Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-06-10
Judgment Date | 10 juin 2021 |
ECLI | ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210610.3 |
Docket Number | 86/2021 |
Link to Original Source | https://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210610.3 |
Court | Grondwettelijk Hof (Arbitragehof) |
Numéro du rôle : 7400
Arrêt n° 86/2021
du 10 juin 2021
ARRÊT
_________
En cause : le recours en annulation de l'article 2 de la loi du 29 novembre 2019 « modifiant
la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive en ce qui concerne l'arrestation
immédiate », introduit par Y.M.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey,
P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, T. Detienne et D. Pieters, assistée du
greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 juin 2020 et parvenue
au greffe le 11 juin 2020, Y.M., assisté et représenté par Me H. Rieder et Me L. De Groote,
avocats au barreau de Gand, a introduit un recours en annulation de l'article 2 de la loi du
29 novembre 2019 « modifiant la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive en ce
qui concerne l'arrestation immédiate » (publiée au Moniteur belge du 11 décembre 2019).
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me A. Wirtgen et Me T. Moonen,
avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un
mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 17 mars 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
D. Pieters et T. Detienne, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue,
à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la
notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les
débats seraient clos le 31 mars 2021 et l'affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande de la partie requérante à être entendue, la Cour, par ordonnance
du 31 mars 2021, a fixé l'audience au 5 mai 2021.
À l'audience publique du 5 mai 2021 :
- ont comparu :
. Me L. De Groote, qui comparaissait également loco Me H. Rieder, pour la partie
requérante;
. Me T. Moonen, qui comparaissait également loco Me A. Wirtgen, pour le Conseil des
ministres;
- les juges-rapporteurs D. Pieters et T. Detienne ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives
à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la requête a été introduite tardivement et qu'elle est donc
irrecevable, au motif qu'elle est en réalité dirigée contre les modalités de l'arrestation immédiate existant de longue
date, qui ne sont pas modifiées par la disposition attaquée.
A.1.2. La partie requérante estime que sa requête a été introduite dans les délais. Selon elle, il convient
d'admettre que le législateur s'est approprié le contenu du système existant en matière d'arrestation immédiate
après une condamnation en première instance et qu'il l'a même étendu en prévoyant un nouveau motif, de sorte
que le législateur a manifesté sa volonté de légiférer.
Quant au fond
En ce qui concerne le moyen unique
A.2.1. Selon la partie requérante, l'article 2 de la loi du 29 novembre 2019 « modifiant la loi du 20 juillet
1990 relative à la détention préventive en ce qui concerne l'arrestation immédiate » (ci-après : la loi du 20 juillet
1990) n'est pas compatible avec les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, ni avec l'article 5 de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Selon la partie requérante, la disposition attaquée établit une différence de traitement entre, d'une part, les
inculpés qui font l'objet d'une instruction judiciaire et d'un mandat d'arrêt et, d'autre part, les personnes
condamnées au pénal par un jugement ou un arrêt n'ayant pas force de chose jugée et dont l'arrestation immédiate
a été ordonnée par un jugement ou par un arrêt parce qu'il y a lieu de craindre qu'elles commettent de nouveaux
crimes ou délits, sans que cette différence de traitement repose sur un critère objectif et soit raisonnablement
justifiée.
Selon la partie requérante, ces deux catégories de personnes sont comparables parce qu'elles bénéficient
toutes deux de la présomption d'innocence. Le moyen comporte six branches.
A.2.2. Le Conseil des ministres estime que les catégories de personnes mentionnées par la partie requérante
ne sont pas comparables, étant donné que, dans le premier cas, le juge de jugement ne s'est pas encore prononcé
sur le fond du dossier en ayant connaissance de tous les éléments de la cause et dans le respect de tous les droits
fondamentaux de l'intéressé, alors que, dans le second cas, il a déjà statué. Par conséquent, à l'estime du Conseil
des ministres, les articles 10, 11 et 12 de la Constitution et l'article 5 de la Convention européenne des droits de
l'homme ne sont pas violés.
