Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-12-23

JurisdictionBélgica
Judgment Date23 décembre 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.190
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.190
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)
Docket Number190/2021

Numéro du rôle : 7531

Arrêt n° 190/2021

du 23 décembre 2021

ARRÊT

________

En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 61, 1°, de la loi du 2 octobre 2017

« réglementant la sécurité privée et particulière », posées par le Conseil d'État.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, R. Leysen,

J. Moerman, M. Pâques et D. Pieters, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le

président L. Lavrysen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet des questions préjudicielles et procédure

Par l'arrêt n° 249.999 du 8 mars 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour

le 11 mars 2021, le Conseil d'État a posé les questions préjudicielles suivantes :

« L'article 61, 1°, de la loi du 2 octobre 2017 ‘ réglementant la sécurité privée et

particulière ' viole-t-il le principe d'égalité consacré par les articles 10 et 11 de la Constitution,

en ce que, d'une part, cette disposition prévoit une exception pour les condamnations pour

infraction à la loi relative à la police de la circulation routière, mais ne prévoit pas d'exception

pour les condamnations du chef d'autres infractions comparables, telles que l'infraction à la loi

pénale pour coups et blessures involontaires dans le cadre d'un accident de la circulation, et

que, d'autre part, cette disposition ne fait pas de distinction entre les condamnations du chef de

toutes les infractions autres que les infractions à la loi relative à la circulation routière et que,

par conséquent, une condamnation du chef d'infraction à la loi pénale pour coups et blessures

involontaires dans le cadre d'un accident de la circulation est traitée exactement de la même

manière que les condamnations du chef d'autres infractions à la loi pénale ? »;

« L'article 61, 1°, de la loi du 2 octobre 2017 ‘ réglementant la sécurité privée et

particulière ' viole-t-il le droit au travail et, en particulier, le droit au libre choix d'une activité

professionnelle, garantis par les articles 22 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec

l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il refuse

automatiquement l'accès aux professions visées à l'article 60 de la loi précitée du 2 octobre

2017 et, en particulier, à la profession d'agent de gardiennage, à toute personne qui a été

condamnée à une quelconque peine correctionnelle ou criminelle au sens de l'article 7 du Code

pénal, ou à une peine similaire à l'étranger, à l'exception des infractions à la loi relative à la

police de la circulation routière, sans que la nature et la gravité des faits pénalement punissables,

le contexte dans lequel ils se sont produits, l'ancienneté des faits, la récidive, l'incidence des

faits pénalement punissables sur le profil requis pour la fonction concernée et la personnalité

du demandeur de la carte d'identification fassent l'objet d'une quelconque appréciation ? ».

Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :

- W. D.D., assisté et représenté par Me S. De Pourcq, avocat au barreau de Gand;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Butenaerts et

Me A. Hoedenaeken, avocats au barreau de Bruxelles.

Par ordonnance du 20 octobre 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs

D. Pieters et M. Pâques, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue,

à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la

notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les

débats seraient clos le 10 novembre 2021 et l'affaire mise en délibéré.

Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le

10 novembre 2021.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives

à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

W. D.D. est employé comme agent de gardiennage depuis novembre 2000.

Le 6 décembre 2018, il provoque un accident de la circulation au cours duquel des coups ou blessures

involontaires sont infligés. Pour ces faits, entre autres, le Tribunal de police de Flandre orientale, division de

Gand, le condamne par jugement du 17 janvier 2020 à une amende de 50 euros, pour moitié avec sursis, majorée

des décimes additionnels.

Le 29 avril 2020, son employeur, l'entreprise de gardiennage agréée SA « Securitas », demande à son agent

de faire renouveler sa carte d'identification afin qu'il puisse rester actif comme membre du personnel d'exécution

dans le secteur de la sécurité privée et particulière.

Par une décision du 4 février 2021, le ministre de l'Intérieur refuse de renouveler la carte d'identification de

W.D.D. Selon le ministre, W.D.D., du fait de sa condamnation par le tribunal de police, ne satisfait pas à la

condition fixée à l'article 61, alinéa 1er, 1°, de la loi du 2 octobre 2017 « réglementant la sécurité privée et

particulière » (ci-après : la loi du 2 octobre 2017), qui prévoit que des personnes qui souhaitent exercer une

fonction de gardiennage pour une entreprise ou un service interne ne peuvent avoir été condamnées, même avec

sursis, à une quelconque peine correctionnelle ou criminelle, telle que visée à l'article 7 du Code pénal, ni à une

peine similaire à l'étranger, à l'exception des condamnations pour infraction à la réglementation relative à la police

de la circulation routière.

