Les matières de droit
Auteur | Philippe Quarré |
Pages | 65-76 |
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Certaines matières spécifiques se sont constituées au cours de l'histoire, en raison de leurs particularités. Nous avons vu précédemment ce qu'il en avait été pour le droit civil, le droit du citoyen, dont s'est distingué le droit commercial.
Bien d'autres matières ont vu le jour, comme des tiroirs dans lesquels on a rangé entre elles les choses qui ont un lien. Mais le problème est qu'il faut absolument savoir, lorsqu'on veut raisonner en droit, dans quel tiroir on se trouve, dans quelle matière se situe la question à régler. Car chaque matière a ses spécificités, ses mécanismes et ses règles propres, du moins pour les principales.
Nous en avons déjà vu un exemple : la différence des règles de preuve entre le droit civil et le droit commercial. Mais le problème est bien évidemment général. Les notions peuvent même changer entre des droits très proches : en droit pénal, la «nuit», circonstance aggravante de certaines infractions, c'est quand il fait noir. Alors qu'en procédure pénale, il s'agit d'heures précises, par exemple en matière de perquisitions104, qui sont indépendantes de la luminosité. En droit pénal, les incriminations sont de stricte interprétation et ne peuvent être étendues. Les charges et l'étendue des preuves diffèrent en matière fiscale, et les droits des fonctionnaires sont particuliers. Les personnes de droit international ne sont, en principe, pas celles du droit interne. Le dol, en droit pénal, est «général» ou «spécial». Etc. Nous ne pouvons faire ici l'inventaire de tout cela, mais seulement nous contenter de souligner l'importance de cette perspective qui oblige chaque droit à avoir ses spécialistes. Il fut un temps où Pic de la Mirandole105 pouvait prétendre tout savoir, mais ce n'est malheureusement plus vrai. Page 66
Quelques distinctions essentielles et quelques matières spécifiques à titre d'exemples106.
Le droit public est constitué des matières qui concernent la nature et le fonctionnement de l'Etat et de ses organes, ainsi que les diverses personnes de droit public, et les rapports entre l'Etat et les particuliers.
On va donc y trouver le droit constitutionnel107, le droit administratif108, le droit fiscal109, le droit pénal110, etc.
Le droit privé contient les matières de droit qui concernent les rapports entre individus, entre personnes privées. Et nous y trouverons donc le droit civil, le droit commercial, le droit social, les droits intellectuels111, etc.
Ceci est une première distinction essentielle.
Ajoutons quelques précisions pour le droit privé en rappelant que les matières principales en sont particulièrement :
Le droit civil, qui est l'ensemble des dispositions qui règlent les relations se formant entre les membres de la cité (Etat civil, filiation, capacité, mariage, régime matrimoniaux, divorce, testaments et successions, obligations, contrats, etc.). C'est le droit commun d'un peuple, base de tous les autres. Il demeure dès lors l'élément essentiel Page 67 de ce que l'on appelle, de manière plus large, le droit privé112. Notre droit civil est basé sur le Code civil français («Code Napoléon») de 1804113.
Le droit commercial couvre la matière de l'entreprise commerciale, en tant que telle, les commerçants, leurs rapports entre eux et les rapports avec les particuliers. Nous trouverons dans ce droit des notions spécifiques comme les sociétés commerciales, les faillites114, le concordat, etc.
Le droit social est aussi une matière qui nous concerne tous. On y trouve d'une façon générale tout ce qui à un rapport avec le travail et la sécurité sociale, et notamment les accidents de travail, les allocations familiales, les assurances obligatoires aux soins de santé et la sécurité sociale, le chômage et l'emploi, les conseils d'entreprise, les comités de sécurité et d'hygiène, les délégations syndicales, les commissions paritaires, le contrat de travail, les documents sociaux, les fermetures d'entreprises et licenciements collectifs, les maladies professionnelles et le statut des handicapés, l'inspection du travail, les pensions de retraite et de survie, la protection du travail, la protection de la rémunération des travailleurs, les sociétés mutualistes, les vacances annuelles. Le champ est vaste.
Citons encore les droits intellectuels, matière qui regroupe l'ensemble des protections, morales et patrimoniales, données aux auteurs, artistes et inventeurs sur leurs oeuvres. Cette question prend, à l'heure actuelle, une importance toute particulière en raison de la mondialisation, du développement des multimédias et des possibilités offertes par Internet.
Notre parcours, ainsi qu'il a été dit, ne consiste pas à aborder et à connaître chaque droit, mais à fournir quelques clefs qui permettront à chacun une meilleure approche et une meilleure compréhension. Des matières spécifiques de droit se sont créées, au fil de l'histoire, en fonction des nécessités et des évolutions.
Néanmoins, les bases du droit demeurent communes et au-delà des différences et des spécificités ponctuelles nécessaires, ces matières procèdent toujours fondamentalement des mêmes démarches et modes de raisonnement. Nous en trouverons un exemple intéressant au Page 68 chapitre suivant, consacré au droit d'Internet, sur lequel nous pouvons sans doute nous arrêter quelques instants.
Il semble intéressant, à titre d'exemple, de nous arrêter quelques instants à une matière nouvelle, en pleine construction et qui est susceptible de concerner chacun, le droit propre à Internet, réalité qui fait ou fera partie de la vie commune dans les années à venir. Cet exemple montre à la fois le développement d'une réalité nouvelle et le rattachement aux droits existants.
C'est un exemple intéressant de la naissance, de la création par la force des choses, d'un domaine de droit original, spécifique, qui combine des aspects de droit public comme de droit privé.
Bien des questions sont apparues, en relation avec Internet : contrats de réalisation de site, d'hébergement de site ou de maintenance115, respect des droits d'auteurs116, multiples contrats de vente via Internet, différentes responsabilités des acteurs de la société dite de l'information, signature électronique117, confidentialité des mails118, criminalité informatique, etc.
Il faut savoir comment les aborder. Page 69
Pour comprendre ce type d'évolution, il faut tout d'abord garder à l'esprit qu'il n'est pas, ou en tout cas, n'est plus depuis fort longtemps - à l'âge des cavernes peut-être - de domaine miracle où le droit n'existerait pas, ne s'appliquerait pas, une terre vierge porteuse de la liberté absolue. D'aucuns, inaltérables utopistes ou romantiques, ou prenant tout simplement leurs rêves pour argent comptant, l'ont cru pour Internet et se sont mis à faire un peu n'importe quoi. Ils ont vite été rattrapés par la réalité.
Prenons pour simple exemple l'affaire E..., ce policier qui diffusait des propos racistes sur Internet, à propos d'incidents regrettables et disproportionnés survenus à l'occasion de l'arrestation d'un jeune dealer d'origine marocaine à Bruxelles (Schaerbeek). Il n'est pas de notre propos d'entrer dans le fond de cette affaire, mais seulement de constater que l'intéressé pensait certainement être libre de ses débordements d'expression en les diffusant sur Internet plutôt que dans la presse traditionnelle. Il a été très vite rattrapé par le droit, et condamné pénalement, le 22...
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