Le non marchand et les pratiques du commerce du commerce ou pourquoi les pratiques du commerce peuvent perturber la sérénité de l’abbaye cistercienne sérénité de l’abbaye cistercienne ?
Auteur | Frédéric de Patoul |
Occupation de l'auteur | Avocat au Barreau de Bruxelles |
Pages | 47-73 |
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La loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur est, à première vue, fort loin des préoccupations du moine cistercien. A première vue seulement. L’ambition de cette contribution est de montrer à quel point le droit de la concurrence et les pratiques du commerce peuvent faire irruption dans le monde non marchand et y imposer des normes de comportement et de conduite certes fort éloignées de la règle de Benoît de Nursie et des préceptes de Bernard de Clairvaux, mais qui ont elles aussi pour but de permettre le fonctionnement harmonieux d’une communauté si tant est que l’on puisse qualifier ainsi les opérateurs qui s’affrontent sur un marché de produits ou de services. On évoquera donc la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce que par commodité d’écriture on désignera par les initiales LPCC.
La LPCC est un bric à brac. On y parle à la fois du consommateur1 et des vendeurs2 pour protéger les premiers contre les pratiques déloyales des seconds (article 94/5 LPCC et notamment des pratiques trompeuses ou des pratiques commerciales agressives), ou pour protéger les vendeurs des pratiques déloyales d’un autre vendeur. On y parle aussi du marché pour fixer des règles de fonctionnement3 tandis que d’autres dispositions mêlent à la fois la protection de la concurrence et celle du consommateur4.
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Toutes ces règles culminent dans deux dispositions-phare, l’article 94/3 (anciennement article 93, avant la modification de 2007) qui interdit tout acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale par lequel un vendeur porte atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’un autre vendeur et l’article 94/5 (anciennement article 94) qui interdit les pratiques commerciales déloyales à l’égard des consommateurs. Ces interdictions de principe sont renforcées par la possibilité d’introduire une action en cessation devant le Président du tribunal de commerce. Cette action est jugée comme en référé mais la décision qui intervient au terme de la procédure est une décision au fond. Si le président du tribunal de commerce constate qu’un acte est contraire aux usages honnêtes ou déloyal à l’égard d’un consommateur, il en ordonne la cessation immédiate le cas échéant avec astreinte.
Les dispositions de la loi de 1991 ont été modifiées et transformées au gré des initiatives du législateur belge et des transpositions des directives européennes (ou comme le montre l’histoire récente, suite aux arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes5) au point de former une suite déconcertante, comportant d’ailleurs des erreurs de numérotation et de placement, qui requiert de réels talents herméneutiques. Nonobstant les définitions reprises à l’article 1, le champ d’application ratione personae varie d’une disposition à l’autre6. La dernière transposition a été particulièrement critiquée7 au point que certains parlent d’un « rapiécage législatif »8. Pour continuer à paraphraser la vie monastique, on serait tenté d’écrire que le juge y reconnaîtra le droit comme Dieu reconnaîtra les siens, ce qui ne fait pas nécessairement l’affaire du praticien. Je ne ferai pas ici un exposé exhaustif sur cette loi complexe qui a fait et fait encore l’objet de publications régulières. Je m’efforcerai simplement de répondre à la question reprise en titre de notre contribution pour mettre en évidence en quoi cette loi peut interférer avec les activités des entreprises du secteur non-marchand. J’utilise cette dernière expression comme unPage 49terme générique couvrant les formes diverses que peut prendre l’exercice d’une activité lucrative lorsqu’elle est exercée dans une finalité désintéressée. Je renvoie le lecteur pour un examen comparé de ces diverses formes à l’exposé de Michel Coipel dans ce même numéro.
La notion de vendeur est une notion centrale de la LPCC. Toutes les dispositions en matière de pratiques du commerce s’appliquent aux vendeurs et les actions en cessation ne peuvent être dirigées que contre un vendeur au sens de la loi. La réponse à la question posée dans le titre de ce paragraphe est indubitablement affirmative. Elle résulte déjà de la définition reprise à l’article 1,6. c), de la LPCC qui vise les personnes qui exercent une activité à caractère commercial, financier ou industriel, avec ou sans but de lucre. Elle résulte également de la définition générale reprise à l’article 1, 6., a), de la LPCC qui vise toutes personnes physiques ou morales qui offrent en vente ou vendent des produits ou des services dans le cadre d’une activité professionnelle ou en vue de la réalisation de leur objet statutaire. Par contre, dans cette définition, l’absence de but de lucre n’est pas précisée. On pourrait donc imaginer qu’elle n’englobe pas les entreprises du secteur non marchand. Néanmoins, dans une affaire à rebondissements opposant l’ASBL ELEKTROBOOT à la SPRL BENELUX GENT-WATERTOERIST, la Cour de Cassation10 a été amenée à préciser qu’il n’est pas requis par la définition de l’article 1, 6. a) de la LPCC que le vendeur poursuive un but de lucre.
