Décision judiciaire de Raad van State, 4 février 2021

Date de Résolution 4 février 2021
JuridictionSchorsing UDN
Nature Arrest

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

LE PRÉSIDENT DE LA XVe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R Ê T

nº 249.723 du 4 février 2021

A. 232.736/XV-4647

En cause : 1. la société à responsabilité limitée MAINEGO, 2. MAINE Marc, ayant tous deux élu domicile chez Me Pierre VAN HOOLAND, avocat, avenue Louise 109 1050 Bruxelles,

contre :

l’État belge, représenté par le ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, ayant élu domicile chez

Mes Nicolas BONBLED et Lotfi BOUHYAOUI, avocats, boulevard Bischoffsheim 33 1000 Bruxelles.

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I. Objet de la requête

Par une requête introduite par la voie électronique le 21 janvier 2021, la société à responsabilité limitée (SRL) Mainego et Marc Maine sollicitent, d’une part, la suspension, selon la procédure d’extrême urgence, de l’exécution de « l’arrêté ministériel du 12 janvier 2021 modifiant l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 et imposant notamment à la requérante de fermer son restaurant sis 12 avenue des Olympiades à [...] EVERE » et, d’autre part, l’annulation de cet arrêté.

II. Procédure

Par une ordonnance du 22 janvier 2021, l’affaire a été fixée à l’audience du 29 janvier 2021.

La partie adverse a déposé une note d’observations et le dossier administratif.

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M. Marc Joassart, conseiller d’État, président f.f., a exposé son rapport.

Me Pierre Van Hooland, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Nicolas Bonbled, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Paul Ernotte, premier auditeur au Conseil d’État, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Il y a lieu de se référer à l'exposé des faits de l'arrêt n° 248.918 du 13 novembre 2020 et de le compléter par les éléments suivants :

  1. Le 28 novembre 2020, le ministre de l’Intérieur modifie à nouveau l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 en prévoyant que les mesures prescrites par cet arrêté seront en vigueur jusqu’au 15 janvier 2021.

  2. Les 11, 19, 20, 21 et 24 décembre 2020, l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, est modifié pour des activités étrang res à l’ oreca.

  3. Le 12 janvier 2021, l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, précité, est modifié notamment en ce que les mesures prescrites par cet arrêté restent d’application jusqu’au 1er mars 2021.

    Il s’agit de l’acte attaqué.

  4. Les 14, 26 et 29 janvier 2021, l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020, précité, est modifié pour des activités étrang res à l’ oreca.

    IV. Conditions de la suspension d’extrême urgence

    Conformément à l’article 17, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, la suspension de l’exécution d’une décision administrative suppose deux conditions, une urgence incompatible avec le délai de

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    traitement de l’affaire en annulation et l’existence d’au moins un moyen sérieux susceptible, prima facie, de justifier l’annulation de cette décision. Le paragraphe 4 de ce même article vise l’hypothèse d’un recours en suspension d’extrême urgence qui doit indiquer en quoi le traitement de l’affaire est incompatible avec le délai de traitement de la demande de suspension visée au paragraphe 1er.

    V. Premier moyen

    V.1. Thèse des parties requérantes

    Le premier moyen est pris de la violation du principe de légalité, des articles II.3 et II.4 du Code de droit économique, des articles 10, 11, 12, 14, 16, 20, 22, 23, 26, 27, 33, 105, 108 et 187 de la Constitution et du principe général de la légalité des peines.

    Les parties requérantes rappellent qu’en vertu de l’article 33 de la Constitution, tous les pouvoirs émanent de la Nation et doivent être exercés de manière conforme à la Constitution. Elles soulignent que certaines matières sont réservées au législateur et plus particulièrement celles qui concernent les droits fondamentaux. Elles relèvent que les articles 105 et 108 de la Constitution n’attribuent de pouvoirs qu’au oi et non à ses ministres, ce qui implique que ces derniers ne peuvent déterminer que certaines mesures d’exécution d’une règlementation préalablement établie par un arrêté royal et pour autant que ces mesures ne portent que sur des questions de détail. Elles font référence à la jurisprudence de la Cour de cassation sur la nature du pouvoir exécutif selon laquelle il appartient au Roi, sans étendre ou restreindre la portée des lois, de dégager du principe de celles-ci et de leur économie générale, les conséquences qui en dérivent naturellement, d’après l’esprit qui a présidé à leur conception et les fins qu’elles poursuivent.

