La problématique des faux indépendants

AuteurRobert De Baerdemaeker
Occupation de l'auteurAvocat au barreau de Bruxelles
Pages399-433

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I Introduction

Vrais ou faux indépendants ? Le «to be or not to be» du droit social qui défraye la jurisprudence et la doctrine depuis plusieurs décennies.

Nul ne l'ignore, l'activité professionnelle d'un individu peut s'exercer dans le cadre de deux statuts très différents l'un de l'autre en maints aspects.

D'une part, le travailleur salarié exerçant son activité dans les liens d'un contrat de travail caractérisé par l'existence d'un lien de subordination et, d'autre part, le travailleur indépendant menant une activité «entrepreneuriale» sur base d'un contrat d'entreprise.

Il s'agit incontestablement de deux réalités sociologiques distinctes correspondant à des mentalités différentes mais aussi peut-être à des besoins particuliers découlant des activités qui sont menées. On peut disserter longuement sur le sujet et ce, d'autant plus que les moeurs socioprofessionnelles ont évolué considérablement au cours des dernières années.

Ces différences de statut se traduisent notamment au regard des différents régimes de la sécurité sociale et des cotisations qui seront payées pour compte du travailleur salarié et par le travailleur indépendant. A nouveau, et c'est la logique même au regard des avantages octroyés aux uns et aux autres, les différences sont sensibles.

Pour les travailleurs salariés, les cotisations de sécurité sociale seront proportionnelles aux revenus et ce, sans plafonnement tandis que pour les travailleurs indépendants, les cotisations trimestrielles ne seront pas supérieures à 3.150,62 EUR (montant valable pour 2005).

En outre, le régime protectionniste mis en place par le législateur social trouvera à s'appliquer qu'il s'agisse des barèmes de rémunération, des conditions d'embauche et de licenciement, de garantie de salaire en cas de suspension du contrat de travail, de vacances annuelles, de protection liée à l'état ou au statut des travailleurs, etc.

C'est dans ce cadre général que certains travailleurs ont jugé opportun d'offrir leur force de travail à un moindre coût afin d'en alléger la charge, de disposer immédiatement de liquidités plus importantes et de trouver plus aisément une source de revenus.

Si un tel choix, délibérément convenu, correspond à la réalité, c'est-à-dire à l'existence d'une collaboration d'indépendant qui n'est pas proscrite par la loi, aucun

reproche ne peut être formulé aux parties.

En revanche, s'il s'avère qu'il s'agit d'une fraude à la loi ou que l'exécution de ce qui a été convenu ne correspond pas à l'exécution de la convention et qu'elle fait apparaître, contrairement à ce qui avait été décidé, l'existence d'un lien dePage 402 subordination, les travailleurs qualifiés d'indépendants, qui n'en sont pas réellement, deviennent ce qu'il est convenu d'appeler des «faux indépendants».

Un processus de requalification peut alors intervenir qui, s'il aboutit, aura évidemment des conséquences financières particulièrement lourdes que celui qui de par ladite requalification devient l'employeur devra supporter.

La matière est caractérisée par la recherche effrénée que tous les intervenants à cette problématique ont menée pour tenter de définir ce qu'est exactement le lien de subordination qui constitue le critère d'appréciation pour départager les uns et les autres.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation constitue à cet égard une étape importante de ce contentieux sensible.

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II À la recherche du vrai indépendant
A Le lien de subordination

Les définitions suivantes ont été données du lien de subordination :

- «La subordination implique un pouvoir de direction accordé à l'employeur; coorélativement, elle suppose que le travailleur soit tenu d'obéir aux ordres et aux instructions qui émanent directement ou indirectement de son contractant»1.

- «Le lien de subordination se caractérise par le fait qu'une personne peut exercer son autorité à l'égard d'une autre.

...

L'autorité patronale revêt un double aspect :

Le pouvoir de déterminer la prestation de travail dans son contenu d'une part et, par ailleurs, le pouvoir d'organiser l'exécution même de la prestation» 2 .

