La mise en oeuvre de l'action en responsabilité des dirigeants
Auteur | Philippe Jehasse |
Pages | 102-122 |
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Nous venons de voir les multiples situations qui peuvent le cas échéant engager la responsabilité civile des dirigeants d'entreprises.
Il convient maintenant d'examiner par qui cette responsabilité pourra être mise en cause et sous quelles conditions ainsi que les différents moyens dont pourront se prévaloir les dirigeants pour tenter d'échapper à cette responsabilité.
En synthèse, la responsabilité des dirigeants d'entreprises peut être mise en cause, soit:
- par la société (actio mandati 174)
- par des actionnaires minoritaires (action minoritaire)
- par les tiers
Chacune de ces actions répond à des conditions particulières que nous nous proposons de passer brièvement en revue.
- Fondement et objet de l'actio mandati
Nous avons vu que la relation entre la société et ses dirigeants était fondée sur notion de mandat.
Si le mandant (la société) souhaite mettre en cause la responsabilité de son (ses) mandataire(s) (le(s) dirigeant(s)) pour une faute commise dans l'exécution de leur mandat, le Code civil lui offre la possibilité d'intenter une actio mandati 175.
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L'actio mandati peut avoir pour objet de sanctionner une «pure» faute de gestion, une violation du Code des sociétés ou des statuts de la société, voire même la responsabilité aquilienne des dirigeants 176.
- Qui décide d'introduire l'actio mandati?
Cette décision appartient à l'assemblée générale qui peut, le cas échéant, charger un ou plusieurs mandataires d'exécuter cette décision 177.
Il convient donc qu'une majorité d'actionnaires décident non seulement de révoquer les dirigeants jugés fautifs, mais également de les poursuivre en justice afin de leur réclamer des dommages et intérêts pour le préjudice subi par la société en raison de leurs agissements.
En pratique, de telles actions sont rares car la plupart du temps les actionnaires ne souhaiteront pas attirer l'attention des tiers en introduisant pareil procès, d'autant que les faits reprochés pourraient être de nature à ternir l'image de marque de la société.
Questions
* Que se passe-t-il si l'assemblée générale ne prend pas de décision, le nouveau conseil d'administration pourrait-il poursuivre les anciens dirigeants?
Non. A défaut d'une décision en bonne et due forme de l'assemblée générale, l'action sera considérée comme irrecevable (sous réserve bien entendu de ratification ultérieure de la décision du conseil d'administration par l'assemblée générale).
* Est-ce également l'assemblée générale qui doit décider lorsqu'il s'agit de mettre en cause la responsabilité de l'un ou de plusieurs membres du comité de direction?
Non, c'est le conseil d'administration qui est compétent pour décider de l'introduction d'une action en responsabilité à leur égard 178.
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- Définition
Si des actionnaires minoritaires considèrent que la gestion de la société, telle qu'elle est exercée par les administrateurs ou gérants, ne répond pas à leur conception de l'intérêt social, ils peuvent, pour compte de la société, introduire l'action mandati.
Attention!
Il convient de distinguer soigneusement l'action minoritaire du droit d'action individuel de chaque actionnaire (cf. infra, page 110). Dans le premier cas, les actionnaires agissent au nom de la société tandis que dans le second ils agissent en leur nom propre.
Question
Pourquoi le législateur a-t-il introduit en 1991 l'action minoritaire dans notre droit? 179.
Les sociétés d'une certaine importance sont la plupart du temps dirigées par des personnes proches des actionnaires majoritaires et dont ils ont la confiance. Dès lors, il est peu probable que les actionnaires minoritaires qui entendraient mettre en cause la responsabilité de ces dirigeants (par exemple, parce qu'ils considèrent que leur politique ne rencontre pas leur conception de l'intérêt social) puissent se faire entendre. C'est la raison pour laquelle le législateur belge leur a reconnu le droit de se substituer à l'assemblée générale pour exercer l'actio mandati au nom de la société.
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Le saviez-vous?
Le législateur n'a pas prévu la possibilité d'introduire une action minoritaire à l'encontre des membres du comité de direction.
- Première condition d'exercice: seuil de participation minimum
L'exercice de l'action minoritaire requiert toutefois le respect de certaines conditions.
Dans les S.A., les actionnaires minoritaires, demandeurs à l'action, devront prouver qu'ils répondent à l'une des deux conditions suivantes 180:
- soit qu'ils possèdent, au jour de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge des administrateurs, des titres auxquels est attaché au moins 1 % des voix attachées à l'ensemble des titres existant à ce jour;
OU
- qu'ils possèdent, à ce même jour, des titres représentant une fraction du capital équivalent à 1.250.000 euros au minimum.
