Décision judiciaire de Conseil d'État, 19 octobre 2016

Date de Résolution19 octobre 2016
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 236.190 du 19 octobre 2016

G./A.220.385/VI-20.872

En cause : la société anonyme HULLBRIDGE ASSOCIATED,

ayant élu domicile chez

Mes Marie BOURGYS et Yves SCHNEIDER, avocats, avenue Alphonse Valkeners, n° 5/1, 1160 Bruxelles,

contre :

la Communauté française, représentée par son Gouvernement,

ayant élu domicile chez

Me Anne FEYT, avocat, rue de la Source, nº 68, 1060 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE PRESIDENT F.F. DE LA VIe CHAMBRE DU CONSEIL D'ETAT, SIEGEANT EN REFERE,

I. OBJET DE LA REQUETE

Par une requête introduite le 29 septembre 2016, la société anonyme HULLBRIDGE ASSOCIATED sollicite la suspension, selon la procédure d'extrême urgence, de l'exécution de "la décision du 14 septembre 2016 par laquelle la partie adverse a déclaré l'offre de la requérante irrégulière et a attribué le marché public de travaux portant sur la mise en conformité et la rénovation de l'implantation administrative sise à Bruxelles 1040 - rue du Commerce, n° 68A, à la S.A. LIXON".

II. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

Une ordonnance du 30 septembre 2016, notifiée aux parties, convoque celles-ci à comparaître le 11 octobre 2016 à 13 heures.

Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat ont été acquittés.

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La partie adverse a fait parvenir une note d'observations et le dossier administratif.

Des courriers du 7 octobre 2016, notifiés aux parties, ont remis l'affaire à l'audience du 11 octobre 2016 à 11 heures 30.

M. le Conseiller d'Etat, Président f.f., David DE ROY, a exposé son rapport.

Me Yves SCHNEIDER, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Anne FEYT, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

M. le Premier auditeur chef de section au Conseil d'Etat, Eric THIBAUT, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. EXPOSE DES FAITS

III. 1. La partie adverse a décidé de lancer un marché public de travaux de "mise en conformité et rénovation de l'implantation administrative" située rue du Commerce, n° 68A à 1040 Bruxelles.

Le mode de passation retenu est l'adjudication ouverte. Un avis de marché a été publié au Bulletin des adjudications le 20 mars 2016. Un avis rectificatif a ensuite été publié le 4 avril 2016.

Ce marché est régi par le cahier spécial des charges référencé "DISSAJMJ-3132-2015-02471", auquel est notamment joint le "plan de sécurité et de santé".

III. 2. A la séance d'ouverture des offres du 17 mai 2016, trois offres ont été dénombrées. Après examen de celles-ci, les trois soumissionnaires ont été invités, par courriers des 23 mai et 14 juin 2016, à justifier certains prix unitaires et à fournir des précisions. Les justifications et précisions ainsi sollicitées ont été apportées par chacun des soumissionnaires.

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III. 3. Une première décision d'attribution du marché, adoptée le 8 août 2016 a déclaré irrégulière l'offre de la requérante et a désigné en qualité d'attributaire la société anonyme LIXON, dont l'offre était la seule considérée comme régulière.

Cette décision a fait l'objet d'une demande de suspension de son exécution, introduite devant le Conseil d'Etat par la requérante.

III. 4. Par deux décisions distinctes, adoptées le 14 septembre 2016, la partie adverse a procédé au retrait de la décision d'attribution du 8 août 2016 et a, une nouvelle fois, attribué le marché litigieux à la société anonyme LIXON.

La nouvelle décision d'attribution, qui constitue l'acte attaqué par le présent recours, a, par ailleurs, déclaré irrégulières les offres des deux autres soumissionnaires.

S'agissant de l'offre de la requérante, le rapport d'analyse, considéré comme faisant partie intégrante de l'acte attaqué, fait état des deux motifs suivants pour justifier qu'elle ait été déclarée irrégulière :

" Moyens de Prévention :

Les soumissions déposées appellent les observations suivantes : L'offre d'Hullbridge Associated S.A. est jugée irrégulière dans la mesure où elle ne contient aucun engagement relatif à la mise en place des garde-corps nécessaires pour assurer une protection collective contre les risques importants de chutes de personnes depuis les plans de toiture qui en sont dépourvus (niveaux 5 et 7). En effet : - l'annexe VI remplie par ce soumissionnaire fait uniquement état d'un lift et de filets en bord de toiture : le premier est insuffisant à conjurer les chutes tandis que les seconds ne sont pas destinés à prévenir les accidents de personnes; - Les mesures contenues dans le PPSS pour les travaux en toiture ne répondent pas davantage à cette condition : un harnais ne constitue pas une protection collective et l'échafaudage à front de bâtiment ne saurait jouer le rôle de garde-corps en l'espèce, au vu de la configuration de la façade, qui présente des retraits, et de la toiture, qui se décompose en plusieurs plates-formes, laissant ainsi subsister un vide entre l'échafaudage et les toitures en retrait.

