Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2016-05-25

JurisdictionBélgica
Judgment Date25 mai 2016
ECLIECLI:BE:GHCC:2016:ARR.071
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.071
Docket Number71/2016
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)

Numéro du rôle : 6118
Arrêt n° 71/2016
du 25 mai 2016
ARRET
En cause : le recours en annulation de l’article 12, 2°, du décret de la Région wallonne du 11 avril 2014 modifiant le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité, introduit par la Commission wallonne pour l’Energie.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
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I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 12 décembre 2014 et parvenue au greffe le 16 décembre 2014, la Commission wallonne pour l’Energie, assistée et représentée par Me E. Jacubowitz, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l’article 12, 2°, du décret de la Région wallonne du 11 avril 2014 modifiant le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité (publié au Moniteur belge du 17 juin 2014, troisième édition).
Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me J. Bourtembourg et Me F. Belleflamme, avocats au barreau de Bruxelles, et le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me T. Vermeir, avocat au barreau de Bruxelles, ont introduit des mémoires, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 24 février 2016, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs F. Daoût et T. Merckx-Van Goey, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 16 mars 2016 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 16 mars 2016.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1. La Commission wallonne pour l’Energie (ci-après : CWaPE) demande l’annulation de l’article 12, 2°, du décret de la Région wallonne du 11 avril 2014 modifiant le décret du 12 avril 2001 relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité.
A l’appui de son intérêt au recours, la partie requérante indique qu’elle est l’organisme officiel de régulation des marchés de l’électricité et du gaz en Région wallonne. Il s’agit donc d’une autorité de régulation instituée au niveau régional au sens de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (ci-après : la directive 2009/72/CE). Elle a notamment pour mission de conseiller les autorités publiques dans le domaine du marché régional de l’électricité et du gaz mais également une mission de surveillance et de contrôle des décrets et arrêtés relatifs à ce marché. Elle aurait donc intérêt à agir en annulation d’une norme de droit interne qui transpose de façon erronée une disposition de droit européen dont elle a pour mission d’assurer l’application.
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A.2.1. La partie requérante prend un moyen unique de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 35.4, 35.5 et 37 de la directive 2009/72/CE précitée.
Elle soutient qu’en imposant à l’autorité de régulation de considérer les charges de pension des agents sous statut public du gestionnaire de réseau comme des coûts non gérables, le législateur décrétal impose une décision à la partie requérante et porte atteinte à sa compétence en matière de fixation de la méthodologie tarifaire et à son indépendance par rapport à tout organe public ou privé. En opérant une distinction entre les coûts de pension liés au personnel statutaire et les coûts de pension liés au personnel contractuel, ce législateur créerait également une différence de traitement non justifiée.
A.2.2. D’après la partie requérante, en adoptant la norme attaquée, le législateur décrétal contreviendrait aux droits et obligations reconnus par la directive 2009/72/CE et la discriminerait au regard des autres autorités de régulation compétentes en matière d’établissement de la méthodologie tarifaire dans le secteur de l’électricité, en l’espèce la CREG, Brugel et le VREG qui quant à eux sont soumis à des normes de droit interne conformes aux normes de droit européen.
La partie requérante souligne qu’en vertu de l’article 12bis de la loi du 29 avril 1999 relative à l’organisation du marché de l’électricité, aucune qualification n’est donnée aux charges de pension des agents du secteur public des gestionnaires de réseau. La CREG peut donc librement, comme le lui permet la directive 2009/72/CE, décider de qualifier ses coûts de gérables ou non lors de l’établissement de sa méthodologie tarifaire. Aucune qualification n’est également donnée aux charges de pension des agents du secteur public des gestionnaires de réseau par l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 8 mai 2014
