Jugement/arrêt, Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, 2020-09-24
Jurisdiction | Bélgica |
Judgment Date | 24 septembre 2020 |
ECLI | ECLI:BE:PIBRL:2020:ARR.20200924.2 |
Docket Number | 115/2020 |
Link to Original Source | https://juportal.be/content/ECLI:BE:PIBRL:2020:ARR.20200924.2 |
Court | Tribunal de première instance francophone de Bruxelles |
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 18 octobre 2018, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 octobre 2018, la Cour d'appel de Liège a posé la question préjudicielle suivante :
« L'article 22 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, violait-il les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles 47 et 48, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 5, paragraphes 3 et 5 de la Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, en ce que, dans le cadre d'une instruction, l'inculpé qui demandait une traduction du dossier ou de certaines pièces de ce dossier dans une langue nationale autre que celle de l'instruction, était obligé d'adresser cette demande au ministère public, qui assumait, dans la suite de la procédure pénale, le rôle de la partie poursuivante, sans qu'une décision de refus du ministère public de la traduction sollicitée ait pu faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif ? ».
(...)
III. En droit
(...)
B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 22 de la loi du 15 juin 1935 « concernant l'emploi des langues en matière judiciaire » (ci-après : la loi du 15 juin 1935), tel qu'il était en vigueur avant le 1er juin 2017, dans sa version avant son remplacement par l'article 16 de la loi du 28 octobre 2016 « complétant la transposition de la Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales et de la Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI ».
B.1.2. Situé dans le chapitre II, intitulé « Emploi des langues à l'information et à l'instruction en matière répressive ainsi que devant les juridictions répressives de première instance et devant les Cours d'assises », l'article 22 de la loi du 15 juin 1935, tel qu'il a été modifié par l'article 4 de la loi du 24 mars 1980 « modifiant les articles 19, 20, 21, 22 et 43bis de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire et les articles 121, 166, 223, 226 et 229 du Code judiciaire », par l'article 14 de la loi du 23 septembre 1985 « relative à l'emploi de la langue allemande en matière judiciaire et à l'organisation judiciaire » et par l'article 101 de la loi du 10 avril 2003 « réglant la suppression des juridictions militaires en temps de paix ainsi que leur maintien en temps de guerre », disposait :
« Tout inculpé qui ne comprend que le néerlandais et l'allemand ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction néerlandaise ou allemande des procès-verbaux, des déclarations de témoins ou plaignants et des rapports d'experts rédigés en français.
Tout inculpé qui ne comprend que le français et l'allemand ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction française ou allemande des prédites pièces rédigées en néerlandais.
De même, tout inculpé qui ne comprend que le français et le néerlandais ou une de ces langues peut demander que soit jointe au dossier une traduction française ou néerlandaise des prédites pièces rédigées en allemand.
L'inculpé adresse sa requête à l'officier du ministère public par la voie du greffe; elle n'est plus recevable après les huit jours qui suivront la signification soit de l'arrêt de renvoi devant la Cour d'assises, soit de la citation à comparaître à l'audience du tribunal de police, du tribunal militaire ou du tribunal correctionnel siégeant en premier degré.
Le même droit est reconnu à l'inculpé devant les juridictions d'appel pour les pièces nouvelles produites.
Les frais de traduction sont à charge du Trésor ».
B.2.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 22 de la loi du 15 juin 1935 avec les articles 10, 11, 12 et 13 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les articles 47 et 48, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec l'article 5, paragraphes 3 et 5, de la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 « relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales » (ci-après : la directive 2010/64/UE), en ce que, dans le cadre d'une instruction, l'inculpé qui demandait une traduction de certaines pièces du dossier dans une langue nationale autre que celle de l'instruction, était obligé d'adresser cette demande au ministère public, sans que la décision de refus du ministère public de la traduction sollicitée ait pu faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif.
B.2.2. La question préjudicielle porte notamment sur la compatibilité de la disposition en cause avec « l'article 5, paragraphes 3 et 5, » de la directive 2010/64/UE.
Il ressort néanmoins du contenu de la question préjudicielle et de la décision de renvoi qu'il s'agit d'une erreur matérielle et que le juge a quo visait l'article 3, paragraphes 3 et 5, de cette même directive. Cette erreur matérielle n'a pas empêché le Conseil des ministres de développer ses arguments de manière pertinente.
B.3. Il ressort des faits soumis au juge a quo que la Cour est invitée à examiner la situation d'un « inculpé », poursuivi pour plusieurs infractions commises en région de langue allemande, qui a introduit une demande de traduction en langue française portant sur des pièces de son dossier, établies en langue allemande, après avoir sollicité en décembre 2014 l'accomplissement d'actes d'instruction complémentaires et interjeté appel, devant la chambre des mises en accusation, de l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'accomplir ces actes complémentaires. La demande de traduction a été rejetée en août 2015 par le ministère public parce que les procès-verbaux établis dans le cadre d'autres dossiers démontrent que le prévenu dispose d'une connaissance suffisante de la langue allemande.
Après le renvoi devant le tribunal correctionnel par la chambre du conseil, le tribunal correctionnel d'Eupen a décidé, le 2 mai 2016, à la demande du prévenu, de poursuivre la procédure en français. Le prévenu a ensuite réitéré sa demande de traduction le 29 mai 2017, qui a été acceptée par jugement du 14 juin 2017, et la traduction française des pièces essentielles fondant l'accusation a été déposée au greffe du tribunal correctionnel le 5 septembre 2017.
La Cour limite son examen à cette situation et à la législation applicable avant le 1er juin 2017.
B.4.1.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination.
L'article 12 de la Constitution dispose :
« La liberté individuelle est garantie.
Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.
Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu'en vertu d'une ordonnance motivée du juge qui doit être signifiée au plus tard dans les quarante-huit heures de la privation de liberté et ne peut emporter qu'une mise en détention préventive ».
L'article 13 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
B.4.1.2. Ni le libellé de la question préjudicielle ni les motifs de la décision de renvoi n'indiquant en quoi la disposition en cause violerait l'article 12 de la Constitution, la question n'appelle pas de réponse sur ce point.
B.4.2. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement...
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