Jugement/arrêt, Cour d'Appel de Bruxelles, 2021-12-17

Judgment Date17 décembre 2021
ECLIECLI:BE:CABRL:2021:ARR.20211217.19
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:CABRL:2021:ARR.20211217.19
CourtCour d'Appel de Bruxelles
Docket Number2021/KR/31

En cause de :

LA COMMUNE D'IXELLES,

partie appelante,

représentée par Me Vincent LETELLIER, avocat à 1030 Bruxelles, rue Vanderlinden 35 ;

contre

SA C.-H.,

partie intimée,

représentée par Me Valentine KEULLER et Me Quentin DE RADIGUES, avocats à 1170 Bruxelles, chaussée de La Hulpe, 150,

Vu les pièces de la procédure, et notamment :

- le jugement dont appel, prononcé contradictoirement par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles le 16 juin 2021, dont aucun acte de signification n'est produit ;

- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 16 juillet 2021 pour la Commune d'Ixelles ;

- l'ordonnance prise sur pied des articles 747, §1er et 1066, du Code judiciaire, telle que reprise dans le procès-verbal de l'audience publique du 5 août 2021 ;

- les conclusions de synthèse déposées au greffe de la cour le 10 septembre 2021 pour la Commune d'Ixelles et le 24 septembre 2021 pour la SA C.-h. ;

- les dossiers de pièces des parties.

I. Les faits

1.

La SA C.-h. est une société immobilière qui s'est spécialisée dans le « co-living », qu'elle définit comme la mise en location d'immeubles « avec de larges espaces communs et des chambres privatives pour chaque occupant, le tout géré directement par lesdits occupants dans un esprit communautaire » (ses conclusions, p. 6). A cette fin, elle a acquis en 2019 un immeuble sis à Ixelles, Clos du Cheval d'Argent.

2.

Le 27 novembre 2020, l'architecte de la Commune d'Ixelles, a écrit à la SA C.-h. afin de lui demander la transmission des plans et du projet d'aménagement du bien pour « vérifier le respect des réglementations urbanistiques », précisant qu'il était possible « qu'une visite de contrôle soit effectuée à terme ».

Le 12 janvier 2021, l'architecte de la SA C.-h. a transmis les plans demandés en précisant qu'une demande de permis serait déposée pour l'abattage d'un arbre du jardin. Cette demande a été déposée le 9 février et a été refusée.

3.

Par un courrier du 9 mars 2021, la Commune d'Ixelles a écrit à la SA C.-h. en ces termes :

« Ce projet s'apparente à un changement de destination d'une maison unifamiliale en logement collectif. Nous notons également le projet d'une modification de stabilité au sous-sol et d'un abattage d'arbre. Chacune de ces modifications implique l'obtention préalable d'un permis d'urbanisme.

Veuillez nous faire part de votre intention quant à votre projet sur ce bien dans les meilleurs délais. Si des travaux ont été entamés et nécessitent un permis d'urbanisme selon les termes repris ci-dessus, veuillez les mettre en suspens ».

Le 12 mars 2021, les conseils de la SA C.-h. ont répondu, par un courrier longuement motivé, que le projet ne requérait pas d'autre demande de permis que celle déjà déposée pour l'abattage d'un arbre. Ils demandaient à la commune de préciser sur quel fondement juridique elle se fondait pour considérer qu'un permis était nécessaire et précisaient qu'à défaut de réponse, leur cliente considérerait qu'elle pouvait poursuivre les travaux.

4.

Le 7 avril 2021, l'architecte de la commune d'Ixelles s'est rendue sur les lieux où elle a donné l'ordre verbal de cesser les travaux. Le lendemain, elle a dressé un PV d'arrêt de chantier, qui indique notamment :

« Sur place, nous avons rencontré des ouvriers lesquels nous ont volontairement ouvert la porte et nous ont laissé visiter le bien en leur compagnie.

Sur les lieux, nous avons constaté :

Un chantier en cours dont l'objet est de convertir une maison familiale en 9 logements unipersonnels (chambres individuelles équipées de toilettes et salles de bain privatives), avec partage d'espaces communs (séjour, cuisine et coin TV) en demi-sous-sol, sans permis d'urbanisme ».

Ce procès-verbal a été notifié au Procureur du Roi, au fonctionnaire sanctionnateur et à la SA C.-h. le 15 avril 2021.

5.

Par un courrier du 9 avril 2021, les conseils de la SA C.-h. ont critiqué cet ordre de cessation des travaux, dénonçant l'absence de réaction à leur courrier du 12 mars 2021.

