Procédures propres aux entreprises en difficulté
Auteur | Philippe Jehasse |
Pages | 126-152 |
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Compte tenu de l'objet de l'ouvrage et de la problématique qui nous occupe, nous nous réfèrerons dans les pages qui suivent aux différents critères pris en considération par le Code des sociétés pour considérer qu'une société est en difficulté (perte de plus de la moitié du capital social, perte reportée, continuité compromise, ...).
En édictant des procédures particulières visant à endiguer le processus de détérioration des sociétés connaissant des problèmes financiers significatifs (articles 96,6°, 138, 332, 431 et 633 du Code des sociétés), le législateur a corrélativement renforcé la responsabilité des dirigeants placés dans pareil contexte.
Examinons ces différentes procédures et leurs conséquences pour les dirigeants qui ne les respecteraient pas.
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En vertu de l'article 96,6° du Code des sociétés, le rapport de gestion doit comporter une justification de l'application des règles comptables de continuité 229 si:
* le bilan affiche une perte reportée
OU
* le compte de résultats fait apparaître une perte pendant deux exercices successifs
Attention!
Dès l'instant où un de ces deux critères est rempli, il n'existe aucune exception à l'obligation de justification de l'application des règles comptables de continuité.
Cette disposition est également applicable aux petites sociétés au sens de l'article 15 du Code des sociétés 230 231.
Dans le premier cas de figure visé par l'article 96,6° du Code des sociétés (présence d'une perte reportée au passif du bilan établi après répartition), il importe peu qu'il existe des réserves disponibles ou autres.
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Conseil
Pour éviter de devoir procéder à la justification de l'application des règles comptables de continuité, l'organe de gestion peut décider d'apurer la perte reportée par prélèvement sur d'autres éléments disponibles des fonds propres (réserves disponibles notamment), en ce compris sur la réserve légale qui est du reste constituée à cet effet.
Dans le second cas de figure (perte de l'exercice pendant deux exercices successifs 232), l'accent est mis sur les problèmes de rentabilité de la société. En effet, même si la structure bilantaire est parfaitement saine, le défaut de rentabilité peut être l'indice d'une évolution qui pourrait s'avérer risquée.
L'article 96,1° du Code des sociétés précise par ailleurs que le rapport de gestion doit comprendre au moins un exposé fidèle sur l'évolution des affaires, les résultats et la situation de la société ainsi qu'une description des principaux risques et incertitudes auxquels elle est confrontée.
Cet exposé doit consister en «une analyse équilibrée et complète de l'évolution des affaires, des résultats et de la situation de la société en rapport avec le volume et la complexité de ces affaires».
Comme d'autres, nous regrettons toutefois l'absence de tout cadre de référence en ce qui concerne ces « principaux risques et incertitudes » 233.
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Attention!
Contrairement à ce qui est prévu par l'article 96,3° du Code des sociétés 234, l'organe de gestion ne pourra invoquer le risque de préjudice pour la société pour tenter d'échapper à cette exigence.
Les gérants et administrateurs qui contreviennent à ces obligations sont susceptibles d'encourir une amende de 50 euros à 10.000 euros.
Par ailleurs, si la violation de ces dispositions a lieu dans un but frauduleux, ils peuvent en outre être punis d'un emprisonnement d'un mois à un an ou de ces deux peines cumulées 235.
Le commissaire qui 236, au cours de ses contrôles, constate des faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l'entreprise, doit en informer l'organe de gestion par écrit et de manière circonstanciée 237.
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Question
En quoi peuvent consister ces «faits graves et concordants»?
Pour cerner cette notion, on se réfèrera d'abord aux éléments explicitement mentionnés par les articles 6, 7 et 9 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire comme étant caractéristiques des entreprises en difficulté.
Dans le contexte particulier de l'application de l'article 138 du Code des sociétés, nous retiendrons notamment:
- des protêts des lettres de change acceptées et des billets à ordre;
- le non paiement systématique des cotisations sociales et des impôts;
- le déclassement, la suspension ou le retrait d'une agréation d'entrepreneur ou encore l'exclusion des marchés publics;
- la réduction, par suite de pertes, de l'actif net sous la moitié du capital social.
Par ailleurs, la norme internationale d'audit n°570 consacrée par l'International Federation of Accountants à la continuité d'exploitation mentionne certains indices, tout en soulignant qu'ils ne sont ni exhaustifs, ni automatiquement révélateurs d'une incertitude significative sur la continuité de l'entreprise, surtout s'ils sont isolés 238.
Citons notamment:
- des capitaux propres ou un fonds de roulement négatifs;
- la rupture des relations bancaires;
- la perte d'un marché important, d'une franchise, d'une licence, d'une autorisation administrative d'exploitation, ...
- l'insuffisance récurrente de la trésorerie pour faire face aux échéances courantes;
- le départ de cadres dirigeants qui ne sont pas remplacés;
- la disparition d'une partie des actifs de la société;
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- des retraits financiers importants non justifiés;
- des troubles sociaux à répétition qui risquent d'avoir des effets néfastes pour l'entreprise (rentabilité, image de marque, perte de clients, ...);
- ...
Dans ces différents cas de figure, l'organe de gestion doit en principe délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable 239. Parmi ces mesures, figurent notamment le dépôt d'une requête en concordat judiciaire, la mise en liquidation de la société ou encore l'aveu de faillite.
Si endéans un délai d'un mois à compter de la communication de cette information, le commissaire constate que l'organe de gestion a pris des mesures susceptibles d'assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable, la procédure est arrêtée.
Par contre, si à l'issue de ce délai, le commissaire:
- n'a pas été informé de la délibération de l'organe de gestion sur les mesures prises ou envisagées pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable
OU
- s'il estime que ces mesures ne sont pas susceptibles d'assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable il peut - il ne s'agit donc pas d'une obligation - communiquer ses constatations au président du tribunal de commerce territorialement compétent.
Dans ce cas, l'article 458 du Code pénal relatif au secret professionnel n'est pas applicable.
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Alerté par le commissaire ou le réviseur d'entreprise d'un risque de discontinuité de l'entreprise, le président du tribunal de commerce territorialement compétent 240 convoquera le plus souvent les dirigeants de la société concernée afin de recueillir toutes les informations utiles. Il pourra ensuite décider:
- de transmettre le dossier à la chambre d'enquête commerciale pour assurer le suivi de la situation;
- de désigner un administrateur provisoire sur pied de l'article 8, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites;
- de communiquer le dossier au Parquet afin de lancer directement citation en faillite.
Quid si la société n'a pas de commissaire et que des faits graves et concordants sont susceptibles de compromettre sa continuité?
Dans ce cas, l'organe de gestion est également tenu de délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable 241.
S'il ne le fait pas, ses membres risquent de voir leur responsabilité engagée solidairement sur pied de l'article 528, alinéa 1er, du Code des sociétés (violation du Code des sociétés) 242.
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Nous allons voir (cf. infra, page 134 et suivantes)...
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