Décision judiciaire de Conseil d'État, 16 février 2011

Date de Résolution16 février 2011
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R Ê T

nº 211.297 du 16 février 2011

A.172.723/VIII-5530

En cause : HER Marianne,

rue de Limelette 47

6044 Roux,

contre :

le Centre public d'action sociale de Courcelles,

ayant élu domicile chez

Me Philippe LEVERT, avocat,

avenue Louise 149/22

1050 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE CONSEIL D'ÉTAT, VIII e CHAMBRE,

Vu la requête introduite le 8 mai 2006 par Marianne HER qui demande l'annulation de la délibération du 19 décembre 2005 du conseil de l'aide sociale du centre public d'action sociale (C.P.A.S.) de Courcelles par laquelle la sanction disciplinaire majeure de la retenue de 20 % du traitement brut, pour une durée de trois mois, lui est infligée;

Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

Vu le rapport de M. LEFEBVRE, premier auditeur au Conseil d'État;

Vu la notification du rapport aux parties et le dernier mémoire de la partie requérante;

Vu l'ordonnance du 29 octobre 2010 notifiée aux parties, fixant l'affaire à l'audience publique du 21 janvier 2011;

Entendu, en son rapport, M. CAMBIER, conseiller d'État;

VIII - 5530 - 1/20

Entendu, en leurs observations, Me Maya TABET, loco Me Monique DETRY, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Philippe LEVERT, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, M. LEFEBVRE, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent comme suit :

  1. La requérante a été engagée comme infirmière au C.P.A.S. de Courcelles en avril 1979. Elle y a été nommée en cette qualité le 1er octobre 1989 et affectée au service des soins à domicile. Le 1er janvier 2004, à la suite de la suppression de ce service, elle est mutée à la maison de repos du C.P.A.S.

  2. Le 17 mai 2005, la requérante administre "en urgence et après avoir consulté le schéma de médication" à une résidente de la maison de repos, Madame Maria MATERA, "accablée par une importante diarrhée qui perdurait depuis plusieurs jours", deux gélules de Lopéramide (Imodium) prises dans la cassette d'un autre pensionnaire et remplacées par la suite par deux autres gélules identiques et ce :

    1

    ° sans prescription médicale; 2

    ° "sans en référer à qui que ce soit".

    Le même jour, l'infirmière en chef faisant fonction, Mme RETHY, dresse un rapport de cet incident en concluant que "(...) ce médicament est tout à fait contre-indiqué dans son cas, il risque l'occlusion intestinale". La directrice de la maison de repos, Mme DUPORTAL en avise le secrétaire de la partie adverse par courrier du 20 mai 2005. Elle précise que "Depuis lors [Mme MATERA] est sous surveillance car nous appréhendons l'occlusion intestinale". Elle ajoute, in fine: "Renseignements pris ce mardi 24 mai: Mme MATERA se porte bien".

  3. Sur le fondement du rapport et du courrier précités, le conseil de l'action sociale de la partie adverse décide, le 21 juin 2005, d'entamer une procédure disciplinaire à charge de la requérante qui est convoquée pour audition par lettre recommandée du 23 juin 2005.

    VIII - 5530 - 2/20

    4. Dans le dossier disciplinaire figure une lettre du 28 juin 2005 du Dr I. BORREMANS, médecin traitant de Mme MARTERA, qui mentionne que : " Dans le cas qui nous préoccupe: l'imodium sera dans la majorité des cas une médication de confort sans aucune complication mais aurait pu dans un dossier délicat ou complexe entraîner des conséquences plus sévères".

  4. Le 26 juillet 2005, le conseil de l'action sociale de la partie adverse procède à l'audition de la requérante et décide de dresser séance tenante le procès-verbal de l'audition et de fixer la peine disciplinaire au prochain conseil. La requérante était accompagnée notamment du Dr HAVEAUX, médecin coordinateur de la maison de repos, qui a précisé que : " (...) les médicaments dits banalisés, tout le monde en a chez soi, c'est une habitude classique de les administrer dans sa propre famille mais dans certains cas on risque d'enfermer le microbe dans l'intestin ce qui n'était pas le cas dans ce dossier précis puisqu'il n'y avait pas de syndrome infectieux, [...]...dans le dossier il y avait une remarque interdisant ce médicament et [qui] n'était pas connu[e] des infirmières. C'est vrai que ce médicament ne peut être administré sans prescription médicale".

