Décision judiciaire de Conseil d'État, 23 juin 2015

Date de Résolution23 juin 2015
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 231.723 du 23 juin 2015

A. 204.472/XI-18.869

En cause : 1. JACQUINET Eric, 2. EMBAREK BEN MOHAMED Lorenzo, représenté par ses parents

JACQUINET Eric et

EMBAREK BEN MOHAMED Françoise,

ayant élu domicile chez

Me M. COOLS, avocat, rue du Village 77 4400 Flémalle,

contre :

l'Etat belge, représenté par le Ministre de la Justice, ayant élu domicile chez Me B. RENSON, avocat, rue Père Eurdore Devroye47 1040 Bruxelles.

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LE CONSEIL D'ÉTAT, XI e CHAMBRE,

  1. OBJET DE LA REQUETE

    Par une requête introduite le 13 avril 2012, Eric JACQUINET et Lorenzo EMBAREK BEN MOHAMED, ce dernier représenté par ses parents Eric JACQUINET et Françoise EMBAREK BEN MOHAMED, demandent l'annulation de la décision prise le 14 février 2012 par la Ministre de la Justice refusant de soumettre à Sa Majesté le Roi la demande du 26 juillet 2010 par laquelle ils ont sollicité le changement de leur nom respectif en celui de « MANCINO ».

  2. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

    Le dossier administratif a été déposé par la partie adverse.

    Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

    XI – 18.869 - 1/11

    M. l'auditeur G. SCOHY a rédigé un rapport, sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

    Ce rapport a été notifié aux parties. La partie requérante et la partie adverse ont déposé un dernier mémoire.

    Une ordonnance du 2 juin 2015, notifiée aux parties, a fixé l'affaire à l'audience de la XIe chambre du 23 juin 2015 à 10 heures.

    M. le président de chambre Ph. QUERTAINMONT a fait rapport.

    Me S. RWANYINDO, loco Me M. COOLS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me R. RYCKEBOER, loco Me B. RENSON, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

    M. l'auditeur G. SCOHY a été entendu en son avis conforme.

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

  3. EXPOSE DES FAITS DE LA CAUSE

    1. Le 26 juillet 2010, le premier requérant, Eric JACQUINET, introduit une demande en changement de nom, sollicitant l'autorisation de changer son nom existant en celui de « MANCINO ».

      Cette demande est motivée ainsi qu’il suit : « Je fais la demande de changement de nom, c'est-à-dire "Jacquinet" remplacé par "Mancino" étant donné que je n'ai pas trop connu mon père et celui-ci étant décédé et que c'est ma mère Madame Mancino Maria Hélène qui m'a élevé seule jusqu'à ma majorité.

      Je ne connais ni la famille de mon père, même pas sa vie et qui il était vraiment.

      Je me sens étranger par rapport à ce nom et j'ai besoin de reprendre le nom de ma mère pour être bien dans ma peau et en moi-même.

      J'ai aussi un fils Jacquinet Lorenzo, dont j'aimerais que lui aussi change son nom et récupère celui de ma mère. A savoir que sa maman Mme Embarek Françoise accepte ce changement ».

      A cette demande étaient joints un courrier de Mme Maria MANCINO dans lequel elle donne son autorisation et marque son consentement au changement de nom de son fils, et un courrier de Mme Françoise EMBAREK dans lequel elle donne son accord pour le changement de nom de leur fils, Lorenzo JACQUINET.

      XI – 18.869 - 2/11

      2. Le 7 septembre 2010, la partie adverse accuse réception de la demande et transmet celle-ci au Procureur général près la Cour d’appel de Liège pour enquête d'usage . Cet avis défavorable, formulé le 26 octobre 2011, est ainsi rédigé : « Dans la mesure où il n'est pas démontré que le patronyme actuel du requérant soit devenu à ses yeux à ce point insupportable qu'il justifie impérieusement le recours à une procédure extraordinaire de changement de nom, il ne m'apparaît pas que la requête puisse s'asseoir sur des motifs suffisamment sérieux au sens de l'article 3 de la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms. Mon avis est par conséquent défavorable ».

    2. Le 17 janvier 2012, le Service des changements de nom et de prénoms du SPF Justice transmet également à la Ministre un avis défavorable :

      I. Le requérant souhaite substituer le nom de sa mère, Maria MANCINO, à celui de feu son père, Claude JACQUINET. Le motif de la demande est le sentiment du requérant d'être étranger à son nom qu'il tient d'un père qu'il aurait peu connu, de même que sa famille. Il aurait été élevé par sa mère.

      La demande est étendue au fils mineur du requérant, Lorenzo, avec l'accord de sa mère. Il est domicilié à Charleville-Mézières (France) avec sa mère, Françoise EMBAREK BEN MOHAMED. Il ne figure pas au registre national des personnes physiques. Il n'est pas établi qu'il soit de nationalité belge, ni qu'il porte bien le nom de son père.

      Le père du requérant est décédé le 13 avril 1996. Sa mère marque son accord.

      Selon le rapport de la police française, le requérant a ajouté que feu son père n'a pas subvenu aux besoins de son éducation et qu'il l'a abandonné.

      Le Substitut du Procureur général délégué près de la Cour d'appel de Liège constate qu'il n'est pas démontré que le patronyme actuel du requérant soit à ce point insupportable qu'un changement de nom s'avère impérieux. A défaut de motifs "sérieux" au sens de la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms, son avis est défavorable. II. la loi du 15 mai 1987 précitée exige que l'autorité maintienne un caractère exceptionnel au changement de nom (C.E., 1er octobre 2010, n°207.823, Jamar de Boisée ; C.E., n°209.644, 9 décembre 2010, Seroli).

      Les motifs doivent également être sérieux, véridiques et légitimes (cf C.E., 25 février 2011, n°211.552, Hardy).

      Ainsi les demandes qui ne reposent pas sur un motif dont le caractère est sérieux et véridique devront être écartées, même si le nom demandé ne porte préjudice à personne (Rapport fait au nom de la Commission de la Justice au Sénat, Doc. Parl, Sén., 1986-1987, 401/2, p.9).

      En l'occurrence, le nom "JACQUINET" n'est pas raisonnablement, ni objectivement de nature à causer un préjudice à son titulaire par lui-même. La modification de ce nom n'est souhaitée qu'en ce qu'il renvoie à une relation filiale déficiente.

      Il n'est malheureusement pas exceptionnel que la relation filiale...

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