En ce qui concerne l'absence du critère de l'absolue nécessité pour la sécurité publique
A.3.1. La partie requérante fait valoir que la différence de traitement n'est pas objectivement et
raisonnablement justifiée, parce que la condition de l'absolue nécessité pour la sécurité publique, qui témoigne de
la subsidiarité et du caractère exceptionnel de la détention préventive, ne vaut que pour les inculpés qui font l'objet
d'une instruction judiciaire et d'un mandat d'arrêt, mais ne vaut pas pour les personnes qui ont été condamnées au
pénal par un jugement ou un arrêt qui n'est pas passé en force de chose jugée et qui font l'objet d'une arrestation
immédiate ordonnée par un jugement ou par un arrêt parce qu'il y a lieu de craindre qu'elles commettent de
nouveaux crimes ou délits.
Selon la partie requérante, le critère de l'absolue nécessité pour la sécurité publique, lié à des critères
supplémentaires si la peine n'excède pas quinze ans, constitue un cadre de contrôle qui dépasse largement le simple
fait de mesurer le risque de récidive chez une personne condamnée par une décision qui n'est pas encore passée
en force de chose jugée.
A.3.2. Le Conseil des ministres considère que le fait que ce critère ne s'applique pas aux personnes qui ont
été condamnées au pénal en première instance n'entraîne pas de restrictions disproportionnées. Il fait valoir que
l'appréciation d'une détention à l'égard d'un inculpé dont la situation n'a pas encore fait l'objet d'une décision sur
le fond rendue par un juge est manifestement plus délicate que dans le cas d'un prévenu à l'égard duquel un juge
a déjà procédé à une telle appréciation et a, ce faisant, établi la culpabilité et infligé une peine.
Il observe ensuite que le législateur n'avait pas l'intention d'harmoniser les critères pour tous les cas de
détention précédant la condamnation définitive et que tel n'était d'ailleurs pas davantage le cas avant l'adoption
des dispositions attaquées.
Enfin, le Conseil des ministres souligne que, contrairement à ce que soutient la partie requérante, le juge est
bel et bien en mesure d'évaluer le risque de commettre de nouveaux crimes ou délits.
-B-
Quant à la disposition attaquée
B.1.1. La partie requérante demande l'annulation de l'article 2 de la loi du 29 novembre
2019 « relative à la détention préventive en ce qui concerne l'arrestation immédiate », qui a
modifié l'article 33, § 2, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990 « relative à la détention
préventive » (ci-après : la loi du 20 juillet 1990). Avant sa modification par la disposition
attaquée, l'article 33, § 2, alinéa 1er, de la loi du 20 juillet 1990 prévoyait seulement la
possibilité pour la juridiction de jugement d'ordonner l'arrestation immédiate lorsqu'il y a lieu
de craindre que le prévenu ou l'accusé tente de se soustraire à l'exécution de la peine (ci-après :
le risque de fuite). La disposition attaquée ajoute un deuxième fondement juridique, à savoir la
crainte que le prévenu ou l'accusé commette d'autres crimes ou délits (ci-après : le risque de
récidive).
Dans sa version actuelle, l'article 33, § 2, de la loi du 20 juillet 1990 dispose (la partie de
phrase ajoutée figure en italique) :
« Lorsqu'ils condamnent le prévenu ou l'accusé à un emprisonnement principal de trois
ans ou à une peine plus grave, sans sursis, et pour des condamnations pour des faits visés dans
le titre Ierter du livre II et dans les articles 371/1 à 387 du Code pénal, à un emprisonnement
principal d'un an ou à une peine plus grave, sans sursis, les cours et les tribunaux peuvent
ordonner son arrestation immédiate, sur réquisition du ministère public, s'il y a lieu de craindre
que le prévenu ou l'accusé ne tente de se soustraire à l'exécution de la peine ou ne commette de
nouveaux crimes ou délits. Cette décision doit préciser les circonstances de la cause motivant
spécialement cette crainte.
Si, sur opposition ou appel, la peine est réduite à moins de trois ans et pour des
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