« modifiant l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-Capitale et l’ordonnance du 1er avril 2004 relative à l’organisation du marché du gaz en Région de Bruxelles-Capitale concernant des redevances de voiries en matière de gaz et d’électricité et portant modification de l’ordonnance du 19 juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles-
Capitale ». Tout comme la CREG, Brugel peut donc librement décider de qualifier les coûts liés aux charges de pension des agents du secteur public de gérables ou non lors de l’établissement de ses méthodologies tarifaires. Il en est de même en Région flamande, en vertu du décret du 14 mars 2014 « modifiant le décret relatif à l’Energie du 8 mai 2009 en ce qui concerne la transposition de la Directive de l’Union européenne 2012/27/UE du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, et l’octroi de certificats d’électricité écologique de certificats de cogénération et de garanties d’origine ».
A.2.3. La partie requérante souligne que depuis l’entrée en vigueur de la loi spéciale du 6 janvier 2014
relative à la Sixième Réforme de l’Etat, soit depuis le 1er juillet 2014, elle est compétente pour établir « les tarifs des réseaux de distribution d’électricité, à l’exception des tarifs des réseaux ayant une fonction de transport » qui sont aux mains du même gestionnaire que le réseau de transport. En ce qui concerne la Région wallonne, cette compétence est confiée à la CWaPE, autorité de régulation du marché régional wallon de l’électricité.
La partie requérante note encore qu’en vertu de l’article 35.4 et 35.5 de la directive 2009/72/CE, l’autorité nationale de régulation et son personnel doivent être en mesure d’agir de manière indépendante de tout intérêt politique ou autre et doivent pouvoir prendre des décisions de manière autonome. Elle cite de nombreux passages de la note interprétative de la Commission européenne concernant les autorités de régulation visées dans la directive 2009/72/CE, qui explicite et insiste sur la notion d’indépendance de l’autorité de régulation telle qu’elle est prévue par la directive. Il en ressortirait que la partie requérante est, depuis la mise en œuvre de la sixième réforme de l’Etat, compétente afin d’approuver les prix et plans tarifaires applicables au réseau électrique wallon et, en vertu du droit européen, qu’elle doit pouvoir exercer cette compétence de manière indépendante, sans que le législateur, le gouvernement ou tout autre organe public ou privé puisse intervenir dans le processus décisionnel.
D’après la partie requérante, en adoptant les dispositions attaquées, la Région wallonne empiète sur les compétences qui lui sont normalement dévolues et porte de surcroît atteinte à son indépendance.
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A.2.4. La qualification d’un coût comme gérable ou non gérable a un impact sur le sort de ce coût en matière de tarification. Ainsi, le solde portant sur les coûts gérables fait partie du résultat comptable du gestionnaire de réseau et est, par conséquent, intégralement imputé à ce dernier. Par contre, le solde portant sur les coûts non gérables constitue soit une créance tarifaire si le budget est inférieur à la réalité, soit une dette tarifaire si le budget est supérieur à la réalité à l’égard des clients dans leur ensemble et est transféré au compte de régularisation du bilan du gestionnaire de réseau. Ainsi, le fait que la disposition attaquée impose à la partie requérante de qualifier de non gérable l’ensemble des charges de pension des agents sous statut des gestionnaires de réseau dans la méthodologie tarifaire qu’elle élabore a un impact direct sur sa compétence et in fine sur les prix pratiqués par les gestionnaires de réseau du marché de l’électricité wallon.
A l’origine, aucune mention concernant la qualification de gérable ou non à donner aux coûts constitués par les charges des pensions des agents sous statut public des gestionnaires de réseau n’était prévue par le projet de décret. Ce n’est qu’in extremis que cette référence a été intégrée dans le décret par un amendement. Ce faisant, la Région wallonne ne se serait pas limitée à édicter des lignes directrices en matière de politique énergétique mais aurait bel et bien imposé à la partie requérante une décision contraire à la directive 2009/72/CE.
A.2.5. La partie requérante relève que la Cour de justice de l’Union européenne a déjà condamné la Belgique en raison d’une mauvaise transposition de la directive 2003/54/CE qui constitue l’ancêtre de la directive 2009/72/CE. D’après la partie...

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