Décision judiciaire de Conseil d'État, 3 février 2017

Date de Résolution 3 février 2017
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIIIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 237.278 du 3 février 2017

A. 214.387/VIII-9514

En cause : 1. JACOBS Alain, 2. PINEUX Steve, 3. la Fédération Intercatégorielle des Services Publics (FISP), ayant élu domicile chez Mes Luc MISSON et Aurélie KETTELS, avocats, rue de Pitteurs 41 4020 Liège,

contre :

l'État belge, représenté par le ministre de l'Intérieur, ayant élu domicile chez Me Nicolas BONBLED, avocat, boulevard du Souverain 36 1170 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 1er décembre 2014, Alain JACOBS, Steve PINEUX et la Fédération Intercatégorielle des Services Publics (FISP) demandent l'annulation de "l'arrêté royal du 19 avril 2014 relatif au statut administratif du personnel opérationnel des zones de secours".

II. Procédure

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

Mme Gabrielle JOTTRAND, premier auditeur au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

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Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 24 novembre 2016, l'affaire a été fixée à l'audience du 27 janvier 2017.

M. Jacques VANHAEVERBEEK, président de chambre, a exposé son rapport.

Me Aurélie KETTELS, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Nicolas BONBLED, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

Mme Gabrielle JOTTRAND, premier auditeur, a été entendue en son avis conforme au présent arrêt.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits utiles à l'examen du recours sont les suivants :

  1. Le projet devenu l'arrêté royal du 19 avril 2014 relatif au statut administratif du personnel opérationnel des Zones de secours a été soumis à la section de législation du Conseil d'État qui a donné, le 6 janvier 2014, l'avis n° 54.864/2, le 6 février 2014, l'avis n° 55.165/2 et le 26 mars 2014, l'avis n° 55.523/2.

    Cet arrêté, qui constitue l'acte attaqué, a été publié au Moniteur belge du 1er octobre 2014.

  2. La partie adverse a adopté un deuxième arrêté royal, portant également la date du 19 avril 2014, relatif au statut pécuniaire du personnel opérationnel des zones de secours contre lequel les requérants ont formé un recours enrôlé sous le n° 214.384/VIII-9512 à propos duquel un arrêt n° 237.277 de ce jour a prononcé la réouverture des débats.

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    IV. Recevabilité

    IV.1. Thèse des parties

    La partie adverse soutient que la requête doit être déclarée irrecevable dans le chef de la troisième requérante, celle-ci ne pouvant, en l'espèce se prévaloir d'aucun intérêt fonctionnel et ne disposant pas de la capacité de défendre les intérêts collectifs de ses membres.

    Les requérants répliquent que l'intérêt d'une fédération représentative, notamment des sapeurs-pompiers, à contester une norme qui porte atteinte à la profession elle-même, dépasse en réalité la simple combinaison des intérêts particuliers de ces pompiers.

    Ils estiment que contester cette norme tend donc à la défense des intérêts de la profession toute entière, ce qui dépasse des intérêts individuels et collectifs.

    Ils réitèrent cet argument dans leur dernier mémoire.

    IV.2. Appréciation

    Il est de jurisprudence constante qu'un syndicat, dépourvu de la personnalité juridique, ne peut justifier que d'un intérêt fonctionnel lorsqu'il attaque un acte administratif.

    Une organisation représentative de travailleurs, telle que la troisième requérante, n'a la capacité requise pour introduire un recours devant le Conseil d'État que dans la mesure où, d'une part, elle devait, en vertu des dispositions législatives ou réglementaires applicables, être associée à l'élaboration de cet acte et où, d'autre part, elle se plaint de ne pas l'avoir été.

    Elle n'invoque à cet égard aucun moyen qui serait de nature à établir que les prérogatives qu'elle tient de la loi auraient été méconnues.

    Les syndicats n'ont, de plus, pas la capacité d'agir en vue de la défense des intérêts collectifs de leurs membres.

    Le recours est dès lors irrecevable dans le chef de la troisième requérante.