    Bien que ces dispositions ne visent que le Roi, il découle, selon elles, des articles 105 et 108 de la Constitution, que l’administration comprise dans son sens le plus large n’a de pouvoir que dans les limites qui lui sont formellement assignées par la Constitution ou les lois particulières portées en vertu de celle-ci, tandis que le respect de ces limites est d’ordre public.

    En l’espèce, elles relèvent que l’arrêté ministériel attaqué invoque comme fondements juridiques : - l’article 23 de la Constitution ; - l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile ; - les articles 11 et 42 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police ;

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    - les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile.

    S’agissant de l’article 23 de la Constitution, elles estiment que cette disposition n’offre de compétence qu’au législateur et non au pouvoir exécutif. uant à l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, elles relèvent qu’il confie au ministre de l’Intérieur un rôle de coordination en ce qui concerne les moyens et les mesures nécessaires à la protection civile pour l’ensemble du territoire national, sans lui conférer une compétence réglementaire lui permettant d’adopter l’acte attaqué. En ce qui concerne l’article 11 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, elles estiment qu’il confère un pouvoir de police administrative générale au ministre de l’Intérieur subsidiaire à celui que l’article 135 de la ouvelle loi communale attribue au pouvoir communal notamment lorsque les troubles à l’ordre public s’étendent au territoire de plusieurs communes. Ce pouvoir lui permet, selon elles, de prendre des mesures de police administrative générale qui sont définies comme étant : « tout acte exécutoire de police administrative ou judiciaire, juridique ou matériel, portant une indication, une obligation ou une interdiction pour les citoyens » (art. 3, 1° de la loi sur la fonction de police). Elles soutiennent que cet article lu en combinaison avec l’article 3, précité, n’offre aucune compétence de police administrative réglementaire au ministre de l’Intérieur mais seulement de police administrative exécutoire. uant à l’article 42 de la loi sur la fonction de police, elles soulignent qu’il accorde un pouvoir de réquisition aux fonctionnaires de police lorsque ces derniers ou des personnes sont en danger pour obtenir de l’aide ou une assistance. Elles ne voient pas en quoi cette disposition pourrait servir de base légale et permettre au ministre de l’Intérieur d’adopter l’acte attaqué. Pour ce qui est de l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, elles notent qu’il attribue au ministre de l’Intérieur un pouvoir de réquisition civile dans le cadre des missions générales des services opérationnels de la sécurité civile, énoncées à l’article 11. Elles ajoutent que ce pouvoir de réquisition est encadré par l’arrêté royal du 25 avril 2014 fixant les modalités du pouvoir de réquisition visé à l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile. Ici aussi, elles affirment que cette disposition ne prévoit aucune compétence dans le c ef du ministre de l’Intérieur pour adopter l’acte attaqué. uant à l’article 182 de la même loi, elles rappellent qu’il confère au ministre un pouvoir d’évacuation en cas de circonstances dangereuses et en cas de non-respect des mesures de réquisition ou d’évacuation, des sanctions pénales étant prévues à l’article 187 de la même loi. Elles s’interrogent sur la pertinence de ce fondement légal dès lors que les différents pouvoirs accordés au ministre de l’Intérieur ne sont pas mis en œuvre dans le cadre de l’arrêté ministériel attaqué. Elles citent ainsi l’article 42 de la loi sur la fonction de police et l’article 181 de la loi sur la sécurité civile qui, à leur estime, ne sont pas mis en œuvre.

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    Elles font observer que les bases légales précitées attribuent un pouvoir de police tantôt générale (article 11 de la loi sur la fonction de police), tantôt spéciale (article 182 de la loi sur la sécurité civile) et qu’elles ne comportent aucune délégation de réglementer une matière. Pour rappel, elles insistent sur le fait que la Constitution n’attribue aucun pouvoir réglementaire aux ministres, l’exercice de ce pouvoir étant exclusivement réservé au Roi, ce dernier ne pouvant déléguer que des questions de détail.

    Se fondant sur des avis de la section de législation, elles répètent que lorsqu’il s’agit d’une matière réservée au pouvoir législatif par la Constitution, comme c’est le cas en matière de limitation des droits et libertés fondamentaux, c’est au législateur de régler lui-même les aspects essentiels de la matière et il est, en principe, exclu que le pouvoir exécutif règle ces aspects.

    Elles indiquent aussi qu’il ne s’agit pas ici de juger de la constitutionnalité des bases légales invoquées par la partie adverse dans...

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