  5. Le 30 août 2005, le conseil de l'action sociale de la partie adverse inflige à la requérante la sanction disciplinaire de retenue de traitement égale à 20% de son traitement brut pour une durée de trois mois aux motifs suivants : " Considérant qu'il est établi que l'intéressée a, à tout le moins administré un médicament à une pensionnaire sans prescription médicale avec les circonstances aggravantes qu'il était tout à fait contre indiqué dans son cas et prélevé dans la cassette d'un autre pensionnaire;

    Considérant que ces faits ne sont pas contestés par l'agent;

    Considérant que les agents doivent remplir leurs fonctions avec conscience professionnelle et qu'à cet effet, ils doivent respecter les lois et règlements en vigueur;

    Attendu que l'administration par une infirmière d'un médicament sans prescription médicale constitue un acte illégal conformément aux dispositions de l'Arrêté Royal du 18.06.1990 portant fixation de la liste des prestations techniques de soins infirmiers et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l'art infirmier;

    Attendu que le rapport médical du médecin traitant précise que l'administration d'une médication de confort sera dans la majorité des cas sans aucune complication mais aurait pu dans un dossier délicat ou complexe entraîner des conséquences plus sévères;

    Attendu que Madame HER a agi de sa propre initiative sans prendre l'avis de l'infirmière en chef présente dans le bâtiment lors des faits;

    Vu la proposition émise d'infliger à Madame HER Marianne la sanction majeure de retenue de traitement égale à 20 % de son traitement brut pour une durée de trois mois".

    VIII - 5530 - 3/20

    7. Le 21 octobre 2005, à la suite d'une réclamation introduite par la requérante, le Gouverneur de la Province du Hainaut suspend l'exécution de la délibération du 30 août 2005 précitée pour les motifs suivants : " Considérant qu'il est reproché à Madame HER d'avoir à tout le moins administré un médicament à une pensionnaire avec les circonstances aggravantes qu'il était tout à fait contre-indiqué dans son cas et prélevé dans la cassette d'un autre pensionnaire;

    Considérant in concreto que l'intéressée a donné 2 gélules d'Imodium à une résidente de la maison de repos souffrant d'une importante diarrhée;

    Considérant que c'est à bon droit que le Conseil de l'Aide Sociale affirme qu'en administrant un médicament à une pensionnaire de la maison de repos sans avoir reçu de prescription médicale, Madame HER a contrevenu à l'arrêté royal du 18/06/90 portant fixation de la liste des prestations techniques de soins infirmiers et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l'art infirmier;

    Considérant dès lors que l'acte posé par l'intéressée est constitutif d'une faute pouvant être sanctionnée sur le plan disciplinaire;

    Considérant toutefois qu'il n'est pas contesté que l'agent sanctionné a remplacé les gélules prélevées dans la cassette de l'autre pensionnaire;

    Considérant en outre qu'il ressort des avis concordants du médecin traitant de la résidente de la maison de repos et du médecin coordinateur que l'administration de ce médicament de confort peut entraîner dans certains cas des complications graves; que tous deux précisent que ce n'était pas le cas en l'occurrence;

    Considérant qu'aucune pièce du dossier ne permet d

    Ү établir que l'administration d'Immodium était contre-indiquée dans le cas présent;

    Considérant également qu'il ressort des éléments du dossier que l'intéressée n'a jamais encouru de sanction disciplinaire auparavant; qu'en novembre 2003, le Président et le Secrétaire du Centre signaient une attestation selon laquelle l'intéressée, alors infirmière à domicile, assurait ses prestations à leur entière satisfaction;

    Considérant que Madame BORREMANS, médecin traitant de la pensionnaire, a tenu à souligner l'honnêteté de l'infirmière incriminée et à préciser qu'elle gardait une entière confiance en l'équipe;

    Considérant dès lors que si Madame HER a effectivement enfreint une règle qui justifie une sanction, il y a lieu d'avoir égard aux considérations de la cause et notamment à l'absence d'intention fautive de la part de l'intéressée et au fait que l'acte posé par cette dernière n'était pas de nature à exposer la santé de la pensionnaire à des complications;

    Considérant qu'il est de jurisprudence constante que la sanction infligée doit être proportionnée à la gravité de la faute;

    Considérant qu'infliger une retenue de traitement égale à 20 % du traitement brut de l'intéressée pendant trois mois constitue une peine manifestement disproportionnée;

    Considérant qu'en statuant de la sorte, le Conseil de l'Aide Sociale a fait une mauvaise application de la loi et, partant, a adopté une décision qui viole la loi".

    VIII - 5530 - 4/20

    7. Le 15 novembre 2005, les infirmières en chef CARLIER et RETHY écrivent au président de la partie adverse afin de contester l'interprétation donnée par le Gouverneur de la Province du Hainaut au rapport du Dr BORREMANS du 28 juin 2005. Elles écrivent notamment que : "(...) si en règle générale l'administration de ce médicament n'entraîne aucune complication, dans le cas qui nous occupe, celui-ci est tout à fait contre-indiqué puisqu'il pouvait avoir comme conséquence, l'apparition d'une occlusion intestinale pouvant entraîner le décès du pensionnaire".

    Elles ajoutent ensuite que :

    " l'attention toute particulière qui a été portée au patient en cause pendant plus d'une semaine et ce, en raison de la...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT