Conclusions du Ministère public, Cour de Cassation de Belgique, 2020-09-23

Judgment Date23 septembre 2020
ECLIECLI:BE:CASS:2020:CONC.20200923.2F.10
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:CASS:2020:CONC.20200923.2F.10
CourtCour de Cassation de Belgique
Docket NumberP.20.0402.F

P.20.0402.F

Conclusions de M. l'avocat général M. Nolet de Brauwere:

Formé par le procureur général près la cour d'appel de Liège, le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 13 février 2020 par la chambre correctionnelle de cette cour, statuant en degré d'appel.

I. Antécédents de la procédure

Il résulte de l'arrêt que les principales circonstances de la cause utiles à l'examen du pourvoi peuvent être résumées comme suit.

Le défendeur, né en 1949, est poursuivi pour avoir commis de 2008 à 2015 des viols et des attentats à la pudeur avec violences sur la personne de sa petite-fille mineure, alors âgée de quatre à onze ans.

Par jugement rendu contradictoirement le 24 mai 2019, le tribunal correctionnel de Namur, division de Namur, admet les circonstances atténuantes visées à la citation et déclare les poursuites recevables et les préventions(1) établies dans le chef du défendeur - représenté par un avocat -, dont il ordonne l'internement en application de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement. Au civil, il accorde notamment des dommages et intérêts à titre provisionnel aux parties civiles.

Statuant contradictoirement sur les appels formés par le demandeur et le défendeur - qui est à nouveau représenté par son avocat -, l'arrêt déclare les appels recevables mais les poursuites irrecevables et se déclare sans compétence pour connaître des actions civiles après avoir constaté qu'étant atteint de démence incurable de type Alzheimer, dont les premiers symptômes sont en toute vraisemblance, selon l'expertise psychiatrique, apparus en 2014 - soit à la fin de la période infractionnelle - et n'ayant dès lors pu être entendu ni par les enquêteurs quant aux faits ni par les experts psychiatres en vue d'un examen mental, le défendeur est incapable de comprendre la nature ou l'objet des poursuites, de préparer sa défense, de suivre les débats et de comprendre la portée de la sanction qui devrait le cas échéant être retenue sur les faits devaient être déclarés établis.

II. Partie critiquée de l'arrêt

« Il se déduit de l'article 6 de la Convention (...) qu'il ne peut être statué sur la culpabilité d'une personne que l'altération de ses facultés physiques ou psychiques met dans l'impossibilité de se défendre personnellement contre l'accusation dont elle fait l'objet, fût-ce assistée d'un avocat (cf. Cass. fr., 5 septembre 2018).

En conséquence, la cour [d'appel] considère que les poursuites doivent être déclarées irrecevables sous peine de violer le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 de la Convention »(2).

III. Examen du pourvoi

Quant au troisième moyen, pris de la violation de l'article 6 de la Convention lu en combinaison avec les articles 2, 5 à 9 et 81 e.a. de la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement:

1. En ses quatre branches, le moyen fait respectivement valoir ce qui suit:

- « il n'existe pas de principe général du droit de la ‘‘partie au procès inapte'' »(3);

- l'arrêt méconnaît l'article 6 de la Convention en ce que cette disposition n'interdit pas d'adapter les droits de la défense qu'elle garantit en raison des troubles mentaux du prévenu, pour autant que l'essence de ces droits ne soit pas atteinte;

- au vu des garanties spécifiques offertes par la loi du 5 mai 2014 relative à l'internement, cette procédure ne méconnaît pas l'article 6 de la Convention et s'inscrit dans le devoir de protection découlant notamment des articles 2 et 8 de la même Convention(4), qui garantissent respectivement les droits à la vie et au respect de la vie privée et familiale, notamment à l'égard du danger que peuvent représentent des malades mentaux;

- l'internement étant une « mesure de sûreté destinée à la fois à protéger la société et à faire en sorte que soient dispensés à la personne internée les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société »(5), et non une peine, les juges d'appel ne pouvaient déclarer l'action publique irrecevable au motif que le défendeur ne pouvait se défendre en personne.

2. La loi relative à l'internement:

La loi du 5 mai 2014 dispose notamment ce qui suit:

« Art. 2. L'internement, tel que visé à l'article 9 de la présente loi, de personnes atteintes d'un trouble mental est une mesure de sûreté destinée à la fois à protéger la société et à faire en sorte que soient dispensés à la personne internée les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société.

Compte tenu du risque pour la sécurité et de l'état de santé de la personne internée, celle-ci se verra proposer les soins dont elle a besoin pour mener une vie conforme à la dignité humaine. Ces soins doivent permettre à la personne internée de se réinsérer le mieux possible dans la société et sont dispensés - lorsque cela est indiqué et réalisable - par le biais d'un trajet de soins de manière à être adaptés à la personne internée. »

Il en résulte que l'internement « ne constitue ni une déclaration de culpabilité du chef d'une infraction ni une condamnation à une peine »(6).

« Art. 9. § 1er. Les juridictions d'instruction, sauf s'il s'agit d'un crime ou d'un délit considéré comme un délit politique ou comme un délit de presse, à l'exception des délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l'internement d'une personne:

1° qui a commis un crime ou un délit portant atteinte à ou menaçant l'intégrité physique ou psychique de tiers et

2° qui, au moment de la décision, est atteinte d'un trouble mental qui abolit ou altère gravement sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes et

3° pour laquelle le danger existe qu'elle commette de nouveaux faits tels que visés au 1° en raison de son trouble mental, éventuellement combiné avec d'autres facteurs de risque.

La juridiction d'instruction ou la juridiction de jugement apprécie de manière motivée si le fait a porté atteinte ou a menacé l'intégrité physique ou psychique de tiers.

§ 2. Le juge prend sa décision après qu'a été effectuée l'expertise psychiatrique médicolégale visée à l'article 5, ou après l'actualisation d'une expertise antérieure. »

Il en résulte, au regard du droit interne belge, que la personne atteinte d'un trouble mental qui abolit ou altère gravement sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes peut être jugée par une juridiction répressive, qui peut le cas échéant prononcer un internement moyennant le respect des garanties légales - parmi lesquelles l'assistance d'un avocat ou la représentation par un avocat(7) -, et que l'action publique n'est dès lors pas irrecevable du fait de cette seule circonstance.

Mais l'est-elle en revanche au regard de la Convention, comme le considère l'arrêt ?

3. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme quant aux articles 5 et 6 de la Convention:

3.1 L'article 6 de la Convention:

- « Même dans l'hypothèse d'une cour d'appel dotée de la plénitude de juridiction, l'article 6 n'implique pas toujours (...) le droit à comparaître en personne(8) »(9).

- Quant à la jurisprudence de la Cour européenne D.H., tant le défendeur que l'arrêt attaqué se sont bornés à citer des passages du §52 de l'arrêt G. c. France du 23 février 2012(10):

« 52. En principe, le droit d'un accusé, en vertu de l'article 6, de participer réellement à son procès inclut le droit non seulement d'y assister, mais aussi d'entendre et de suivre les débats. Inhérents à la notion même de procédure contradictoire, ces droits peuvent également se déduire du droit de l'accusé, énoncé en particulier à l'article 6 § 3 c), de...

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