avait intérêt à ester en justice. La partie requérante estime avoir intérêt à postuler l’annulation de dispositions qui affectent ses objectifs statutaires.
A.1.3. Le Conseil des ministres ne conteste pas l’intérêt des parties requérantes.
Quant à l’exception soulevée par le Conseil des ministres
A.2.1. Le Conseil des ministres estime que les parties requérantes dans l’affaire n° 6538 n’indiquent pas, dans l’exposé de leurs moyens, en quoi les articles 10 et 11 de la Constitution seraient violés. Elles ne précisent pas avec quelle catégorie de personnes les internés qui relèvent du champ d’application des dispositions attaquées doivent être comparés. Etant donné qu’un moyen n’est recevable que s’il est exposé en quoi les dispositions attaquées portent atteinte à la norme de référence, le Conseil des ministres estime que le recours est irrecevable. Il observe ensuite que la Cour est invitée à contrôler directement les dispositions attaquées au regard de dispositions conventionnelles, contrôle pour lequel elle n’est pas compétente.
A.2.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 6538 relèvent que la Cour a déjà jugé que lorsque, dans le cadre d’un recours en annulation, une partie requérante invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec une disposition conventionnelle garantissant un droit fondamental, le moyen consiste en ce qu’elle estime qu’il est établi une différence de traitement en ce qu’elle se voit privée de l’exercice de ce droit fondamental par les dispositions qu’elle attaque par le recours, alors que ce droit fondamental serait, pour tout autre citoyen, garanti sans restriction. Ainsi, la partie requérante n’invite pas la Cour à contrôler directement les dispositions attaquées au regard des dispositions conventionnelles.
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Quant au fond
En ce qui concerne l’exécution de décisions judiciaires d’internement
a) L’examen psychiatrique complémentaire lors de la première audience de la chambre de protection sociale : l’article 171 de la loi du 4 mai 2016 (premier moyen dans l’affaire n° 6538)
A.3.1. Dans le premier moyen, les parties requérantes dans l’affaire n° 6538 font valoir que l’article 171 de la loi attaquée, qui abroge l’alinéa 2 de l’article 32 de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 5 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que, en vertu de la disposition attaquée, la chambre de protection sociale n’est pas compétente pour ordonner une expertise psychiatrique si elle l’estime nécessaire au début de l’exécution d’une mesure d’internement.
A.3.2. Les travaux préparatoires indiquent à tort qu’il ne semble pas nécessaire de pouvoir ordonner une expertise dès la première audience de la chambre de protection sociale, eu égard au délai relativement court qui sépare la décision d’internement et la première audience de la chambre de protection sociale. L’internement peut uniquement être ordonné à l’issue d’une expertise psychiatrique. Il est toutefois très inhabituel que le tribunal se prononce immédiatement après cette expertise. Par ailleurs, l’article 29, § 1er, de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement se fonde sur le jugement ou arrêt passé en force de chose jugée. Il se peut donc que le délai soit très long, étant donné que la procédure implique éventuellement aussi un appel ou un pourvoi en cassation. Les parties requérantes estiment dès lors qu’il n’existe aucune garantie que le rapport d’expertise, sur lequel l’ordonnance d’internement est fondée, reflète encore, au moment de la première audience de la chambre de protection sociale, l’état réel et actuel de l’interné.
A.3.3. Dans l’arrêt de principe Winterwerp c. Pays-Bas du 24 octobre 1979, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il doit s’agir d’un trouble mental suffisamment grave et actuel, établi par une expertise médicale objective pour qu’une privation de liberté en tant que personne souffrant de troubles mentaux puisse être justifiée. A la lumière de cette exigence d’actualité, la suppression de la possibilité d’ordonner une expertise psychiatrique n’est pas justifiée. En effet, la disposition attaquée prive la chambre de protection sociale de son instrument majeur lui permettant de contrôler, au moment où elle examine pour la première fois le dossier d’internement, les conditions de fond de la régularité de l’internement. Ni la composition de la chambre de protection sociale, ni le dossier qui est soumis à cette chambre ne compensent la suppression de cette possibilité.
Si la chambre de protection sociale estime que l’expertise originaire n’est plus actuelle, elle ne peut ordonner l’expertise qui est nécessaire. Le juge compétent doit toutefois, à tout moment, pouvoir ordonner une expertise médicale objective, celle-ci constituant la pierre angulaire de la protection des droits de l’homme d’un malade mental faisant l’objet d’une mesure d’internement.
A.4.1. Le Conseil des ministres affirme que la disposition en question a été abrogée parce qu’un examen psychiatrique complémentaire a été jugé inutile eu égard au bref délai qui s’écoule entre la première décision d’internement, prise sur la base d’une expertise...

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