Dans les S.P.R.L., le seuil de participation minimum est de 10e % des voix attachées à l'ensemble des parts au jour de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge des gérants 181.
Dans les S.C.R.L., le seuil de participation minimum est de 10 % des voix attachées à l'ensemble des titres au jour de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge des administrateurs ou 1.250.000 euros 182.
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Plusieurs actionnaires n'atteignant pas individuellement le seuil de participation requis peuvent se regrouper afin d'atteindre ce seuil et intenter ensemble l'action minoritaire.
- Seconde condition d'exercice: la qualité d'actionnaire
Les demandeurs à l'action devront également prouver leur qualité d'actionnaire à la date de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge des administrateurs ou des gérants, soit:
- en présentant un certificat du dépôt préalable des titres ou encore par le dépôt de ceux-ci entre les mains d'un notaire, d'un huissier ou d'une institution bancaire, si les titres sont au porteur;
- soit par la production du registre des actionnaires, s'il s'agit d'actions nominatives 183.
- Incidence du vote de la décharge
L'action minoritaire ne pourra être intentée que par des actionnaires qui n'ont pas voté la décharge, à moins que celleci ne soit pas valable.
Il en sera ainsi notamment dans l'hypothèse où les comptes annuels contiennent des omissions ou de fausses indications qui dissimulent la situation réelle de la société 184.
Par ailleurs, la décharge ne couvre les actes commis en violation des statuts ou du Code des sociétés que si ces derniers ont été spécialement indiqués dans la convocation à l'assemblée générale 185.
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L'actionnaire minoritaire qui s'abstient de voter la décharge ou qui s'y oppose doit demander que cela soit expressément consigner au procès-verbal de l'assemblée générale; à défaut, de délicats problèmes de preuve risquent de se poser puisqu'en l'état actuel des textes, aucune disposition n'impose de mentionner au procès-verbal l'identité des actionnaires et les votes qu'ils ont émis.
Seule sera prise en considération la décharge qui porte sur l'exercice au cours duquel ont été commises les fautes reprochées aux administrateurs ou aux gérants qui font l'objet de l'action minoritaire.
- Moment auquel doivent être réunies les conditions d'intentement de l'action minoritaire
C'est à la date de l'assemblée générale annuelle qui est appelée à approuver les comptes annuels et à se prononcer sur la décharge aux administrateurs et aux gérants que doivent être réunies les conditions d'intentement de l'action minoritaire 186.
Questions
- L'action minoritaire peut-elle être intentée à tout moment?
Non. Outre le fait que le seuil de participation doit s'apprécier, comme nous venons de le voir, «au jour de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge», il nous paraît que l'assemblée générale doit rester le lieu privilégié d'expression des actionnaires, quels qu'ils soient. Ainsi, au cours de l'assemblée, les actionnaires minoritaires auront la possibilité de poser aux dirigeants toutes les questions qui leur semblentPage 108 opportunes 187, de critiquer leur gestion et le cas échéant de tenter d'obtenir le ralliement des autres actionnaires afin de refuser la décharge.
- Que se passe-t-il si les minoritaires demandeurs venaient à perdre leur qualité d'actionnaires?
Alors que les conditions d'intentement de l'action minoritaire doivent s'apprécier au jour où l'assemblée générale vote la décharge, il peut arriver qu'entre ce moment et celui où l'action sera intentée en justice, certains des actionnaires minoritaires aient perdu leur qualité d'actionnaires, parce qu'ils ont cédé leurs titres par exemple.
Selon le Code des sociétés 188, le fait qu'en cours d'instance, un ou plusieurs actionnaires cessent de représenter le groupe d'actionnaires minoritaires, soit parce qu'ils ne possèdent plus de titres, soit parce qu'ils renoncent à participer à l'action, est sans effet sur la poursuite de ladite instance ou sur l'exercice des voies de recours.
- La conduite du procès
Selon l'article 566 du Code des sociétés 189, les actionnaires minoritaires doivent désigner à l'unanimité un mandataire spécial (actionnaire ou non de la société) qui sera chargé de conduire le procès au nom de la société.
Attention!
Si plusieurs actionnaires minoritaires sont demandeurs et qu'aucun mandataire spécial n'a été désigné, leur action sera déclarée irrecevable.
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Par contre, si un ou plusieurs actionnaires minoritaires mais détenant chacun une participation suffisante au regard des conditions posées par les articles 290...
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