Décision judiciaire de Conseil d'État, 23 février 2016

Date de Résolution23 février 2016
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R ÊT

nº 233.892 du 23 février 2016

A. 214.072/XI-20.381

En cause : EL FARE Tarik, agissant en son nom propre et en qualité de représentant légal de ses enfants, EL FARE Douaa, EL FARE Dalila, EL FARE Mohammed Younes, ayant élu domicile chez Me M. OUKILI, avocat, rue Dejoncker 51/16 1060 Bruxelles,

contre :

L’Etat belge, représenté par

le ministre de la Justice, ayant élu domicile chez Me S. DEPRÉ, avocat, Place Flagey 7 1050 Bruxelles.

--------------------------------------------------------------------------------------------------- LE CONSEIL D’ÉTAT, XI e CHAMBRE,

  1. OBJET DE LA REQUÊTE

    1. Par une requête du 27 octobre 2014, Tarik EL FARE, agissant en son nom et en qualité de représentant légal de Douaa EL FARE, Dalila EL FARE et Mohamed Younes EL FARE, poursuit l’annulation de la décision du ministre de la Justice du 27 août 2014 « refusant de proposer au Roi de [les] autoriser à modifier leurs noms en "TAZI" ».

  2. PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT

    1. Le dossier administratif a été déposé.

    Les mémoires en réponse et en réplique ont été échangés.

    XI – 20.381 - 1/12

    M. B. CUVELIER, premier auditeur chef de section au Conseil d’État, a déposé un rapport rédigé sur la base de l’article 12 du règlement général de procédure. Le rapport a été notifié aux parties.

    Les parties ont déposé un dernier mémoire. La partie requérante a demandé la poursuite de la procédure.

    Une ordonnance du 15 décembre 2015, notifiée aux parties, a fixé l’affaire à l’audience de la XIe chambre du 14 janvier 2016 à 9 heures 45.

    Mme C. DEBROUX, conseiller d’État, a fait rapport.

    Me M. DEKLEERMAKER, loco Me M. OUKILI, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me S. DEPRÉ, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

    M. B. CUVELIER, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, relatif à l'emploi des langues, des lois coordonnées sur le Conseil d’État.

  3. FAITS UTILES À L’EXAMEN DE LA CAUSE

    1. Le 22 mars 2013, le père du requérant, Boujemaa EL FARE, a introduit auprès du ministre de la Justice une demande de changement de nom, sollicitant de pouvoir porter le nom de TAZI au lieu de EL FARE, en raison de la connotation risible de son patronyme actuel qui signifie « le rat » dans le dialecte marocain et des quolibets qu’il suscite, et afin de faire correspondre son identité en Belgique et au Maroc, cet État ayant d’ores et déjà accepté le changement de nom sollicité, par un décret du 24 novembre 2011. Les enfants et petits-enfants du demandeur principal ont été associés à cette demande.

    2. Par une note du 28 juillet 2014, l’administration a donné au ministre un « avis favorable au changement de nom », sauf en ce qui concerne le requérant et ses enfants, pour lesquels un « avis défavorable » a été émis, sur la base de la motivation suivante :

      La demande est introduite par le conseil du premier requérant, Me Mohamed OUKILI. Il sollicite la modification du nom de son client en

      XI – 20.381 - 2/12

      "TAZI" afin qu’il corresponde à celui que le Royaume du Maroc a déterminé ([...]).

      La demande est étendue aux enfants et petits-enfants du requérant principal avec le consentement de toutes les parties.

      Maître OUKILI expose que son client a été autorisé à changer de nom par les autorités marocaines ([...]) au motif que le nom "EL FARE" signifie "le rat" en dialecte marocain mais également en marocain littéraire. Il est donc difficile à porter par sa connotation risible et lui porterait préjudice.

      Le casier judiciaire des intéressés est vierge de toute condamnation à l’exception de celui de Tarik EL FARE qui a été condamné du chef de viol par la Cour d’appel de Bruxelles le 10 décembre 2012 à une privation de ses droits civils et politiques de 5 ans. Il a été antérieurement condamné à un an de prison avec sursis de trois ans du chef de vol avec violence le 4 mars 2002 par le tribunal de première instance de Bruxelles.

      La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.C.E., 2 oct. 2003, Garcia Avello, [...]) et l’article 39, 1°, du code de droit international privé ne s’imposent pas puisque le Maroc n’est pas un État membre de l’Union européenne.

      Il existe néanmoins une identité de situation et de motifs. Le changement de nom permettra de restaurer l’unité du nom au sein de la famille. En l’absence d’objection et vu les motifs "sérieux" invoqués, j’émets un avis favorable au changement de nom.

      En revanche, la demande de changement de nom formulée par Tarik EL FARE se heurte à ses antécédents judiciaires graves et récents. Non seulement, il ne peut être considéré comme digne de la faveur que constitue le changement (…), mais la gravité des antécédents du requérant perme[t] de redouter qu’il n’entend[e] se dérober à ceux-ci. L’octroi de la faveur sollicitée pourrait nuire à l’ordre public et aux intérêts des tiers, dont les autorités publiques, en contrariant l’identification et la recherche d’un criminel.

      Il ne parait pas opportun de rompre l’unité au sein de la cellule familiale de Tarik EL FARE. Dès lors, le changement de nom de ses enfants, Douaa, Dalila et Mohamed, ne devrait pas être accordé pour l’instant

      .

      Le 26 août 2014, la ministre de la Justice a décidé de suivre cet avis.

    3. Par un arrêté royal du 23 août 2014, le Roi a autorisé Boujemaa EL FARE, ainsi que ses enfants et petits-enfants − à l’exception du requérant et de ses enfants −, à substituer à leur nom de famille celui de TAZI. Cet arrêté royal a été retiré le 30 septembre 2014 en raison d’erreurs matérielles, et il a été remplacé par un arrêté royal du même jour, ayant une portée identique.

      XI – 20.381 - 3/12

      6. Le 27 août 2014, la ministre de la Justice a écrit au conseil du requérant en ces termes :

      [...]

      I. Me...

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