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    V. Premier moyen V.1. Thèse des parties requérantes

    Le premier moyen est pris de la violation de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, et notamment de ses articles 1er à 6, et 14 et suivants, de la loi du 14 décembre 2000 sur le temps de travail dans le secteur public, notamment de ses articles 3 et 5 à 9, et des articles 10, 11 et 159 de la Constitution.

    Les requérants soutiennent qu'il découle de l'acte attaqué, en particulier des articles 1er, 12°, 8, 19, 20, 36, alinéa 5, 174, 4° et 177, que le pompier volontaire est considéré comme n'étant pas au travail durant la période de service de rappel non couverte par une intervention.

    Ils font valoir qu'une telle conception, qui vise à considérer que tout service de garde hors casernement n'est pas du temps de travail (sauf en cas d'intervention évidemment), viole les définitions de travailleur et de temps de travail, telles qu'elles conditionnent l'application des garanties de la directive 2003/88/CE, et viole ainsi les exigences relatives au temps de travail, telles que déterminées par cette directive.

    Ils estiment qu'une telle conception est par ailleurs discriminatoire puisqu'il n'existe pas de régime similaire pour les pompiers professionnels.

    Ils soutiennent que les périodes dites de "services de rappel" n'étant pas comptabilisées dans le temps de service, elles ne sont pas rémunérées et n'entrent pas en ligne de compte pour déterminer le respect des limites hebdomadaires de temps de travail, de sorte qu'elles peuvent, en application de l'arrêté attaqué, être cumulées sans limite et sans compensation.

    Ils se fondent, pour arriver à ce constat, sur les arguments suivants :

    1. Tout d'abord, les concepts de "travailleur" et de "temps de travail" ont, en droit européen, des contours propres qui s'imposent à tous les États membres, de telle manière que ceux-ci ne peuvent en adopter des définitions différentes qui aboutiraient à exclure leurs travailleurs du champ de la protection qu'offre la directive 2003/88/CE.

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      La Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé que la définition du temps de travail, même lorsqu'elle fait référence aux "législations et/ou pratiques nationales" ne signifie pas que les États membres peuvent déterminer unilatéralement la portée de cette notion (C.J.C.E., arrêt C - 151/02, Landeshauptstadt Kiel / Norbert Jaeger, 9 septembre 2003).

    2. Les pompiers dits "volontaires" sont des travailleurs au même titre que les pompiers professionnels. Ils sont d'ailleurs considérés par le Conseil d'État comme soumis à un régime statutaire et non contractuel.

      Malgré ce constat, le législateur belge, dans un article 186 de la loi-programme du 30 décembre 2009, a adopté une disposition (qualifiée d'interprétative) tendant à constater que les pompiers volontaires ne sont pas des travailleurs au sens de la loi du 14 décembre 2000 sur le temps de travail, soit la législation qui transpose en droit belge la réglementation européenne sur le temps de travail.

      Ce faisant, le législateur belge a en réalité adopté une définition propre de la notion de travailleur, par ailleurs discriminatoire puisqu'elle traite différemment les pompiers volontaires des pompiers professionnels qui pourtant, du point de vue de l'exécution de leurs missions et notamment des obligations de garde hors caserne, se trouvent dans des situations identiques.

      Cette définition propre a pour conséquence d'exclure les pompiers volontaires de multiples garanties relatives à leur santé et leur sécurité, garanties notamment en termes de temps de travail, qui sont ouvertes par le droit européen.

      Or le droit européen définit très clairement le travailleur, en déterminant des critères qui le caractérisent et essentiellement l'existence d'une relation de travail unissant le travailleur à l'employeur, avec un lien de subordination du premier envers le second. Ce critère déterminant permet de qualifier un travailleur, sans tenir compte des concepts nationaux qui tendraient à l'exclure des garanties que le droit européen réserve à tout travailleur, de sorte que l'article 186 de la loi-programme du 30 décembre 2009 doit être considéré comme contraire au droit européen, et donc écarté par application de la jurisprudence Le Ski.

      En application du droit européen, le pompier volontaire qui se trouve dans un lien de...

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