Décision judiciaire de Conseil d'État, 6 mars 2018

Date de Résolution 6 mars 2018
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

LE PRÉSIDENT DE LA XVe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R Ê T

nº 240.897 du 6 mars 2018

223.996/XV-3590

En cause : 1. la Coordination Nationale d'Action pour la Paix et la Démocratie, 2. la Ligue des Droits de l'Homme,

ayant élu domicile chez

Me Vincent LETELLIER, avocat, rue Defacqz 78-80/2 1060 Bruxelles,

contre :

la Région wallonne, ayant élu domicile chez

Me Geoffroy GENERET, avocat, rue Capitaine Crespel 2-4 1050 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Vu la requête introduite le 18 décembre 2017 par (1) l’a.s.b.l. Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (C.N.A.P.D.), et (2) l’a.s.b.l. Ligue des Droits de l’Homme, en ce qu’elle tend à la suspension de l’exécution de la décision du 18 octobre 2017 du Ministre-Président de la Région wallonne de délivrer à la FN Herstal les licences d’exportation d’armes n° 2178/030645 et n° 2178/030646 en vue de la livraison au Royaume d’Arabie Saoudite de «matières énergétiques» et substances connexes (ML8) ainsi que de munitions et explosifs de réglage de fusées (ML3);

II. Procédure devant le Conseil d’État

La note d’observations et le dossier administratif ont été déposés.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 12 de l’arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’État.

Par une ordonnance du 9 février 2018, les parties ont été convoquées à l’audience du 21 février 2018 et le rapport leur a été notifié.

M. Michel LEROY, président de chambre, a fait rapport.

Me Harold SAX, loco Mes Vincent LETELLIER et Olivia VENET, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Geoffroy GENERET, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur, a été entendu en son avis.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Considérant que les faits utiles à l’examen du recours se présentent comme suit:

Dans le courant des mois de janvier à juillet de l’année 2017, la s.a. FN Herstal et la s.a. CMI Defence ont introduit auprès de la partie adverse diverses demandes de licences pour exporter des armes ou des produits liés à la défense, à destination de l’Arabie Saoudite. Ces demandes ont fait l’objet d’avis de la part d’une «Commission d’avis sur les licences d’exportation d’armes conventionnelles/ produits à double usage», lors de réunions de cette commission qui se sont tenues les 17 mars, 9 mai, 26 juin, et 11 septembre 2017.

Par un courrier du 26 septembre 2017, la première requérante a écrit au MinistrePrésident du Gouvernement wallon afin de solliciter qu’il revoie les mécanismes et les critères d’octroi des licences d’exportation d’armes vers l’Arabie Saoudite.

Le journal La Libre Belgique du 18 octobre 2017 fait état de ce que la Région wallonne a attribué diverses licences pour l’exportation d’armes vers cet État. Le 19 octobre la seconde requérante demande au Ministre-Président confirmation de cette information, ainsi que la communication d’une copie des décisions prises. Cette demande est réitérée le 27 octobre. Le 3 novembre, le Ministre-Président répond en exposant certains aspects de la politique menée en ce qui concerne les attributions d’autorisation d’exportation de matériel militaire. Il ne fait aucune allusion aux licences d’exportation mentionnées dans l’article du 18 octobre. Le 13 novembre, la directrice de cabinet du Ministre-Président répond en ces termes:

Monsieur le Ministre-Président n’est […] pas en mesure de réserver une suite immédiate à votre demande de communication de copie d’actes administratifs.

En effet, Monsieur le Ministre-Président a transmis votre demande à l’administration afin qu’elle vérifie notamment le contenu de l’article de presse de La Libre Belgique du 18 octobre 2017, ainsi que le

bien-fondé de la demande d’accès à des décisions administratives individuelles, formulées par l’a.s.b.l. La Ligue des Droits de l’Homme.