Quelques jours plus tard, la présente procédure a été introduite.

II. La procédure

6.

L'action principale originaire, mue par citation du 23 avril 2021 par la SA C.-h. tendait à entendre :

- à titre principal, déclarer la visite à caractère domiciliaire illégale et dès lors déclarer l'établissement du procès-verbal et tous les actes entrepris suite à cette visite nuls et non avenus,

- à titre subsidiaire, dans le cas contraire, constater qu'aucune infraction à l'article 98, §1er du Cobat n'avait été commise,

- en conséquence, supprimer avec effet immédiat l'interdiction litigieuse des travaux.

Dans ses dernières conclusions, la Commune d'Ixelles concluait à l'absence de fondement de la demande.

Par jugement du 16 juin 2021, le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant comme en référé, a déclaré la demande principale recevable et partiellement fondée. Il a supprimé avec effet immédiat l'ordre d'arrêt des travaux entrepris dans le bien litigieux et condamné la Commune d'Ixelles aux dépens.

7.

Relevant appel de cette décision, la Commune d'Ixelles demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de déclarer la demande originaire irrecevable ou à tout le moins non fondée.

La SA C.-h. conclut à l'absence de fondement de l'appel. Elle forme un appel incident par lequel elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré légale la visite à caractère domiciliaire et, par conséquent, de déclarer l'établissement du procès-verbal et tous les actes entrepris suite à cette visite, nuls et non avenus.

III. Discussion et décision de la cour

8.

La Commune d'Ixelles conclut dans son dispositif à l'irrecevabilité de la demande originaire. Elle ne forme cependant aucun moyen au soutien de cette exception d'irrecevabilité.

Pour le surplus, la cour constate que cette demande a été introduite selon les formes prévues par l'article 302, al. 5 du Code bruxellois de l'aménagement du territoire (CoBAT) et que rien ne permet de remettre en cause sa recevabilité.

9.

La cour examinera successivement la question de la régularité de la visite des lieux (A), de l'existence d'infractions (B) et des dépens.

A. La régularité de la visite

10.

La SA C.-h. considère que la visite du 7 avril 2021 était illégale de sorte qu'il convient de tenir pour nuls et non avenus les constats qui ont été réalisés sur cette base. Elle invoque les articles 15 et 22 de la Constitution ainsi que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après, la CEDH).

11.

Si la violation du domicile est interdite par l'article 411 du Code pénal, une intrusion dans le domicile est possible à condition de respecter les conditions imposées par l'article 15 de la Constitution et l'article 8.2 de la CEDH (M. Pâques, « Constitutionnalité des visites domiciliaires et des perquisitions administratives », in L'environnement, le droit et le magistrat, Bruxelles, Larcier, 2021, p. 645).

L'article 301, alinéa 2 du CoBAT autorise les agents compétents pour constater des infractions urbanistiques visées par l'article 300 de ce code à accéder « au chantier et aux bâtiments pour faire toutes recherches et constatations utiles ». L'alinéa 3 précise que, lorsque « les opérations revêtent le caractère de visites domiciliaires », ces agents « ne peuvent y procéder que s'il y a des indices d'infraction, que la personne présente sur place y a consenti ou à condition d'y être autorisés par le juge de police ».

12.

Encore faut-il que le lieu visé puisse être qualifié de domicile au sens des dispositions précitées.

La Cour de cassation définit le domicile, au sens de l'article 15 de la Constitution, comme étant le lieu, en ce compris les enclaves ou dépendances propres « y encloses, occupé par une personne en vue d'y établir sa demeure ou sa résidence réelle et où elle a droit, à ce titre, au respect de son intimité, de sa tranquillité et plus généralement de sa vie privée » (Cass., 21 octobre 1992, Pas., 1993, I, n° 673 ; Cass., 23 juin 1993, Pas., I, p. 613 ; Cass., 21 avril 1998, Pas., I, p. 204 ; Cass., 20 décembre 2000, Pas., I, p. 713 et s. ; Cass., 8 septembre 2004, Pas., I, n° 391 ; Cass., 8 avril 2014, Pas., I, n°928).

Certains auteurs considèrent cependant que cette définition est trop restrictive, et qu'il faudrait l'élargir de façon à tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'article 8.2 de la CEDH, et viser « tout endroit utilisé comme logement,

résidence ou lieu d'activité par une personne physique ou morale, au sein duquel un individu a le sentiment d'être dans...

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