Conclusions du Ministère public, Cour de Cassation de Belgique, 2020-10-07

JurisdictionBélgica
Judgment Date06 mai 2015
ECLIECLI:BE:CASS:2015:ARR.20150506.3
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:CASS:2015:ARR.20150506.3
Docket NumberP.15.0379.F
CourtHof van Cassatie van België

P.19.0644.F

Conclusions de M. l'avocat général Ph. de Koster:

Les faits et la motivation de l'arrêt attaqué

L'affaire soumise à votre Cour concerne la diffusion numérique de propos qualifiés d'injures, de calomnies et d'harcèlement via la page publique Facebook du demandeur - propos proférés à l'encontre de la défenderesse.

L'arrêt attaqué constate que le demandeur est administrateur d'une société propriétaire d'un centre commercial situé sur le territoire de la commune dont la défenderesse est échevin de l'urbanisme, que le demandeur lui a reproché de s'être opposée systématiquement à l'extension de ce centre et qu'il a fait connaître son mécontentement au moyen d'écrits publiés sur sa page du réseau social en ligne Facebook. L'arrêt relève que « les termes utilisés par le demandeur, dans ses écrits, pour qualifier la défenderesse sont injurieux dès lors que, par leurs connotations négatives, ils portent indiscutablement atteinte à la considération de sa personne (ainsi les termes tels que menteuse, affreuse, pétasse, con, faux-culs, boudin aux raisins et la prénommer ‘Adolphe') » et que « le demandeur a imputé publiquement deux faits précis à la défenderesse: s'être fait corrompre par une enseigne commerciale et avoir détourné de l'argent au préjudice de son patron ».

L'arrêt a décidé que « ces éléments, pris dans leur ensemble, démontrent que les faits reprochés au demandeur ne constituent pas un délit de presse » au motif que « les propos publiés sur un « mur facebook » tels qu'ils ressortent des pièces soumises à la cour ne sont pas des articles émettant une pensée critique ou argumentée mais sont en réalité des insultes, dépourvues d'esprit humoristique ou satirique, émanant d'un quidam, publiés non pas sur une page d'un site entièrement public mais sur la page du réseau social ouverte au nom d'une personne en particulier ».

Le pourvoi

Le moyen unique présenté reproche à l'arrêt attaqué de violer l'article 150 de la Constitution.

L'examen du moyen suppose un examen le plus exhaustif possible de la jurisprudence de votre Cour à l'égard de la notion de délit de presse en tenant compte, bien évidemment, de l'évolution tant des mœurs de communication que de l'évolution de la technologie. En 1871, votre Cour a dit pour droit que « par délit de la presse, on ne peut entendre que les atteintes portées aux droits soit de la société, soit des citoyens, par l'abus de la manifestation des opinions dans des écrits imprimés et publics »(1).

Votre Cour conservera cette formulation plus positive puisqu'elle dira pour droit que « Les délits de presse sont des délits qui portent atteinte aux droits de la société ou des citoyens, commis en exprimant abusivement des opinions dans des écrits imprimés et publié »(2).

Votre Cour tiendra d'emblée compte d'une certaine évolution technologique. Ainsi, dans un arrêt du 25 octobre 1909, elle a dit pour droit que « doit être considéré comme commis par la voie de presse et conséquemment comme justiciable de la cour d'assises le fait de répandre dans le public de multiples copies d'un écrit injurieux obtenus à l'aide d'un chromographe »(3).

Si votre Cour a affirmé jusqu'à présent que le délit de presse suppose un « texte »(4), elle a également tenu compte de l'évolution technologique. Ainsi, dans un arrêt du 6 mars 2012, votre Cour considère que le délit de presse suppose un texte reproduit par voie d'imprimerie ou par un procédé similaire(5) et admet que le délit de presse se réalise par diffusion numérique en sorte qu'Internet soit assimilé à un vecteur de l'infraction de délit de presse(6).

Dans les conclusions précédant cet arrêt de principe, M. le Procureur général Marc De Swaef, explique cette inclusion d'internet dans le délit de presse, comme suit: « Traditionnellement, pour qu'il y ait délit de presse, les éléments constitutifs de l'infraction doivent être une pensée punissable, exprimée au moyen d'une impression, à laquelle une publicité effective a été donnée. Au moment de l'adoption de l'(ancien) article 98 de la Constitution (actuel article 150), les pensées ne pouvaient être rendues publiques de manière durable que par l'imprimerie. Dans l'arrêt du 25 octobre 1909, la Cour avait déjà considéré que ni l'article 98 de la Constitution ni le décret du 20 juillet 1831 sur la presse (MB, 22 juillet 1831) n'impliquent que le recours à l'imprimerie proprement dite soit le seul élément matériel qui puisse être retenu pour la commission des délits de presse. Certes, les définitions qu'en donne la Cour dans l'arrêt de 1909 ne comprennent bien sûr pas encore la publication sur internet. Ce qu'il importe toutefois de noter, c'est que la Cour indique clairement qu'il y a lieu de conférer une interprétation évolutive à la notion de presse, en ayant égard à l'esprit du Constituant, qui entendait garantir la diffusion durable des idées auprès des gens. L'on peut conclure, en prenant comme postulat cette interprétation évolutive, qu'un moyen de télécommunication comme l'internet est également susceptible de constituer une presse au sens de l'article 150 de la Constitution. Certes, la Cour a considéré que la radio et la télévision ne peuvent constituer le moyen par lequel un délit de presse est commis. Les émissions de radio et de télévision sont en effet dépourvues du caractère permanent de la publicité qui est caractéristique des écrits imprimés »(7).

