Présence d'un conjoint - Les régimes matrimoniaux
Auteur | Emmanuel De Wilde D’Estmael; Pierre Henfling; François Minon |
Occupation de l'auteur | Avocats |
Pages | 280-294 |
Page 280
Lorsqu'une personne pense à transmettre son patrimoine, on constate que le sort du conjoint est souvent à tort ignoré ou mis de côté.
En effet, la présence d'un conjoint peut modifier de façon importante la préparation de la transmission d'un patrimoine et entre autres, s'il y a une entreprise :
- le conjoint, même s'il n'est pas actif dans l'entreprise, peut en être partiellement propriétaire, ce qui implique sa présence et son accord pour un arrangement familial;
- le conjoint qui divorce pourrait revendiquer une part de la société ou de l'entreprise commune;
- le conjoint peut hériter un jour de l'usufruit de l'entreprise et ce droit d'hériter cet usufruit ne peut lui être retiré totalement, sauf exception;
- la mise en société, dans un but de planification successorale, de certains biens du couple ou d'un des époux pourrait diminuer de façon considérable la protection des droits du conjoint sur ces biens.
Ce chapitre aura pour objet quelques questions concernant le régime matrimonial des époux, en faisant l'impasse sur toute la problématique successorale du conjoint survivant qui sera vue au chapitre suivant.
La connaissance du régime matrimonial des époux aura, entre autres, une grande importance à trois moments :
- lors d'une planification successorale : pour savoir notamment à qui appartiennent les biens à céder, quels seront les droits respectifs des conjoints sur ces biens, quelles seront les conséquences des consentements qui seraient donnés par chacun des époux, de quels moyens dispose le conjoint pour se protéger d'une planification successorale qui ne le satisferait pas, ...;
- lors de la séparation ou du divorce des époux, puisqu'une liquidation partielle ou totale du régime matrimonial peut ou doit se réaliser à ce moment; Page 281
- lorsque le mariage prend fin par le décès, car à ce moment, il y a dissolution du régime matrimonial.
Trop souvent, on entend un époux parler de «son» patrimoine, de «son» argent gagné à la sueur de son front, alors qu'il est marié en communauté, et que tout ce qu'il croit lui appartenir est en fait commun. Combien de planifications successorales n'ont-elles pas dû être refaites, après avoir constaté que cette question n'avait pas été bien analysée ? Même dans le cadre d'un arrangement de famille, il conviendra de connaître avec précision le propriétaire du patrimoine, de l'entreprise ou des actions à céder et de ne pas s'arrêter aux apparences.
Ce point sera essentiel pour, par exemple, déterminer qui devra faire le legs ou la donation (ou tous autres actes de disposition) ou quels seront les droits du conjoint survivant sur ces biens (usufruit ou pleine propriété ?).
Lorsque les époux sont mariés sous un régime de séparation de biens, chaque époux conserve la propriété de ses revenus, des biens qui lui appartenaient avant le mariage et de ceux qu'il a acquis ou reçus seul durant le mariage (C. civ., art. 1466).
Si les biens ont été acquis conjointement par les époux, ils seront indivis entre eux et soumis aux règles ordinaires des indivisions, sauf autres règles prévues dans le contrat de mariage ou dans l'acte d'acquisition (il est par exemple possible d'acheter un immeuble 30/70 %).
On notera qu'à défaut pour un des époux de prouver que les biens lui sont propres ou qu'une disposition de son contrat de mariage les stipule comme tels, ces biens seront présumés indivis (C.civ., art. 1468).
Chaque époux a seul tous pouvoirs d'administration, de jouissance et de disposition de ses biens propres (C. civ., art. 1466; sauf exceptions : ainsi, la vente du logement principal de la famille et des meubles le meublant qui seraient propres à un des conjoints, même s'ils servent partiellement à l'activité professionnelle, requiert Page 282 l'accord des deux époux, sauf recours devant le tribunal : C.civ., art. 215; cette règle ne vaut plus s'il y a eu cession de la résidence conjugale ou de meubles à une société familiale).
Si les biens sont indivis, leur gestion est normalement soumise aux règles de l'indivision : chacun des copropriétaires en use et en jouit selon leur destination et dans la mesure compatible avec le droit de l'autre. Il ne peut donc pas accomplir seul des actes d'administration non conservatoires et des actes de disposition (vente, donation, ...).
Chacun des époux peut en principe demander la sortie d'indivision de ces biens indivis et provoquer le partage (sauf de l'immeuble conjugal et des meubles le meublant). Ce peut être le cas pour un fonds de commerce appartenant aux deux époux ou d'actions de société acquises en indivision (bien entendu, si chacun des époux possède une partie des actions d'une société, chacun peut, dans les limites des statuts, disposer seul de ses parts).
Qu'en est-il lorsque le fonds de commerce est propre à l'un des époux mais que l'activité professionnelle est exercée par l'autre époux ? Dans ce cas, les plus-values provenant du fonds de commerce appartiennent au propriétaire, de même que les acquisitions qu'il pourrait faire sous son seul nom au moyen de ses bénéfices. L'autre conjoint pourrait seulement exiger une juste rémunération de ses prestations.
Un époux peut-il donner un de ses biens propres sans limitation ?
La réponse doit être nuancée.
En principe, chacun des époux peut donner des biens qui lui sont propres, sans l'accord de l'autre. Cependant, un époux ne peut sans l'accord de l'autre faire donation de l'immeuble qui sert de logement principal de la famille ni des meubles meublants qui le garnissent (C.civ., art. 215). En cas de refus du conjoint non propriétaire, le tribunal peut passer outre, s'il n'y a pas de motif grave à ce refus.
Mais si l'époux propriétaire passe outre l'accord de son conjoint sans autorisation du tribunal, la donation pourrait être annulée à la demande du conjoint non donateur (C.civ., art. 224, § 2; cette demande doit être faite dans un délai d'un an après la connaissance de l'acte). Page 283
En outre, les donations faites par l'un des époux et qui mettraient en péril les intérêts de la famille sont annulables à la demande du conjoint non donateur (C.civ., art. 224, 3º).
Du fait de ce qui précède, on sera attentif à ne pas laisser le conjoint de côté et, le cas échéant, à le faire comparaître aux actes de donation ou dans le pacte adjoint à un don non notarié pour qu'il donne son accord à la donation ou qu'il précise qu'elle ne met pas en péril les intérêts de la famille.
Si les époux sont mariés en communauté (ou en séparation avec adjonction d'une société d'acquêts), il y a une présomption de communauté : sauf clause contraire dans le contrat de mariage, tout bien dont il n'est pas prouvé qu'il est propre, est un bien commun (C.civ., art. 1405). Ceci signifie que celui qui prétend qu'un bien lui est propre doit démontrer deux choses : tout d'abord que le bien en question est un bien propre car rentrant dans une catégorie légale de biens propres ou dans un cas prévu par le contrat de mariage et ensuite prouver que ce bien rentre réellement dans cette catégorie.
Exemple
Si un...
Pour continuer la lecture
SOLLICITEZ VOTRE ESSAI