- «La subordination juridique - qui se confond avec l'autorité juridique - caractérise le contrat de travail. Elle découle de l'existence de l'autorité qui place une personne sous les ordres d'une autre personne en vue de l'exécution des tâches à accomplir.

L'autorité juridique consiste dans le droit de l'employeur de donner des ordres et de contrôler l'exécution des ordres donnés et dans l'obligation pour le travailleur de se conformer aux ordres et instructions de l'employeur et de se soumettre au contrôle de l'exécution des ordres donnés.

Au regard de la prestation de travail, le droit ou le pouvoir d'autorité de l'employeur se présente sous ce double aspect : le premier est relatif à la détermination de la prestation de travail à accomplir; le second porte sur le pouvoir d'imposer la manière dont la prestation de travail doit être accomplie.

L'autorité patronale en ce qu'elle concerne l'organisation du travail revêt un double aspect : «le pouvoir de déterminer la prestation de travail dans son contenu d'une part et, par ailleurs, le pouvoir d'organiser l'exécution même de la prestation de travail» 3 .

Par conséquent, une façon de faire la différence entre un contrat de louage d'industrie et un contrat de travail est de se poser la question de savoir si le travailleur avait ou non pris l'engagement d'atteindre un résultat déterminé ou s'il avait uniquement l'obligation d'exécuter des tâches qui lui seraient confiées au fil du temps par son cocontractant (l'employeur).

En d'autres termes, quel est le but poursuivi : soit réaliser un travail déterminé et atteindre le résultat convenu en mettant en oeuvre les moyens appropriés dont on assume la responsabilité, soit obéir aux instructions qui sont données par le bénéficiaire du travail ?

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L'autorité qu'une personne peut avoir sur une autre constitue évidemment un élément déterminant mais il faut cependant être conscient que le commettant, qui s'adresse à un indépendant, lui donne aussi des instructions relatives à ce but à atteindre et à la qualité du service rendu ou du travail accompli, qui peuvent par ailleurs tenir compte d'exigences particulières quant à l'organisation de la mission.

Au fil du temps, la jurisprudence, aidée en cela par les plaideurs, a identifié plusieurs dizaines d'indices révélateurs ou non, selon les cas, de l'existence de ce fameux lien de subordination.

Dans certains cas tel ou tel indice apparaîtra aux yeux de la juridiction saisie d'une demande de requalification comme étant incompatible avec le contrat d'indépendant et ce, davantage encore lorsqu'il est mis en relation avec d'autres indices.

C'est ainsi que le respect d'un horaire, l'obligation d'exécuter le travail convenu dans les locaux du commettant, la faculté ou non de se faire remplacer, l'existence ou non d'autres clients, la circonstance d'être intégré dans le travail d'une équipe du commettant, l'obligation de prévenir en cas d'absence, la dépendance économique, etc, ont constitué des indices, qui au gré des situations factuelles particulières ont été retenus comme constituant la preuve de l'existence d'un contrat de travail ou au contraire comme n'étant pas incompatible avec la qualification d'indépendant donnée au travailleur.

Enfin, il faut également relever qu'un travailleur salarié peut, dans l'exécution de son contrat de travail, bénéficier d'une autonomie réelle qui a pour conséquence qu'il ne se trouve pas en permanence sous la surveillance et le contrôle de son employeur.

Par ailleurs, les deux statuts peuvent être cumulés et ce, pour compte d'un même commettant. Ainsi, un cadre supérieur peut exercer en même temps ses fonctions dans le cadre d'un contrat de travail et être administrateur de l'entreprise pour laquelle il travaille et ce, en qualité d'indépendant.

B La requalification

La requalification d'un contrat est la décision de considérer un contrat défini comme étant celui d'un indépendant en un contrat de travail en dépit de la volonté affirmée et exécutée des parties.

Le contrat d'indépendant peut être conclu par écrit mais il arrive qu'il soit simplement verbal et que ce soit l'exécution de celui-ci qui confirme le...

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