Décision judiciaire de Conseil d'État, 1 juin 2001

Date de Résolution 1 juin 2001
JuridictionXIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION D'ADMINISTRATION.

ARRET

no 96.094 du 1er juin 2001

A.102.304/XIII-2109

En cause : l'Association sans but lucratif

PETITIONS-PATRIMOINE, ayant élu domicile chez Me Jacques SAMBON, avocat, rue des Coteaux 227 1030 Bruxelles,

contre :

  1. la Commune de Woluwé-Saint-Pierre , ayant élu domicile chez Me Bernard LOUVEAUX, avocat, rue du Prince Royal 85 1050 Bruxelles,

  2. la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me Philippe COENRAETS, avocat, avenue F.D. Roosevelt 84/3 1050 Bruxelles.

    Partie intervenante :

    la Société anonyme ODEBRECHT, ayant élu domicile chez Me Pieter JONGBLOET, avocat, rue du Grand Cerf 12 1000 Bruxelles.

    --------------------------------------------------------

    XIIIr - 2109 - 1/40

    LE PRESIDENT DE LA XIII e CHAMBRE DES REFERES,

    Vu la demande introduite le 26 mars 2001 par l'association sans but lucratif PETITIONS-PATRIMOINE, tendant à la suspension de l'exécution du permis d'urbanisme délivré le 22 janvier 2001 par le collège des bourgmestre et échevins de Woluwé-Saint-Pierre à la société anonyme ODEBRECHT "pour un bien sis numéros 118 à 126 avenue de Tervueren et numéros 3 à 13 rue de la Duchesse et tendant à la démolition d'un immeuble, la construction d'un immeuble à appartements avec bureaux, commerces, agence bancaire et 59 garages en sous-sol, la reconstruction d'un bâtiment classé «avenue de Tervueren, 120», et l'achèvement du gros oeuvre";

    Vu la requête introduite le même jour par la même requérante qui demande l'annulation du permis précité;

    Vu la requête introduite le 26 avril 2001 par laquelle la société anonyme ODEBRECHT demande à être reçue en qualité de partie intervenante dans la procédure en référé;

    Vu la note d'observations et le dossier administratif de la partie adverse;

    Vu le rapport de M. QUINTIN, premier auditeur chef de section au Conseil d'Etat;

    Vu l'ordonnance du 15 mai 2001 fixant l'affaire à l'audience du 23 mai 2001 à 9.30 heures;

    Vu la notification de l'ordonnance de fixation et du rapport aux parties;

    Entendu, en son rapport, M. HANOTIAU, président de chambre;

    XIIIr - 2109 - 2/40

    Entendu, en leurs observations, Me J. SAMBON, avocat, comparaissant pour la requérante, Me B. LOUVEAUX, avocat, comparaissant pour la première partie adverse, Me Ph. COENRAETS, avocat, comparaissant pour la seconde partie adverse, et Me P. JONGBLOET, avocat, comparaissant pour la partie intervenante;

    Entendu, en son avis conforme, M. QUINTIN, premier auditeur chef de section;

    Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

    Considérant que les faits de la cause se présen-tent comme suit :

    A. La période antérieure à l'introduction de l'actuelle demande de permis.

  3. Le 29 novembre 1990, la Commission royale des monuments et des sites propose au ministre compétent d'entamer la procédure de classement, comme monument, de la façade, de la toiture et de la grille de l'immeuble sis avenue de Tervuren, 120, à Woluwé-Saint-Pierre. La lettre relève que ce petit hôtel de maître construit en 1906 pour le lieutenant de LANNOY est une oeuvre significative de l'architecte Paul HAMESSE et que son style illustre l'introduction à Bruxelles de l'art de la Sécession viennoise. Les travaux de remise en état de l'immeuble sont évalués à deux millions de francs.

  4. Le 24 juin 1991, le collège des bourgmestre et échevins de Woluwé-Saint-Pierre délivre à Paul VAN BELLE, à l'époque propriétaire du bien, un certificat d'urbanisme no 2 relatif à la construction, sur des terrains situés avenue de Tervuren, 118/126 et rue de la Duchesse, 3/13, d'un immeuble d'habitations, bureaux et commerces, avec construction souterraine en zone de recul.

    XIIIr - 2109 - 3/40

    Le certificat d'urbanisme est favorable mais "sous réserve de l'abandon de la procédure ou d'un avis défavorable au classement éventuel du bâtiment sis avenue de Tervuren, 120 et de la stricte conformité du projet aux prescriptions du plan particulier d'aménagement précité, notamment en ce qui concerne l'interdiction de construction sous la zone de recul".

  5. Le 23 décembre 1991, le collège des bourgmestre et échevins accorde à Paul VAN BELLE le permis de bâtir que celui-ci demandait en vue d'être autorisé, d'une part, à démolir les bâtiments sis avenue de Tervuren, 118/126 et rue de la Duchesse, 3/13 et, d'autre part, à y construire un immeuble à appartements avec "rez bancaire" et bureaux.

    Le permis impose notamment la condition suivante :

    " prévoir avant tous travaux et nonobstant l'absence de toute obligation de protection ou de conservation de la façade de l'immeuble sis 120 avenue de Tervueren, l'établissement d'un relevé photostéréoscopique précis de cette façade, le démontage des éléments les plus représentatifs de celle-ci ainsi que leur entreposage selon les modalités à convenir avec la commune".