Quelques mots sur cette affaire permettent de comprendre l’intérêt de la question. L’ASBL Elektroboot organise un service de taxis et bus parPage 50bateaux sur les canaux de Gand. La SPRL BG quant à elle, organise des voyages touristiques et culturels sur les mêmes canaux. Elle loue également des bateaux de plaisance. La SPRL commerçante s’est plainte auprès du Président du tribunal de Gand de ce que l’ASBL exerçait une concurrence déloyale. Elle lui reproche d’abord l’usage abusif de la personnalité morale de l’ASBL pour exercer à titre principal une activité réputée commerciale (l’objet social de l’ASBL Elektroboot visait notamment le transport maritime) et l’accuse en outre de pratiques de prix ayant pour conséquence, sinon pour but, de détruire le marché concerné. La question ainsi posée est donc d’abord de savoir si une ASBL dont l’objet social est d’exercer sans but de lucre une activité à caractère commercial, pouvait être qualifiée de vendeur au sens de l’article 1,6., a), de la LPCC.
Après deux décisions négatives du Tribunal de commerce et de la Cour d’appel de Gand11, la Cour de cassation a été saisie sur pourvoi de la SPRL. L’arrêt du 13 septembre 2002 précise : « il suit du rapprochement des articles 1, 2, et 1er,6.a) et c), de la loi du 14 juillet 1991 que quiconque offre en vente ou vend un service qui constitue en soit un acte de commerce au sens des articles 2 et 3 du Code de Commerce peut être considéré comme un vendeur, que le bénéficiaire du service soit ou non tenu à une contrepartie ».Cet arrêt met ainsi fin à une controverse. Pour certaines décisions en effet, le but de lucre était requis12; pour d’autres au contraire, seul l’accomplissement par une personne physique ou morale d’actes de commerce objectifs même dénués de but lucratif, suffisait13. Il est donc clair qu’une entreprise du secteur non marchand qui vend des produits ou preste des services qui constituent des actes de commerce au sens des articles 2 et 3 du code de commerce est un vendeur au sens de la LPCC, que ce soit dans le cadre d’une activité professionnelle, en vue de la réalisation de leur objet statutaire (article 1, 6., a) de la LPCC) ou dans le cadre d’une activité à caractère commercial, financier ou industriel (article 1,6., c) de la LPCC).
A contrario, des activités professionnelles qui ne sont pas visées par le Code de commerce ne rentrent pas dans le champ d’application de la LPCC et ne confèrent donc pas la qualité de vendeur au sens de cette loi. Le Code de commerce ne fournit pas de définition générale desPage 51actes de commerce. L’article 2 offre une énumération limitative14 à laquelle l’article 3 ajoute quelques activités15. A côté de cette énumération d’activités, l’article 216 précise certains actes que la loi soumet au droit commercial. Les actes de commerce posés dans le cadre de ces activités ou à l’occasion de ces actes sont qualifiés d’actes de commerce objectifs par opposition aux actes de commerce subjectifs qui sont ceux qui résultent d’une présomption générale de commercialité également établie par l’article 2 du Code de commerce, pour toutes les obligations de commerçants, qu'elles aient pour objet des immeubles ou des meubles, à moins qu'il soit prouvé qu'elles aient une cause étrangère au commerce.
Une ASBL qui a pour activité de prester des soins de santé - activité non commerciale - ne sera donc pas considérée comme un vendeur au sens de la LPCC sauf bien évidemment si à côté de son activité de soins, elle met à disposition des patients ou de tiers visiteurs, des services qui constituent des actes de commerce17.
Au regard de la LPCC, une entreprise sera donc considérée différemment selon que son activité rentre ou non dans les énumérations du Code de commerce. Cette différence de traitement n’est-elle pas discriminatoire ? C’est l’objet de deux questions posées par le président du Tribunal de commerce de Bruxelles à la CourPage 52constitutionnelle et auxquelles celle-ci a répondu en un seul arrêt18. La réponse de la Cour est négative en ce que la différence repose sur un critère objectif, raisonnablement justifié et proportionné par rapport à...
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