Décision judiciaire de Conseil d'État, 28 juillet 2016

Date de Résolution28 juillet 2016
JuridictionXIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 235.556 du 28 juillet 2016

  1. 217.965/XIII-7543

En cause : la Société coopérative à responsabilité limitée

COMPAGNIE INTERCOMMUNALE LIEGEOISE

DES EAUX, en abrégé "CILE", ayant élu domicile chez Mes Jean BOURTEMBOURG et Nathalie FORTEMPS, avocats, rue de Suisse 24 1060 Bruxelles,

contre :

la Région wallonne,

représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me Robert JOLY, avocat, avenue du Val Saint Georges 2 5000 Namur.

Partie intervenante :

la Société anonyme CABOT PLASTICS BELGIUM,

ayant élu domicile chez

Me Jean-Marc SECRETIN, avocat, rue des Augustins 32 4000 Liège.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE PRESIDENT F.F. DE LA XIIIe CHAMBRE,

Vu la requête unique introduite le 23 décembre 2015 par la société coopérative à responsabilité limitée (S.C.R.L.) COMPAGNIE INTERCOMMUNALE LIEGEOISE DES EAUX (CILE) qui demande l'annulation ainsi que la suspension de l'exécution du permis unique délivré à la société anonyme (S.A.) CABOT PLASTICS BELGIUM le 14 décembre 2015, autorisant le forage d'un puits et l'exploitation de l'aquifère pour la production de vapeur, le refroidissement et le nettoyage des installations situées à Loncin (Ans), 131, rue Emile Vandervelde.

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Vu la requête introduite le 20 janvier 2016 par laquelle la S.A. CABOT PLASTICS BELGIUM demande à être reçue en qualité de partie intervenante;

Vu la note d'observations et le dossier administratif de la partie adverse;

Vu le rapport de M. NEURAY, premier auditeur chef de section au Conseil d'Etat, rédigé sur la base de l'article 93 du règlement général de procédure;

Vu l'ordonnance du 18 mai 2016 convoquant les parties à comparaître à l'audience publique du 8 juin 2016 à 10 heures;

Vu la notification de cette ordonnance et du rapport aux parties;

Entendu, en son rapport, Mme BOLLY, conseiller d'Etat;

Entendu, en leurs observations, Me N. FORTEMPS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, Me Célia HECQ, loco Me R. JOLY, avocat, comparaissant pour la partie adverse, et Me Laura DERU, loco Me J.-M. SECRETIN, avocat, comparaissant pour la partie intervenante;

Entendu, en son avis conforme, M. NEURAY, premier auditeur chef de section;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les éléments de la cause se présentent comme suit :

  1. La S.A. CABOT PLASTICS BELGIUM, filiale de la société multinationale américaine CABOT CORP., exploite depuis 1970 à Loncin, sur le territoire de la commune d'Ans, une unité de transformation de matières plastiques par adjonction de pigments et autres additifs à des résines, les produits semi-finis étant notamment destinés à la fabrication d'objets mobiliers.

    Elle est propriétaire d'une parcelle sise rue Emile Vandervelde, 131 à Ans, cadastrée 3ème division, section B, n° 319f4. Cette parcelle est située en zone d'activité économique industrielle au plan de secteur.

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    Depuis 2004, elle est autorisée à exploiter un puits pour un débit maximum de 8 m³/h, 100 m³/jour et 16000 m³/an. Elle explique que cette prise d'eau est en perte de productivité et ne peut être exploitée qu'à concurrence de +/- 1 m³/h, ce qui est insuffisant pour ses besoins.

  2. Le 21 novembre 2014, elle introduit, auprès de l'administration communale d'Ans, une demande de permis unique de classe 2 d'une durée inférieure à 20 ans pour forer un puits en vue d'exploiter une prise d'eau d'un débit de 3,5 m³/heure pour le refroidissement des installations de réfrigération (60 %), le nettoyage de locaux et de matériel (15 %) et la production de vapeur (25 %).

    Les deux puits se situent dans la zone de prévention éloignée des Galeries de Hesbaye, qui fait partie de la nappe des craies du crétacé.

  3. Le 22 juin 2015, l'administration régionale des eaux souterraines rend un avis favorable conditionnel, proposant notamment de réaliser une série d'essais et de limiter la durée de l'autorisation.

  4. Le 25 juin, la requérante émet un avis défavorable au projet pour les motifs suivants :

    " L'installation en question sera située au droit de la nappe aquifère de Hesbaye, dans le projet de zone de prévention de nos captages d'eau potable.

    Selon les éléments dont nous disposons, la demande porte sur la réalisation et l'exploitation d'un puits foré qui viendra en remplacement d'un ouvrage de prise d'eau existant dont le débit est insuffisant en regard des besoins de l'entreprise. Le complément est actuellement prélevé sur le réseau de distribution publique.