  6. Le 18 mars 1992, la Commission royale des monuments et des sites émet un avis favorable au classement en raison de l'intérêt national que présente la conservation de l'immeuble d'un point de vue artistique et historique.

  7. Le 26 mars 1992, l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale prend un arrêté, fondé sur la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et des sites, par lequel est classé comme monument l'ensemble constitué par la façade et la toiture de l'immeuble sis avenue de Tervuren, 120, à Woluwé-Saint-Pierre. L'arrêté est publié par extrait au Moniteur belge du 14 avril 1992. Aucun recours en annulation n'a été formé contre ce classement.

    XIIIr - 2109 - 4/40

    6. Par une lettre du 9 juin 1992, Paul VAN BELLE demande au président de l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale l'autorisation de procéder au démontage et au déplacement de la façade ayant fait l'objet du classement, en faisant valoir qu'il se révélait impossible d'intégrer les parties classées de l'immeuble dans son projet de construction.

  8. Le 10 septembre 1992, la Commission royale des monuments et des sites, auquel l'intéressé a fait part le 12 août 1992 de son projet, écrit à Paul VAN BELLE ce qui suit :

    " En réponse à votre lettre du 12 août 1992, nous avons l'honneur de vous informer que notre Collège a émis un avis défavorable considérant :

    - que la valeur architecturale intrinsèque de cet immeuble est renforcée par, et de ce fait indissociable de, son environnement bâti immédiat;

    - que l'implantation de cet édifice constitue un remarquable témoignage d'une sobre architecture bâtie le long de l'une des réalisations urbanistiques les plus prestigieuses de la Région.

    Notre Collège estime en outre qu'il serait particulièrement inopportun d'isoler de son contexte historique une oeuvre aussi significative sur le plan de l'évolution architecturale en région bruxelloise.

    Il espère par ailleurs que cet immeuble sera restauré rapidement et que la ferronnerie originale sera replacée à son alignement".

  9. Le 30 avril 1993, Paul VAN BELLE adresse à l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale une demande d'indemnité en raison "du dommage exceptionnel qui lui est causé par le classement de l'immeuble sis 120 avenue de Tervueren, dont il est propriétaire, ainsi que par la décision implicite de rejet de sa demande de modification-déplacement dudit immeuble". L'indemnité réclamée, en application de l'article 11, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, s'élève à 252.376.513 francs, à majorer des intérêts à dater du 31 mars 1993.

    XIIIr - 2109 - 5/40

    9. Le 1er mai 1993, Paul VAN BELLE fait procéder à la démolition de l'immeuble situé avenue de Tervuren, 118. Une démolition partielle du numéro 120 est également entamée.

  10. Le 19 mai 1993, le bourgmestre de Woluwé-Saint-Pierre prend une ordonnance interdisant l'accès aux propriétés portant les numéros 118, 120 et 122 de l'avenue de Tervuren et prohibant la circulation le long de ces immeubles.

    L'ordonnance de police se fonde sur l'état actuel de l'immeuble situé avenue de Tervuren, 120, qui présenterait un danger important de chute de pierres en façade.

  11. Le 20 mai 1993, le bureau d'expertise "D.& H.", consulté par la commune, remet son rapport au sujet de l'immeuble situé avenue de Tervuren, 120.

    Selon le rapport, la façade est encore relativement saine malgré le manque d'entretien évident de ces dernières années. Deux éléments présentent cependant des risques d'instabilité à court terme en raison des démolitions partielles - que le rapport qualifie d'"inhabituelles" - de l'immeuble concerné ainsi que du bâtiment voisin. Le rapport énonce plusieurs solutions possibles pour y remédier.

  12. Le 21 mai 1993, le bourgmestre prend un arrêté de police relatif à l'immeuble situé avenue de Tervueren, 120; l'article 1er porte ce qui suit :

    " Si pour le 26 mai 1993 à 24 heures, l'ensemble des mesures et travaux destinés à rétablir la sécurité avenue de Tervueren à hauteur des nos 116 et 122 n'est pas exécuté par qui de droit, la commune de Woluwé-Saint-Pierre fera procéder d'autorité aux mesures et travaux dont question".

    XIIIr - 2109 - 6/40

    Le même jour, le bourgmestre prie Paul VAN BELLE de prendre les mesures nécessaires en vue d'assurer la sécurité publique. Il ressort de la lettre du 21 mai 1993 que c'est le destinataire de celle-ci qui avait lui-même invité le bourgmestre à faire usage de ses pouvoirs de police.

  13. L'immeuble litigieux - ou ce qu'il en reste est, en dépit de son classement partiel, entièrement démoli dans la nuit de ce même 21 mai 1993.

  14. Le 24 juin 1993, l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale rejette la demande d'indemnité introduite le 30 avril 1993 par Paul VAN BELLE.

  15. Le 30 juin 1993, le Ministre-Président de l'Exécutif chargé de l'aménagement du territoire, des pouvoirs locaux et de l'emploi annule, pour violation de la loi et lésion de l'intérêt général, l'arrêté du 21 mai 1993 du bourgmestre de Woluwé-Saint-Pierre.

    La décision du 30 juin 1993 motive l'annulation en retenant une violation de l'article 134 de la nouvelle loi communale, une méconnaissance de la...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT