Les sources de droit
Auteur | Philippe Quarré |
Pages | 33-53 |
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La notion de droit étant définie, il convient d'en déterminer le contenu et, pour cela, savoir où le trouver, d'autant que «Nul n'est censé ignorer la loi». Ce sont les sources formelles du droit, c'est-à-dire les modes de son expression.
Elles sont diverses. On distingue principalement la loi (au sens large), la coutume et la jurisprudence. Nous allons les examiner en détail.
Nous ne pourrons insister, sinon de façon tout à fait occasionnelle, sur trois autres sources pourtant fort intéressantes en soi. Il s'agit de :
Ce sont des principes, communément admis, qui constituent une source formelle de droit, équivalente et même prééminente à la loi, lorsqu'ils sont reconnus comme tels par la jurisprudence46.
Citons à titre de simples exemples : - le droit de défense, applicable en toutes matières (nous y reviendrons en détails dans la seconde partie de cet ouvrage, dans le cadre de l'analyse du procès équitable et nous évoquerons, à ce moment, d'autres principes généraux liés à la procédure);
- la prohibition de l'enrichissement sans cause47;
- «Nemo auditur propriam turpitudinem allegans», nul ne peut baser son droit, son action, sur sa propre mauvaise foi, sur ses propres manoeuvres frauduleuses, sur sa propre tromperie;
- «Fraus omnia corrumpit», la fraude corrompt tout. L'application de ce principe suppose l'existence d'une fraude, laquelle implique la volonté malicieuse, la tromperie intentionnelle, la déPage 34
- l'abus de droit, qui est devenu un principe tout à fait général, applicable à toutes matières. Le droit ne peut être employé abusivement, détourné de sa finalité, et nul ne peut en abuser inutilement (exemple : pratiquer volontairement une saisie qui n'a d'autre effet possible que d'augmenter les frais sans qu'il n'y ait rien de valable à saisir)49;
- etc
Il s'agit ici d'une source indirecte de droit, qui dépend de la valeur, de la renommée de certains spécialistes dont les avis peuvent fonder la jurisprudence ou l'élaboration de la loi. Tels étaient par exemple Faustin HELIE pour la procédure pénale issue du Code français de 1808, ou Henri DE PAGE pour le Code civil belge50.
Cette source de droit adoucit l'application stricte du droit, telle que la reprend le vieil adage «Dura lex, sed lex» (La loi est dure, mais telle est la loi) ou encore la constatation «Summun jus, summa injuria», l'application littérale du droit conduit à l'injustice. On en trouve trace dans les articles 565, 1854 et surtout 1135 du Code civil : «Les conventions obligent non seulement à tout ce qui y est exprimé, mais à toutes les suites que l'équité leur donne, d'après leur nature». On en trouve également la manifestation dans le très moderne principe de la proportionnalité, c'est-à-dire un rapport qui doit demeurer raisonnable entre le fait et la mise en oeuvre du droit51.
Ajoutons qu'une place à part sera faite, pour la compréhension des différents éléments de l'exposé, au domaine de l'autonomie de la volonté dans lequel les personnes pourront créer leur propre droit, dans le cadre de leurs relations individuelles, à travers les contrats, et qui sera examiné spécifiquement au titre 3 qui suit.
Enfin, il faudra distinguer le droit national et le droit international, et la hiérarchie qui existe entre toutes ces sources. Page 35
Pour appréhender la formation du droit dans les sociétés humaines, il convient de déterminer qui crée le droit, qui l'exprime et qui l'applique.
Diverses évolutions peuvent se constater.
Il est des sociétés au pouvoir fort et centralisé qui ont, par la nécessité des choses, été vers l'expression de règles générales précises, applicables à tous : la loi. Telle fut l'évolution dans la Rome antique. Dès le Vème siècle avant Jésus-Christ, la «loi des douze tables» est affichée, à Rome, dans le Forum. Mais c'est loin d'être l'exemple le plus ancien. Le Code d'Hammourabi, auquel il a été fait référence plus haut, est bien antérieur52.
Ce système présente des avantages, notamment pour le pouvoir politique qui peut ainsi imposer une règle unique. Il présente la difficulté d'appliquer la règle générale aux cas particuliers, tâche qui incombera alors aux juges, qui ne seront cependant créateurs de droit qu'en cas de lacune de la loi, et dont la tâche première sera d'interpréter et d'appliquer celle-ci aux cas qui leur sont soumis.