La présente vous communiquant les motifs d’ajournement de sa décision, Monsieur le Ministre-Président ne manquera pas de vous revenir endéans les délais fixés à l’article 6, § 5, alinéa 1er, du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’Administration

.

Le même jour, les requérantes introduisent, selon la procédure d’extrême urgence, une demande de suspension de ces licences. Le dossier administratif déposé à l’occasion de cette procédure, comporte notamment diverses licences autorisant l’importation, l’exportation ou le transfert de matériel militaire, et entre autres celles dont la suspension est demandée par le présent recours. Cette demande a été rejetée par l’arrêt n° 239.962 du 24 novembre 2017 pour défaut d’extrême urgence, les requérantes n’ayant pas fait toute diligence pour saisir le Conseil d’État dans les meilleurs délais.

Les licences attaquées par le présent recours ont été délivrées sous les numéros 2178/030645 et 2178/030646; des copies signées de l’«original pour le demandeur», dont les mentions permettant d’identifier leur objet ont été omises, ont été annexées à la requête; des copies de la «copie pour le service licences», comportant ces mentions mais non signées, sont versées au dossier, dans les pièces confidentielles;

IV. Recevabilité

A. Argumentation de la partie adverse

Considérant que la partie adverse conteste la recevabilité du recours en ce qu’il vise deux actes administratifs distincts; qu’elle expose notamment ce qui suit:

La partie adverse tient à rappeler qu’en principe, il n’est pas permis de poursuivre l’annulation (et la suspension) de plusieurs actes administratifs distincts par une seule et même requête, sauf en cas de connexité.

Il convient, par conséquent, aux requérantes de démontrer l’existence d’une connexité entre les décisions d’octroi de licences adoptées par la partie adverse à destination de l’Arabie Saoudite querellées dans le cadre du présent recours.

Or, les requérantes ne justifient nullement leur décision de quereller conjointement les deux licences litigieuses alors même qu’elles ont pris la peine d’introduire de nombreuses requêtes à l’encontre des différentes licences accordées par la partie adverse à destination de l’Arabie Saoudite.

La partie adverse insiste sur le fait que chaque licence fait l’objet d’une analyse séparée et distincte par le Gouvernement, qui tient notamment compte du matériel et du destinataire ainsi que des risques liés au cas d’espèce, à la licence en question (approche confirmée par le Ministre-Président dans son courrier du 03/11/2017: “À ce propos, je tiens à vous indiquer que chaque dossier est examiné au cas par cas de manière extrêmement minutieuse...”). Les éléments de motivation liée à la délivrance ou au refus d’une licence seront donc différents dans

chaque cas d’espèce puisque tous les éléments de fait sont analysés. En outre, l’exécution desdites licences est également distincte.

… (Suivent des citations jurisprudentielles)

En l’espèce, comme cela a été développé, les licences litigieuses ont des objets distincts, l’annulation de l’une n’emporte pas de conséquence sur l’autre qui pourrait subsister, et chacune d’elle a fait l’objet d’une analyse distincte et différenciée compte tenu de leur objet différent.

À défaut de connexité démontrée entre les licences concernées par le présent recours, il convient de considérer que le recours n’est en tout état de cause pas recevable.

B. Appréciation du Conseil d’État

Considérant qu’il ressort des pièces confidentielles versées au dossier que les deux licences attaquées ont le même destinataire, qu’elles ont fait l’objet du même bon de commande (Purchase Order) de l’organisme saoudien acheteur, qu’elles portent sur des marchandises qui relèvent de la même catégorie, et qu’elles semblent – pour autant que le Conseil d’État, qui n’a aucune expertise en la matière, puisse en juger – ne pas être utilisables les unes sans les autres; qu’il y a lieu d’admettre la connexité entre les deux objets de la requête; que celle-ci est recevable à l’égard des deux licences attaquées;

V. Sur l’urgence

Considérant que les requérantes exposent que l’exécution immédiate...

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