Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-11-18

JurisdictionBélgica
Judgment Date18 novembre 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20211118.8
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20211118.8
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)
Docket Number164/2021

Numéro du rôle : 7437

Arrêt n° 164/2021
du 18 novembre 2021

ARRÊT
_________

En cause : la question préjudicielle relative à l’article 111 de la loi du 28 décembre 2011
« portant des dispositions diverses » (abrogation du régime spécial de pension des mineurs),
posée par la Cour du travail de Liège, division de Namur.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman,
D. Pieters et S. de Bethune, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier
1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite F. Daoût, assistée du greffier
P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite F. Daoût,

après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :

2

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par arrêt du 10 septembre 2020, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le
24 septembre 2020, la Cour du travail de Liège, division de Namur, a posé la question
préjudicielle suivante :

« L’article 111 de la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses viole-t-il
l’article 23 de la Constitution - interprété à la lumière des articles 2 et 9 du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de l’article 12 de la charte sociale
européenne - pris isolément ou combiné avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il
abroge le régime spécial de pension des mineurs, visé à l’article 2 § 2 de l’arrêté royal du
23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant
modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes de pension, en ce qui
concerne les travailleurs mineurs de fond qui, au 31 décembre 2011, n’ont pas atteint l’âge de
55 ans, créant ainsi une différence de traitement basée uniquement sur l’âge, selon que les
travailleurs ont ou n’ont pas atteint l’âge de 55 ans au 31 décembre 2011, en empêchant ces
derniers notamment de prendre leur pension bien qu’ils justifieraient à la date de prise de cours
de celle-ci, d’une carrière de 25 ans comme mineur de fond ? ».

Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Slegers et Me M. Kerkhofs,
avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.

Par ordonnance du 30 juin 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
P. Nihoul et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait
tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant
la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle
demande, les débats seraient clos le 14 juillet 2021 et l’affaire mise en délibéré.

Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le
14 juillet 2021.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives
à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

K. D. naît le 2 février 1973.

Il travaille en qualité d’ouvrier mineur de fond depuis le 13 mai 1992, par 70 m de fond, dans des conditions
difficiles.

Le 31 décembre 2011, il justifie d’une occupation habituelle et à titre principal de 20 ans comme « ouvrier
mineur ».

Le 31 mai 2017, il introduit auprès du Service fédéral des Pensions (ci-après : le SFP) une demande de
pension de retraite de travailleur salarié mineur de fond à compter du 1er juillet 2017.
3

Le SFP considère que la demande de K. D. est irrecevable car elle a été introduite avant le premier jour du
mois précédant d’une année celui au cours duquel il devait atteindre l’âge de 55 ans. Le 6 décembre 2017, il
introduit un recours contre cette décision.

K. D. est par ailleurs en incapacité de travail depuis le 12 septembre 2017. Une pension d’invalidité pour les
ouvriers mineurs lui est octroyée à partir du 1er mars 2018.

Par un jugement du 19 septembre 2019, le Tribunal du travail de Liège, division de Namur, écarte
l’application de l’article 5 de l’arrêté royal du 26 avril 2012 « portant exécution, en matière de pension des
travailleurs salariés, de la loi du 28 décembre 2011 portant des dispositions diverses » (ci-après : l’arrêté royal du
26 avril 2012), au motif que la procédure de demande d’avis en urgence au Conseil d’État n’a pas été respectée.
Le Tribunal du travail juge également que la suppression du régime spécial des ouvriers mineurs en matière de
pension est incompatible avec l’obligation de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution. Il estime que
cette mesure a été prise sans qu’il soit tenu compte de la pénibilité du travail réalisé par les ouvriers mineurs de
fond et du faible nombre de travailleurs encore actifs dans l’exploitation du sous-sol. Il considère qu’aucune
explication n’a été fournie pour justifier la mesure.

Il annule dès lors la décision du SFP et dit pour droit qu’il y a lieu d’appliquer à K. D. l’article 2, § 2, de
l’arrêté royal du 23 décembre 1996 « portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant
modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pension » (ci-après l’arrêté royal
du 23 décembre 1996).

Le 17 octobre 2019, le SFP interjette appel du jugement auprès de la Cour du travail de Liège, division de
Namur.

La juridiction a quo n’écarte pas l’application de l’article 5 de l’arrêté royal du 26 avril 2012 car le Conseil
d’État n’a pas remis en cause l’urgence invoquée et car le fait d’écarter l’application dudit arrêté royal rendrait
encore plus inconfortable la situation du demandeur. Elle estime également que l’irrégularité invoquée trouve en
réalité sa source dans l’article 111 de la loi du 28 décembre 2011 « portant des dispositions diverses » (ci-après :
loi du 28 décembre 2011).

La juridiction a quo prend en considération l’arrêt de la Cour n° 135/2017 du 30 novembre 2017, par lequel
celle-ci a jugé qu’en fixant l’âge légal de la pension de survie à 55 ans plutôt qu’à 40 ans, les dispositions attaquées
réduisaient significativement le niveau de protection pour les personnes concernées. Elle rappelle que la Cour a
considéré que cette mesure portait une atteinte disproportionnée aux droits des personnes qui, compte tenu de leur
âge, sont dans une situation particulièrement vulnérable pour trouver un emploi et de celles qui sont reconnues
inaptes au travail.

La juridiction a quo estime que l’abrogation du régime spécial pour les ouvriers mineurs de fond entraîne un
recul significatif du degré de protection du droit à la sécurité sociale du demandeur, en ce qu’elle lui impose de
travailler plus de onze années supplémentaires, soit jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 55 ans, alors qu’auparavant
il aurait pu prétendre à sa pension après une carrière de 25 ans comme ouvrier mineur de fond. Elle fait valoir que
cette mesure peut paraître d’autant plus disproportionnée qu’elle ne vise qu’un nombre extrêmement limité
d’ouvriers travaillant encore actuellement dans des conditions pénibles et dangereuses pour leur santé et que
l’augmentation de l’âge de pension n’a pas été progressive.

III. En droit

-A-

A.1. Le Conseil des ministres reconnaît que l’article 111 de la loi du 28 décembre 2011 entraîne un recul
formel des droits des travailleurs. Il rappelle toutefois qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la succession
de régimes juridiques distincts n’est pas, en soi, constitutive de discrimination...

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