Une autre difficulté majeure sera bien entendu de connaître la loi, tant pour les individus que pour les juges. Nous en sommes arrivés, je l'indiquais plus haut, au principe «Nul n'est censé ignorer la loi», mais cela n'a pas toujours été simple partout, surtout dans des civilisations qui ne connaissaient pas ou peu l'écriture.
A défaut d'écrits, bien des sociétés anciennes sont passées par un autre processus, souvent préalable à la loi au sens propre, celui de la coutume. C'est ici le juge qui exprime la règle communément admise dans le corps social, en fonction le plus souvent d'usages constants ou prétendus tels, et dont l'interprétation n'est donc, en principe, pas douteuse pour la majorité.
Ce système a l'avantage de l'adhésion du groupe, d'être souple et évolutif, mais a le désavantage d'être local, et surtout incertain. Page 36
Le Moyen Age connaissait en France, pour prendre l'exemple de ce pays proche, d'innombrables coutumes applicables localement. Dans l'histoire du droit français, des coutumes subsistèrent d'ailleurs jusqu'à la rédaction du Code civil (1804). Dans la France de l'Ancien Régime, on distinguait d'ailleurs «les pays de coutume» (dans la moitié Nord) et les pays de «droit écrit», plus proches historiquement et géographiquement de l'ancien droit romain (la moitié Sud).
Bien entendu, lorsque l'écriture s'est répandue et que le pouvoir s'est centralisé, bien des coutumes ont été transcrites, devenant ainsi en quelque sorte des lois. Ainsi, d'abord orales, de nombreuses coutumes furent transcrites en France dès le XIIIème siècle, la plupart étant fixées en réalité sous le règne de Louis XIII.
Une place exemplative dans notre réflexion peut être faite ici à la «loi salique», qui n'est que le recueil prétendu des coutumes des Francs saliens, ceux de Clovis, qui rédigèrent en mauvais latin certaines coutumes et règles de droit propres à leurs peuples, pour se différencier des populations conquises à l'époque. Une première rédaction fut réalisée entre 507 et 511 de notre ère. Le texte fut ensuite remanié à diverses reprises, notamment sous Charlemagne. Ce recueil de coutumes prit une importance capitale lorsqu'au XIVème siècle, des juristes à la solde des rois de France s'avisèrent de créer de toutes pièces, à partir de là, la «coutume successorale française», qui excluait les femmes de la succession. Ce ne fut pas sans conséquence.
A la mort de Philippe le Bel (1314), la survie de la dynastie capétienne ne semblait poser aucun souci : le «roi de fer» laissait trois fils adultes en parfaite santé. Mais on assista alors à une incroyable hécatombe et les trois fils de Philippe le Bel se succédèrent rapidement sur le trône. Quand le dernier des frères mourut, la loi qui lui avait permis de monter sur le trône et qui, répétons-le, avait été créée de toutes pièces, pour les besoins de la cause, interdisait à ses filles de lui succéder. L'héritier le plus proche était le dernier petit-fils vivant du roi de fer, fils d'Isabelle, sa fille, qui avait épousé un roi anglais, et ce petit-fils était Edouard III, le roi d'Angleterre ! Sans doute plus pour des raisons d'intérêts personnels que par pur patriotisme, les pairs de France préférèrent donner la couronne à la branche cadette des Valois, c'est-à-dire au cousin plutôt qu'au neveu. Pour justifier cette transgression, on aggrava la loi salique, toujours de façon artificielle : non seulement les femmes ne pouvaient succéder, mais elles ne pouvaient pas transmettre de droits à la succession. En moins de quinze ans, l'arbre capétien avait été foudroyé. Le roi de France ne l'était que par un bricolage juridique et nous trouvons ici la source de la terrible «Guerre de Cent Ans». Que de morts et de misères au nom de l'interprétation montée de toutes pièces, fallacieuse et incertaine, de «coutumes» antérieures. Page 37
Ceci illustre bien l'incertitude de telles sources de droit, auxquelles, en définitive, le juge ou le pouvoir font dire, à un moment donné, ce qu'ils veulent. C'est la faiblesse de la notion de coutume.
Remarquons que dans notre système constitutionnel se trouvaient encore des traces de cette loi salique. L'article 60 de la Constitution de 1831 prévoyait la succession au trône de mâle en mâle, par ordre de primogéniture et à l'exclusion générale des femmes et de leur descendance. Ce texte a été modifié depuis et cette exclusion supprimée. L'article 85 actuel de la Constitution prévoit seulement que la succession au trône se fait par la descendance directe naturelle et légitime, par ordre de primogéniture.
Dans le système belge actuel, les coutumes, appelés «usages»...
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