W.D.D. introduit une demande de suspension de cette décision en extrême urgence auprès du juge a quo.

Celui-ci observe que le fait que W.D.D. a causé, par un défaut de prévoyance ou de précaution et sans circonstance

aggravante, un accident de la circulation ayant fait un blessé, ne jette pas le discrédit sur l'état d'esprit et la fiabilité

qui sont attendus de lui dans l'exercice la fonction de membre du personnel d'exécution dans le secteur du

gardiennage. Selon le juge a quo, il y a dès lors lieu de se demander si la distinction qui est faite à l'article 61,

alinéa 1er, 1°, de la loi du 2 octobre 2017 entre, d'une part, des condamnations correctionnelles et criminelles et,

d'autre part, des condamnations pour infractions à la réglementation relative à la police de la circulation routière,

ou, au contraire, l'absence d'une telle distinction quant à la nature des condamnations correctionnelles et

criminelles, est pertinente à la lumière de l'objectif légitime poursuivi par le législateur.

Le juge a quo pose dès lors les questions préjudicielles reproduites plus haut.

III. En droit

-A-

A.1.1. Le requérant devant le juge a quo estime que l'article 61, alinéa 1er, 1°, de la loi du 2 octobre 2017

est triplement contraire au principe d'égalité.

A.1.2. Premièrement, la disposition précitée fait naître une différence de traitement non objectivement et

raisonnablement justifiée entre, d'une part, des condamnations pour une infraction à la loi relative à la police de

la circulation routière et, d'autre part, des condamnations pour d'autres infractions.

Selon le requérant devant le juge a quo, une condamnation pour coups et blessures involontaires dans le cadre

d'un accident de la circulation est comparable à une simple condamnation pour une infraction à la loi relative à la

police de la circulation routière, parce qu'il s'agit dans les deux cas de situations qui se produisent dans la

circulation et qui n'ont aucune incidence sur les qualités professionnelles d'un agent de gardiennage.

Si cette différence de traitement est fondée sur un objectif légitime, elle ne repose cependant pas sur un critère

de distinction objectif, pertinent et raisonnable, puisque, selon le législateur, les condamnations pour des

infractions à la réglementation relative à la circulation routière ne constituent généralement pas un risque social

pour l'exercice des activités dans le secteur de la sécurité privée. Le requérant devant le juge a quo renvoie à cet

égard à l'avis de la section de législation du Conseil d'État concernant le projet d'article qui est devenu l'article 61,

alinéa 1er, 1°, de la loi du 2 octobre 2017, ainsi qu'aux considérants de l'arrêt de renvoi.

A.1.3. Deuxièmement, la disposition précitée fait naître une égalité de traitement entre des catégories de

condamnations différentes. Une condamnation correctionnelle pour vol ou coups et blessures volontaires est en

effet d'une tout autre nature qu'une condamnation correctionnelle pour coups et blessures involontaires dans le

cadre d'un accident de la circulation.

Si cette égalité de traitement poursuit un objectif légitime, elle n'est pas, selon le requérant, fondée sur un

critère de distinction objectif, pertinent et proportionné, dans la mesure où, comme il a été dit plus haut, des

condamnations pour coups et blessures involontaires dans le cadre d'un accident de la circulation n'ont aucune

incidence sur la fiabilité de l'agent de gardiennage concerné, ni sur ses qualités professionnelles.

A.1.4. Enfin, l'article 61, alinéa 1er, 1°, de la loi du 2 octobre 2017 fait naître une différence de traitement

entre des agents de gardiennage et d'autres fonctions du secteur de la sécurité privée, d'une part, et le personnel

du secteur de la sécurité publique, tel que la police, d'autre part, en ce que, par exemple, par rapport aux conditions

d'admission pour des fonctions d'exécution au sein de la police, il n'est prévu nulle part que le candidat ne peut

avoir encouru une condamnation correctionnelle. Aucun objectif légitime, ni motif objectif, pertinent et

raisonnable ne justifie que le personnel du secteur de la sécurité privée et particulière doive satisfaire à des

conditions plus strictes que le personnel du secteur de la sécurité publique.

A.2.1. Le Conseil des ministres estime que la première question préjudicielle invite d'un côté la Cour à

établir une comparaison entre, d'une part, la situation dans laquelle des...

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