Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage), 2021-06-10

JurisdictionBélgica
Judgment Date10 juin 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.088
Docket Number88/2021
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.088
CourtVerfassungsgerichtshof (Schiedshof),Grondwettelijk Hof (Arbitragehof),Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage)

Numéro de rôle : 7494
Arrêt n° 88/2021
du 10 juin 2021
En cause : la demande de suspension du décret de la Communauté flamande du 18 décembre 2020 « modifiant le décret du 21 novembre 2003 relatif à la politique de santé préventive et le décret du 29 mai 2020 portant organisation de l’obligation de déclaration et du suivi des contacts dans le cadre du COVID-19 », introduite par Jens Hermans et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
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I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 2021 et parvenue au greffe le 14 janvier 2021, une demande de suspension du décret de la Communauté flamande du 18 décembre 2020 « modifiant le décret du 21 novembre 2003 relatif à la politique de santé préventive et le décret du 29 mai 2020 portant organisation de l’obligation de déclaration et du suivi des contacts dans le cadre du COVID-19 » (publié au Moniteur belge du 28 décembre 2020) a été introduite par Jens Hermans, Karin Verelst et C.U., assistés et représentés par Me J. De Groote, avocat au barreau de Bruxelles.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l’annulation du même décret, ainsi que l’annulation du décret de la Communauté flamande du 10 juillet 2020
« modifiant les articles 47 et 81 du décret du 21 novembre 2003 relatif à la politique de santé préventive ».
Par ordonnance du 27 janvier 2021, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 3 mars 2021, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 22 février 2021
au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes.
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me K. Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.
À l’audience publique du 3 mars 2021 :
- ont comparu :
. Karin Verelst, en personne, et Me J. De Groote, pour les parties requérantes;
. Me B. Martel, Me K. Caluwaert et Me A. Van de Meulebroucke, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs T. Merckx-Van Goey et T. Giet ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours et à l’étendue de la demande de suspension
A.1.1. Le Gouvernement flamand observe tout d’abord, compte tenu du caractère subsidiaire de la demande de suspension, que le recours en annulation est partiellement irrecevable, faute de griefs. Il fait valoir qu’il ressort de la requête que les parties requérantes ne réclament ni l’annulation intégrale ni la suspension intégrale du décret du 18 décembre 2020 « modifiant le décret du 21 novembre 2003 relatif à la politique de santé préventive et le décret du 29 mai 2020 portant organisation de l’obligation de déclaration et du suivi des contacts dans le cadre du COVID-19 » (ci-après : le décret du 18 décembre 2020). Il souligne que celles-ci ne formulent des griefs qu’à l’encontre de l’article 2 du décret du 18 décembre 2020, qui réglemente le traitement des données dans le cadre du contrôle du respect de l’obligation d’isolement, de l’article 4 du même décret, en ce qu’il impose aux personnes qui se sont rendues dans une zone à haut risque ou qui présentent un risque accru de COVID-19 une obligation de le signaler afin qu’elles soient testées, ainsi que l’obligation de se mettre en quarantaine, et contre l’article 9 du même décret, qui réglemente le traitement des données à caractère personnel dans le cadre du suivi des contacts.
Il estime dès lors que le recours en annulation et, donc, la demande de suspension ne sont recevables qu’en ce qu’ils sont dirigés contre les (parties de) dispositions précitées du décret du 18 décembre 2020. En d’autres termes, le recours et la demande de suspension ne sont pas recevables s’ils tendent également à l’annulation ou à la suspension d’autres (parties) de dispositions. Selon le Gouvernement flamand, l’étendue de la demande de suspension se limite dès lors à ces (parties de) dispositions.
A.1.2. En outre, le Gouvernement flamand considère que le recours en annulation est partiellement irrecevable à défaut d’un exposé des moyens, qui est pourtant requis en vertu de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Il renvoie à cet égard à la défense qu’il a développée dans le cadre des moyens respectifs.
Quant au sérieux des moyens
Quant au premier moyen