En l'état actuel de la jurisprudence de votre Cour, il peut être déduit explicitement que l'exigence d'un écrit ou d'un écrit imprimé n'exclut pas, de la notion de délit de presse, l'internet, dont, par exemple, le réseau social Facebook(8).

Par ailleurs, c'est aussi la thèse à laquelle s'est rallié le Conseil d'Etat dans son arrêt du 26 juin 2015 en acceptant l'inclusion de l'internet dans le délit de presse et en énonçant que « la diffusion sur internet d'informations sous forme de texte doit, compte tenu de l'état d'évolution des technologies de l'information, être considérée comme une forme de presse au sens constitutionnel du terme, conformément à la jurisprudence récente de la Cour de cassation selon laquelle un propos délictueux tenu sous cette forme constitue un délit de presse qui relève de la compétence de la cour d'assises », tout en ajoutant que « toutefois, pas plus que tout propos écrit reproduit mécaniquement sur papier, tout texte publié sur un site internet ne relève pas nécessairement de la «presse écrite » au sens de l'article 4, 6°bis, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, qui vise spécifiquement l'activité des requérantes »(9).

Si donc il est possible de considérer que l'internet puisse être le vecteur de l'écrit numérique, encore faut-il examiner si cet écrit requiert l'expression d'une opinion et de mesurer les contours de la notion d'expression.

En effet, le délit de presse suppose que le texte contienne l'expression d'une opinion; il s'agit du contenu de l'écrit, de sa consistance. A défaut de l'expression d'une opinion, un écrit ne peut être qualifié d'infraction de presse(10). Mais il faut que l'expression de cette opinion soit abusive(11), délictuelle(12), punissable(13), et donc « pénalement incriminée »(14). Il faut ainsi que l'usage abusif de la presse soit une incrimination pénale(15), « le délit de presse étant une infraction de droit commun qui se caractérise par son mode d'exécution (par voie de presse) »(16). Cet abus d'opinion peut résulter, par exemple, d'une injure, d'une diffamation, d'une calomnie ou d'un harcèlement selon la jurisprudence de votre Cour(17).

Selon votre Cour, la pertinence ou l'importance sociale de l'opinion émise ne constituent pas des critères permettant de « disqualifier » le délit de presse(18). De même, selon votre Cour(19) une injure contient généralement l'expression d'une appréciation ou d'une opinion(20): dans son arrêt du 22 octobre 1941, votre Cour a dit pour droit qu'« une injure blessante ou une imputation d'ordre général et imprécise peut (...) contenir une appréciation ou être l'expression d'une opinion ». Des injures de « menteur » et « trompeur » expriment, selon votre Cour, une opinion(21).

Il convient encore de retenir un arrêt de votre Cour, prononcé le 29 janvier 2013, dans lequel elle a dit pour droit que lorsque la procédure semble indiquer que l'action publique concerne la reproduction et la diffusion numérique d'images et de textes qui comportent une expression punissable d'une opinion le tribunal correctionnel est sans compétence pour connaître des actions du ministère public et de la partie civile(22).

Je rappelle encore que votre Cour appréhende la notion d'opinion dans une acception large et même la plus large(23). Votre Cour a dit pour droit que « l'expression punissable d'une opinion qui est requise par le délit de presse, au sens que la Constitution attache à ce terme, vise toute pensée ou opinion; il n'est pas nécessaire que cette opinion présente une quelconque pertinence ou importance sociale »(24).

Tout en saluant l'option prise par votre Cour d'interpréter très largement la notion d'opinion, M. le Professeur Englebert estime que votre Cour aurait néanmoins donné à « la notion d'opinion et à celle de délit de presse une portée sensiblement plus large que la jurisprudence de la Cour Européenne, lorsque ?votre Cour ? conditionne le bénéfice d'une protection accrue en faveur de la liberté d'expression au fait que la mise en cause des tiers intervienne dans le cadre d'un débat d'intérêt général »(25) en ce sens que, selon l'interprétation que donne M. le Professeur Englebert de la jurisprudence de votre Cour, « l'opinion protégée ne doit même pas porter sur un sujet d'intérêt public »(26).

Conviendrait-il, encore, de lire les « propos » du demandeur comme relevant de la communication de faits bruts et, par voie de conséquence, de considérer qu'ils ne pourraient être analysés comme l'expression d'une opinion susceptible de bénéficier des règles procédurales protectrices de la liberté d'expression...

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