    D'une manière générale, nous ne sommes pas favorables à la multiplication de forages dans nos zones de captage. Ils constituent en effet des accès directs des pollutions de la surface vers les eaux souterraines. Malgré les précautions qui peuvent être imposées, cela reste des ouvrages délicats à réaliser et à exploiter. Les risques de contamination des eaux souterraines ne sont jamais négligeables, d'autant plus importants que :

    1. Les puits destinés à couvrir des besoins industriels sont généralement réalisés à proximité des installations qu'ils alimentent, dans des zones où sont exercées des activités susceptibles de générer des risques élevés de pollution;

    2. La réalisation de forages est rarement suivie par un spécialiste indépendant de l'entreprise;

    3. La gestion des ouvrages est laissée à des personnes ou des organismes qui sont généralement peu sensibilisés à la problématique de la protection des eaux souterraines et qui n'ont pas les connaissances suffisantes pour assurer une protection efficace de leur captage. Dans le cas des puits privés, cette dernière est le plus souvent limitée à la zone de prise d'eau qui est rarement supérieure à 10 mètres;

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    4° En cas d'abandon d'un puits, il sera difficile de s'assurer qu'il sera comblé suivant les règles de l'art.

    Par ailleurs, si pris individuellement les débits prélevés sont souvent peu importants, le cumul des prises d'eau privées représente une pression importante sur les aquifères. La multiplication des puits privés rend également difficile, voire illusoire, les contrôles par la Région wallonne, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, qui sont pourtant nécessaires pour permettre une gestion globale des masses d'eau conformément aux objectifs de la Directive cadre (Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau). C'est pourquoi nous estimons que l'octroi d'autorisation de forage et de prise d'eau doit être limitée au travers d'une évaluation de l'opportunité des projets en regard des alternatives possibles et, notamment, de la possibilité d'alimenter les installations concernées par le réseau public de distribution d'eau potable, dans des conditions techniques et économiques raisonnables.

    Dans le cas particulier de la demande qui nous est soumise, il s'agit de la réalisation et de l'exploitation d'un nouveau forage de prise d'eau afin de remplacer un ouvrage identique existant. Par ailleurs, l'entreprise est alimentée par le réseau public de distribution qui constitue une source en eau sans risque supplémentaire pour l'environnement et le dossier ne contient pas d'indication relative à des difficultés d'approvisionnement ou un accroissement des besoins qui ne pourrait être rencontré.

    En conséquence, nous nous opposons à la réalisation et à l'exploitation de cet ouvrage".

  5. Le collège communal d'Ans délivre l'autorisation sollicitée le 9 septembre 2015 tout en limitant la durée de l'exploitation à une période d'essai expirant le 30 novembre 2016, la partie permis d'urbanisme étant autorisée pour une durée illimitée.

    La durée limitée du permis est justifiée par une période "test" au cours de laquelle des pompages d'essai devraient être réalisés par l'intervenante afin de déterminer les caractéristiques hydrogéologiques et hydrochimiques de la nappe souterraine, d'estimer la capacité de l'ouvrage et de l'aquifère sollicité ainsi que des possibilités de maintien à long terme du débit souhaité sans influence sur l'environnement, et en particulier la prise d'eau codée 42/1/8/013.

  6. Le 5 octobre 2015, la requérante forme un recours en réformation contre cette décision auprès du Gouvernement wallon. Elle reproche à l'intervenante et à l'autorité communale de n'avoir pas sérieusement examiné les besoins réels de l'entreprise ni étudié des solutions alternatives qui éviteraient l'accès direct à l'aquifère et les risques que l'opération comporte.

  7. A l'instruction du recours, la direction des eaux souterraines a rendu un second avis favorable sous condition, où l'on peut notamment lire ce qui suit :

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    " [...] Le dossier introduit par Cabot Plastics Belgium ne comporte en effet pas une explication détaillée des besoins en eau de l'entreprise. Pour le puits existant, on constate une baisse annuelle des volumes prélevés déclarés, ceux-ci étant passés de 25.581 m³ en 2006 à, à peine, 5.403 m³ en 2014. Il est fort probable que cette baisse des prélèvements soit due, au moins partiellement, aux problèmes rencontrés dans le puits existant.

    L'entreprise a donc dû certainement trouver une autre source d'approvisionnement, mais rien n'indique qu'elle est raccordée au réseau public (même le recours ne le spécifie pas !).

    Au regard du volume prélevé en 2006, et de l'utilisation du puits 6 jours sur 7, on peut estimer que l'entreprise a un besoin moyen d'environ 2 m³/h, mais en tenant compte des congés annuels, et sachant que les besoins ne sont pas constants, le volume horaire nécessaire maximum est certainement supérieur à 2 m³/h, et tenant compte d'une certaine sécurité et du développement éventuel futur des activités, un volume horaire maximum souhaité de 3,5 m³/h paraît raisonnable. Le permis de 2004 avait octroyé les débits maximum suivants : 8 m³/h, 100 m³/j et 16.000 m³/an.

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