A.2. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par le décret du 18 décembre 2020, de l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les droits fondamentaux cités dans les autres moyens.
A.3.1. Les parties requérantes exposent tout d’abord que l’article 187 de la Constitution garantit et préserve en soi tous les droits et libertés individuels, de sorte qu’une atteinte à cette disposition constitutionnelle entraîne également une atteinte à une liberté individuelle ou à un droit individuel distinct, ce qui implique, selon elles, que la Cour est compétente pour contrôler le respect de l’article 187 de la Constitution. Elles font ensuite valoir que l’article 187 de la Constitution est à ce point strict qu’une situation d’urgence ne peut être légitimement invoquée comme cadre d’exception constitutionnel. Se référant à l’arrêt de la Cour n° 62/2016 du 28 avril 2016, les parties requérantes soutiennent que l’article 187 de la Constitution s’oppose à ce que soit conféré au législateur décrétal un blanc-seing généralisé en matière de droits constitutionnels, et que la Cour doit maintenir cette jurisprudence.
A.3.2. Les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées, par leur généralité, impliquent une suspension générale des droits et libertés constitutionnels et qu’elles violent dès lors l’article 187 de la Constitution. Elles soulignent que, dans d’autres pays, de telles mesures ne peuvent être prises qu’après qu’une forme d’état d’urgence a été annoncée, de sorte que ces mesures constituent des suspensions et non des limitations proportionnées de droits constitutionnels. Selon elles, les dispositions du décret du 18 décembre 2020 visent à permettre l’adoption, de manière générale et automatique, de mesures privatives de liberté à l’égard de groupes importants de la population, sur la base de critères abstraits, sans mise en balance concrète, et sans que les intéressés puissent exercer des voies de recours. Elles font valoir, en particulier, que les dispositions attaquées permettent au pouvoir exécutif de déterminer unilatéralement ce qui constitue un « risque accru » ou une « zone à risque », ce qui revient de facto à lui permettre de décréter arbitrairement l’état d’urgence « sanitaire ».
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A.3.3. Elles estiment qu’il ressort de l’exposé des autres moyens que la lecture combinée de l’article 187 de la Constitution avec les articles 10, 11, 12, 13, 14, 22 et 23 de la Constitution, avec les articles 3, 5, 6, 7, 8, 9 et 13
de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 1er, 3, 4, 6, 7, 8, 10 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 7, 9, 15 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016
« relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le règlement général sur la protection des données) conduit à une violation de l’interdiction de l’état d’urgence.
A.4.1. Le Gouvernement flamand considère que le premier moyen est irrecevable, en ce que la Cour n’est pas compétente pour contrôler des normes législatives directement au regard de l’article 187 de la Constitution.
Selon lui, cette disposition constitutionnelle n’est pas non plus contenue implicitement dans l’article 1er, 2°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Selon lui toujours, ni le Constituant ni le législateur spécial n’envisageaient que la Cour puisse effectuer un contrôle directement au regard de l’article 187 de la Constitution.
A.4.2. Le Gouvernement flamand est par ailleurs d’avis que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation des droits consacrés par le titre II de la Constitution, puisque ces dispositions sont invoquées de manière purement formelle, sans qu’il soit exposé concrètement en quoi elles seraient violées. Il n’est pas non plus exposé en quoi l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison avec ces normes de référence, serait violé. À
supposer que le premier moyen soit tout de même explicité sous cet angle dans les autres moyens auxquels les parties requérantes renvoient, le Gouvernement flamand observe que le premier moyen ne présente aucune valeur ajoutée.
A.4.3. En ordre subsidiaire, le Gouvernement flamand estime que le premier moyen n’est pas sérieux. Il soutient que le raisonnement selon lequel il serait question d’une suspension des libertés fondamentales ne tient pas. L’article 187 de la Constitution est très clair et dispose que la Constitution ne peut être suspendue. Rien ne permet de conclure que le décret attaqué viserait à déclarer un « état d’urgence ». En effet, la circonstance que les parties requérantes...

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