Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2024-03-07

JurisdictionBélgica
Judgment Date07 mars 2024
ECLIECLI:BE:GHCC:2024:ARR.028
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2024:ARR.028
Docket Number28/2024
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 28/2024
du 7 mars 2024
Numéro du rôle : 7921
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 12, alinéa 1er, 2°, juncto l’article 10, 5°, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, posée par la chambre du conseil du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par ordonnance du 19 octobre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 30 janvier 2023, la chambre du conseil du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 12, alinéa 1er, 2°, juncto l’article 10, 5°, du titre préliminaire du Code de procédure pénale viole-t-il les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 47 de la Charte de l’Union européenne et avec les articles 36, 44 et 62, paragraphe 2, de la Convention du Conseil de l’Europe du 11 mai 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (à savoir la ‘ Convention d’Istanbul ’), en ce que l’infraction de viol, visée à l’article 375 du Code pénal, commise hors du territoire belge contre une victime belge ne peut pas faire l’objet de poursuites en vertu de la loi pénale belge lorsque l’inculpé ne peut pas être trouvé en Belgique dans le cadre des poursuites, alors que l’infraction de prise d’otages, visée à l’article 347bis du Code pénal, l’infraction d’homicide, visée aux articles 393 à 397 du Code pénal, ou l’infraction de meurtre pour faciliter le vol, visée à l’article 475 du Code pénal, peuvent quant à elles être poursuivies en vertu de la loi pénale belge, que l’inculpé puisse être trouvé ou non en Belgique lors des poursuites ? ».
2
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- S.V., assistée et représentée par Me Joris Van Cauter, avocat au barreau de Gand;
- L.B., assisté et représenté par Me Virginie Cottyn, avocate au barreau de Flandre occidentale, et par Me Tom Bauwens et Me Bart Martel, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Emmanuel Jacubowitz et Me Patrik De Maeyer, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 4 octobre 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin, a :
- décidé que l’affaire était en état et fixé l'audience au 8 novembre 2023;
- invité les parties à exposer, dans un mémoire complémentaire à introduire le 6 novembre 2023 au plus tard et à communiquer aux autres parties dans le même délai, leur point de vue sur la question de savoir si l’arrêt de la Cour de cassation française du 21 juin 2023, par lequel le non-lieu relatif à la plainte pénale qui a été introduite auprès de la justice française est devenu définitif, doit amener la Cour à renvoyer l’affaire devant la juridiction a quo, afin que celle-ci puisse juger s’il a été satisfait aux conditions d’application du principe non bis in idem, tel qu’il est garanti à l’article 54 de la Convention du 19 juin 1990 d’application de l'Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l'Union économique Benelux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes et à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans l’interprétation que leur donne la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 5 juin 2014 en cause de M. (C-398/12, ECLI:EU:C:2014:1057), et si, à la lumière de ces éléments, la question préjudicielle appelle encore une réponse.
Des mémoires complémentaires ont été introduits par :
- S.V.;
- L.B.;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Patrik De Maeyer et Me Daisy Daniels, avocats au barreau de Bruxelles.
À l’audience publique du 8 novembre 2023 :
- ont comparu :
. Me Joris Van Cauter et Me Catherine Gysels, avocate au barreau de Gand, pour S.V.;
. Me Tom Bauwens et Me Bart Martel, également loco Me Virginie Cottyn, pour L.B.;
3
. Me Adrien Neyrinck et Me Julien Jouve, avocats au barreau de Bruxelles, loco Me Patrik De Maeyer et Me Daisy Daniels, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Danny Pieters et Kattrin Jadin ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
S.V., qui a la nationalité belge, dépose plainte avec constitution de partie civile, le 15 avril 2022, auprès du juge d’instruction à l’encontre de L.B., qui a la nationalité française, pour faits allégués de viol, d’attentat à la pudeur et de coups et blessures volontaires, qui auraient été commis à Londres en 2016 et à Paris en 2018. Pour ces faits, S.V. a également introduit une plainte pénale auprès de la justice française. Cette plainte a abouti à un non-lieu.
Dans le cadre du règlement de la procédure, le ministère public demande à la chambre du conseil du Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, de déclarer irrecevable la constitution de partie civile, étant donné que la poursuite d’un inculpé étranger qui n’a pas pu être trouvé dans le Royaume pour ces préventions, qui portent toutes sur des faits qui auraient été commis à l’étranger, est impossible en vertu des articles 10, 10ter et 12 du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
À la demande de S.V., la chambre du conseil pose la question préjudicielle reproduite ci-dessus.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
A.1.1. S.V. estime que, si la Cour devait constater l’inconstitutionnalité des dispositions en cause, ce constat reviendrait à constater une lacune auto-réparatrice que la juridiction a quo peut combler dans l’attente d’une intervention du législateur.
A.1.2. L.B. et le Conseil des ministres font valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse. En effet, la question préjudicielle tend au constat, par la Cour, d’une lacune législative, en ce que les dispositions en cause ne prévoient pas d’exception à l’application territoriale de la loi pénale belge pour l’infraction de viol. Le principe de légalité en matière pénale s’oppose toutefois à ce que la juridiction a quo comble elle-même cette lacune et déclare l’action publique contre L.B. recevable.
A.2.1. S.V. estime que la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. Il appartient au ministère public de prendre les mesures nécessaires après l’arrêt de la Cour. Il n’est actuellement pas encore possible de savoir si la partie civile peut tirer avantage de la réponse de la Cour.
A.2.2. L.B. et le Conseil des ministres considèrent que la réponse à la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige soumis à la juridiction a quo. Même si la Cour conclut à l’inconstitutionnalité des dispositions
4
en cause, l’action publique est irrecevable étant donné qu’elle a été engagée, en contradiction avec l’article 10, 5°, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, par S.V. et non par le ministère public.
Quant au principe non bis in idem
A.3.1. Dans son mémoire complémentaire, S.V. fait valoir que le principe non bis in idem, tel qu’il est garanti par l’article 54 de la Convention du 19 juin 1990 d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (ci-après : la Convention d’application de l’Accord de Schengen) et par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne saurait être appliqué à l’affaire présentement examinée. Premièrement, l’arrêt de la Cour de cassation française du 21 juin 2023 porte uniquement sur les faits allégués des 24 et 25 septembre 2016 et sur ceux du 18 mai 2018, mais ne porte pas sur ceux du 10 avril 2018, de sorte qu’il n’est pas question d’un non-lieu pour « les mêmes faits ». Deuxièmement, l’arrêt précité de la Cour de cassation française ne saurait être considéré, à l’égard des faits allégués des 24 et 25 septembre 2016 et de ceux du 18 mai 2018, comme une « décision définitive » au sens de l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen et de l’article 50 de la Charte, dès lors que, selon le droit de la procédure pénale français, une décision de non-lieu ne revêt pas un caractère définitif, compte tenu du fait qu’une enquête pénale peut toujours être rouverte en cas de nouvelles charges. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qu’un non-lieu ne peut être considéré comme une décision définitive que si cette décision a été prise à l’issue d’une enquête approfondie sur l’affaire, ce qui n’est pas le cas dans le litige au fond. Selon S.V., la question préjudicielle appelle dès lors une réponse.
A.3.2. Dans son mémoire complémentaire, L.B. relève que l’arrêt de la Cour de cassation française du 21 juin 2023, qui constitue une « décision définitive » au sens de l’article 54 de la Convention d’application de l’Accord de Schengen et de l’article 50 de la Charte, porte sur les faits allégués des 24 et 25 septembre 2016 et sur ceux du 18 mai 2018, de sorte qu’à l’égard...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT