Jugement/arrêt, Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 2016-06-24

JurisdictionBélgica
Judgment Date24 juin 2016
ECLIECLI:BE:TTBRL:2016:JUG.20160624.3
CourtTribunal du travail francophone de Bruxelles
Docket Number14/9663/A
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:TTBRL:2016:JUG.20160624.3

Tribunal du travail francophone de Bruxelles - 17ème chambre

Date du prononcé : 24 juin 2016

Numéro de rôle : 14 / 9663 / A

Numéro auditorat : 2014 / 4 / 01 / 593

Jugement

EN CAUSE :

Madame I. B.,

domiciliée rue ... à 1140 Bruxelles ;

partie demanderesse, comparaissant par Maître Catherine FORGET, avocate ;

CONTRE :

L'OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI (ONEM),

dont les bureaux sont établis boulevard de l'Empereur, 7 à 1000 Bruxelles ;

partie défenderesse, comparaissant par Maître Marie-Elise CAVALLO loco Maître Céline HALLUT, avocates.

* * *

Vu la loi du 10 octobre 1967 contenant le Code Judiciaire ;

Vu la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire ;

I. PROCEDURE

1. Le Tribunal a tenu compte des éléments de procédure suivants :

- le jugement prononcé par le Tribunal le 26 juin 2015, ordonnant une réouverture des débats ;

- les conclusions communiquées par l'O.N.Em. par fax du 15 septembre 2015, dont l'original a été déposé au greffe le 1er octobre 2015 ;

- les conclusions communiquées par Madame B. par fax du 13 octobre 2015, dont l'original a été déposé au greffe le 10 novembre 2015 ;

- les conclusions additionnelles et de synthèse déposées par Madame B. le 10 novembre 2015 ;

- le dossier de l'Auditorat du travail.

2. Les parties ont comparu et ont été entendues en leur plaidoirie à l'audience publique du 8 janvier 2016, à laquelle Madame M. MOTQUIN, premier substitut de l'Auditeur du travail, a annoncé qu'elle rendrait un avis écrit.

Madame l'Auditeur du travail a rendu son avis écrit le 11 mars 2016.

L'O.N.Em. a communiqué ses répliques à l'avis écrit de Madame l'Auditeur par fax et courrier du 27 avril 2016.

Madame B. a adressé ses propres répliques le 28 avril 2016.

L'affaire a été prise en délibéré le 29 avril 2016.

II. OBJET DU LITIGE ET POSITION DU PROBLEME - RAPPEL

3. Madame B. conteste une décision prise par l'O.N.Em. de mettre fin à ses allocations d'insertion à partir du 1er janvier 2015, décision qui lui a été notifiée par la C.A.P.A.C. le 25 juin 2014.

Cette décision a été prise en application de l'article 63, § 2 de l'arrêté royal royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage.

4. Le 1er alinéa de l'article 63, § 2 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 est libellé comme suit :

« Le droit aux allocations d'insertion est limité à une période de 36 mois, calculée de date à date, à partir du jour où le droit a été accordé pour la première fois en vertu de l'article 36 ».

Cette disposition a été insérée dans l'article 63 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 par l'article 9 de l'arrêté royal du 28 décembre 2011 modifiant les articles 27, 36, 36ter, 36quater, 36sexies, 40, 59quinquies, 59sexies, 63, 79, 92, 93, 94, 97, 124 et 131septies de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.

Cette modification est entrée en vigueur le 1er janvier 2012 (cf. article 19 de l'arrêté royal du 28 décembre 2011).

Le droit aux allocations d'insertion (ex-allocations d'attente) auxquelles peuvent prétendre les demandeurs d'emploi sur la base de leurs seules études est donc, depuis le 1er janvier 2012, limité à 3 ans.

Les modalités d'application de cette limitation dans le temps font cependant l'objet de différents aménagements.

C'est ainsi, notamment, qu'en vertu du point 1° du 2ème alinéa de l'article 63, § 2 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, il n'est pas tenu compte, pour le calcul de la période de 36 mois à concurrence de laquelle le bénéfice des allocations d'insertion est dorénavant limité, de la période qui précède le 1er janvier 2012.

III. OBJET DE LA REOUVERTURE DES DEBATS ORDONNEE PAR LE JUGEMENT DU 26 JUIN 2015 - RAPPEL

5. Par jugement prononcé le 26 juin 2015, le Tribunal a ordonné une réouverture des débats « afin de permettre aux parties d'examiner si l'article 63, § 2 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage est conforme ou non :

- aux articles 10 et 11 de la Constitution,

- à l'article 23 de la Constitution et au principe de standstill qui y est relié,

- à l'article 84, § 1er des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat,

- à l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme,

- et/ou à toute autre norme qui lui est supérieure,

et si le Tribunal doit, en conséquence, appliquer ou non cette disposition en vertu de l'article 159 de la Constitution ».

IV. POSITION ET MOYENS DES PARTIES

IV.1. Position et moyens de Madame B.

6. Madame B. fait valoir que l'article 63, § 2, alinéas 1er et 2, 1° de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 tel que modifié par l'arrêté royal du 28 décembre 2011 violerait les dispositions suivantes :

(1) les articles 10 et 11 de la Constitution,

en ce qu'il instituerait, sans fondement raisonnable, une différence de traitement entre les bénéficiaires d'allocations de chômage et les bénéficiaires d'allocations d'insertion ;

(2) l'article 23 de la Constitution et le principe de standstill qui y est ancré,

en ce qu'il représenterait une régression significative en matière de droit aux allocation d'insertion (ex-allocations d'attente), qui ne serait pas conforme au principe de proportionnalité à défaut d'être nécessaire, appropriée et proportionnée au sens strict, au terme d'une mise en balance des intérêts en présence, et qui n'aurait de surcroît fait l'objet d'aucune démonstration formelle de la part de ses auteurs quant à la prise en compte effective de ce principe de proportionnalité ;

(3) l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'homme,

en ce qu'il prive les bénéficiaires d'allocations d'insertion (ex-allocations d'attente) d'un droit protégé par cette disposition sans qu'ait été effectué aucune « étude économique technique qui examine au préalable toutes les solutions de rechange et toutes les mesures plus souples au niveau des conséquences » ;

(4) l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 2° des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat,

en ce que l'urgence invoquée à l'appui de la demande d'avis de la section de législation du Conseil d'état sur le projet de l'arrêté royal du 28 décembre 2011 n'était ni justifiée ni établie et que sa motivation n'était en conséquence ni adéquate ni pertinente.

7. Madame B. demande donc au Tribunal d'écarter l'article 63, § 2, alinéas 1er et 2, 1° en application de l'article 159 de la Constitution, d'annuler en conséquence la décision de l'O.N.Em. du 25 juin 2014 et de condamner l'O.N.Em. à la rétablir dans ses droits aux allocations d'attente en application de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 avant sa modification par l'arrêté royal du 28 décembre 2011.

Elle demande également au Tribunal de condamner l'O.N.Em. au paiement des allocations d'attente échues, des intérêts légaux à partir de la date de leur exigibilité et des intérêts judiciaires, de même qu'aux frais et dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure.

IV.2. Position et moyens de l'O.N.Em.

8. L'O.N.Em. conteste toutes les violations alléguées par Madame B., en faisant essentiellement valoir les moyens suivants :

(1) concernant les articles 10 et 11 de la Constitution :

la différence de traitement entre les bénéficiaires d'allocations de chômage et les bénéficiaires d'allocations d'insertion est objectivement et raisonnablement justifiée, dès lors que la sécurité sociale reste fondée sur un principe d'assurance, auquel les bénéficiaires d'allocations d'insertion, qui n'ont jamais travaillé ni cotisé, n'ont pas contribué ;

(2) concernant l'article 23 de la Constitution et le principe de standstill :

le principe de standstill n'est pas un principe général de droit et ne s'oppose pas à une régression même significative des droits garantis par l'article 23 de la Constitution justifiée par des motifs liés à l'intérêt général, dont l'appréciation et la mise en œuvre appartiennent au législateur ; or, tel serait bien le cas en l'espèce, compte tenu de la crise importante qui a frappé la Belgique depuis 2008 et de la nécessité de prendre un certain nombre de mesures pour remédier au déficit budgétaire ;

(3) concernant l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'homme :

cette disposition n'est pas applicable aux allocations d'insertion et n'a en toute hypothèse pas été violée dès lors que la limitation de ces allocations dans le temps est prévue par la réglementation en vigueur ;

(4) concernant l'article 84 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat :

l'urgence invoquée était motivée et justifiée, et elle n'a de surcroît pas été démentie par les faits.

9. L'O.N.Em. conclut donc au non-fondement du recours de Madame B. et demande en conséquence au Tribunal de confirmer la décision contestée.

V. AVIS DE L'AUDITORAT DU TRAVAIL

10. Dans son avis écrit du 11 mars 2016, Madame l'Auditeur estime ce qui suit :

(1) que la disposition litigieuse viole effectivement les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que la différence de traitement entre les bénéficiaires d'allocations de chômage et les bénéficiaires d'allocations d'insertion ne repose pas sur un critère de justification objective et raisonnable ;

(2) qu'elle ne viole en revanche pas l'article 23 de la Constitution ni le principe de standstill, compte tenu de l'existence de motifs d'intérêt général susceptibles de valider la régression litigieuse ;

(3) qu'elle viole cependant l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'homme, en ce que les effets de la mesure ne sont pas raisonnablement proportionnés au but poursuivi ;

(4) mais qu'elle ne viole pas l'article 84, § 1er des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, en ce que l'urgence invoquée était non seulement dument motivée mais également bien réelle compte tenu de la crise politique que la Belgique a connue à la suite des élections législatives de juin 2010 ; « il était par conséquent impérieux pour le nouveau gouvernement de prendre de nombreuses mesures dans...

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