Ces dernières mesures ne correspondent en outre pas aux mentions de l'annexe VI, ce qui fait peser un doute sérieux sur la portée de l'obligation souscrite par le soumissionnaire concerné.

L'analyse particulière des risques, établie à l'intervention du conseiller prévention, n'y change rien : seuls l'annexe et le PPSS font l'objet d'un engagement de l'entrepreneur.

L'offre d'Hullbridge Associated S.A. ne présente dès lors pas les garanties de sécurité, condition essentielle du marché, suffisantes pour les interventions en toiture, et est par suite entachée d'irrégularité substantielle. […]

Prix anormaux (articles 21 et 99, § 1 et § 2) :

[…]

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Pour le 61.23.1b.01, correspondant à 12 bouches à réglage manuel, qui ne présentent pourtant aucune exigence technique particulière : elle admet s'être trompée sur le prix unitaire mais elle indique que cette erreur serait marginale par rapport à la valeur de l'offre et qu'elle la prend à sa charge, en s'appuyant sur le commentaire pratique de la réglementation des marchés publics édité par la C.N.C Tome 1 A, page 997 in fine à 999 et à l'article 96 de l'arrêté royal du 15 juillet 2011. Pareille justification n'est pas admissible. L'article 95, § 3 […] dispose en effet que «sur le plan matériel l’offre est affectée d’une irrégularité substantielle […] en cas de prix anormal au sens des articles 21 et 99». Le rapport au Roi précise à cet égard, entérinant la jurisprudence du Conseil d’Etat, que «lorsqu’un prix unitaire est reconnu comme anormalement bas, les justifications fournies n’ayant pu être admises, le pouvoir adjudicateur doit écarter l’offre comme irrégulière. Il s’agit donc dans ce cas d’une nullité absolue». Partant l'offre comportant un prix unitaire anormal, quel qu'il soit, doit être écartée.

L'erreur de prix commise est par ailleurs étrangère aux hypothèses visées à l'article 96 de l'arrêté royal précité, aucun élément de l'offre ne venant accréditer l'existence d'un coût différent pour le poste concerné. Ces considérations justifient également, à elles seules, l'éviction de l'offre de la Hullbridge Associated S.A.".

IV. PREMIER MOYEN

IV. 1. Thèse de la requérante

La requérante soulève un premier moyen, "pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, ainsi que des principe d'égalité de traitement et de non discrimination; de l'article 24 de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services; des articles 95 de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques; des articles 29, §1er, 4 et 5 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services; des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs; des articles 16 à 18 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail; de l'arrêté royal du 25 janvier 2001 concernant les chantiers temporaires ou mobiles, particulièrement de ses articles 3 et 30; du cahier spécial des charges, et plus particulièrement de son annexe 5, à savoir le Plan de sécurité et de santé établi par le coordinateur sécurité et santé de la partie adverse; du principe de concurrence; du principe général de motivation interne des actes administratifs; de l'erreur manifeste d'appréciation; du principe de droit administratif «Patere legem quam ipse fecisti»; du principe général de bonne administration, du devoir de minutie et de l'excès de pouvoir", "[e]n ce que l'acte attaqué précise que l'échafaudage de façade prévu dans l'offre ne pourrait pas jouer le rôle de garde-corps pour les travaux à exécuter en toiture, "[en ce que] l'acte attaqué précise encore que l'offre de la requérante ne contiendrait «aucun engagement relatif à la mise en place des garde-corps nécessaires pour assurer une protection collective contre les risques importants de chutes de personnes depuis les plans de toiture» et serait partant affectée d'une irrégularité

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substantielle", "[et en ce que], d'une manière générale, l'offre de la requérante ne présenterait pas les garanties de sécurité suffisantes pour les interventions en toiture", [a]lors que l'offre de la requérante comporte pourtant tous les documents exigés dans les documents du marché (qu'ils aient été prescrits à peine d'irrégularité substantielle ou non) et que ces documents sont complets et conformes à l'ensemble des exigences formulées par la partie adverse et son coordinateur sécurité-santé, soit dans les clauses administratives du...

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