Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-12-16

JurisdictionBélgica
Judgment Date16 décembre 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.184
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.184
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)
Docket Number184/2021

Numéro du rôle : 7490

Arrêt n° 184/2021

du 16 décembre 2021

En cause : la question préjudicielle relative à l'article 207, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, R. Leysen, Y. Kherbache, T. Detienne et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par arrêt du 16 décembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 décembre 2020, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 207, alinéa 2, du CIR (1992), tel qu'il est applicable en l'espèce, lu en combinaison avec l'article 79 du CIR (1992), interprété en ce sens qu'il est également applicable aux avantages anormaux ou bénévoles qu'une société belge a reçus d'une entreprise étrangère, viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ? ».

Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :

- Y.S. et R.W., assistés et représentés par Me N. Reypens, Me B. Daemen, Me A. Huyghe et Me J. Permeke, avocats au barreau de Bruxelles;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me K. Maenhout, avocat au barreau d'Anvers.

Par ordonnance du 22 septembre 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs R. Leysen et T. Detienne, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 6 octobre 2021 et l'affaire mise en délibéré.

À la suite de la demande d'une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 6 octobre 2021, a fixé l'audience au 10 novembre 2021.

À l'audience publique du 10 novembre 2021 :

- ont comparu :

. Me A. Huyghe et Me B. Daemen, qui comparaissait également loco Me N. Reypens, pour Y.S. et R.W.;

. Me E. Geysels, avocat au barreau d'Anvers, loco Me K. Maenhout, pour le Conseil des ministres;

- les juges-rapporteurs R. Leysen et T. Detienne ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

La SPRL « D.W.B. », société de droit belge, dont Y.S. et R.W., appelants devant le juge a quo, étaient gérants, a été créée le 4 octobre 2006 par la société de droit néerlandais « bv Weswa ». Cette dernière a également créé, le 25 octobre 2006, la société de droit néerlandais « nv D.W. ».

Le 9 novembre 2006, la société « bv Weswa » a vendu ses parts dans un certain nombre de filiales du groupe « D.W. » à sa société filiale « nv D.W. ». Il a été convenu que 20 % du prix de vente seraient apportés par la société « bv Weswa » au capital de la société « nv D.W. » et que les 80 % restants seraient convertis en un prêt porteur d'intérêts sur cinq ans entre la société « bv Weswa » et la société « nv D.W. ».

Le 16 mars 2007, le capital de la SPRL « D.W.B. » a été augmenté. Cette augmentation de capital a été réalisée grâce à l'apport en nature par la société « bv Weswa » de sa créance à charge de la société « nv D.W. »

sur la base du prêt précité. L'apport de la créance a été imputé en partie au compte « Capital » et en partie au compte indisponible « Primes d'émission ».

Le 17 mars 2007, la société « bv Weswa » a vendu à la société « nv D.W. » toutes les parts qu'elle détenait dans la SPRL « D.W.B. ».

Le 31 août 2009, la SPRL « D.W.B. » a été mise en liquidation et la liquidation a été clôturée. Les liquidateurs étaient Y.S. et R.W.

En vertu du contrat de prêt, la société « nv D.W. » devait payer les intérêts à la SPRL « D.W.B. » pour la première fois le 8 novembre 2011.

Conformément aux règles de l'imputation comptable, en application desquelles charges et produits doivent être imputés sur la période à laquelle ils se rapportent, la SPRL « D.W.B. » a ajouté la rente annuelle, qui était due par la société « nv D.W. » au 31 décembre 2007, au 31 décembre 2008 et au 31 août 2009, à son compte de résultat et à ses créances à plus d'un an dans sa comptabilité au 31 décembre 2007, au 31 décembre 2008 et au 31 août 2009. Elle a déclaré les montants des intérêts dans ses déclarations pour les exercices d'imposition 2008, 2009 et 2009 spécial, dans lesquelles elle a ensuite appliqué la déduction pour capital à risque (code 103).

L'administration fiscale a rejeté les déductions pour capital à risque précitées, en application de l'article 207, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2008 et 2009. Selon l'administration, le capital auquel la SPRL « D.W.B. » voulait appliquer la déduction pour capital à risque provenait d'une opération qui avait été réalisée dans des circonstances anormales et qui ne s'expliquait pas par des objectifs économiques, mais par de seules finalités fiscales. Une majoration d'impôt de 10 % a été appliquée.

Y.S. et R.W. ont introduit une réclamation administrative contre cette décision, mais cette réclamation a été rejetée par le directeur régional.

À la suite de cela, Y.S. et R.W. ont introduit une action devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Par jugement du 18 novembre 2014, le Tribunal a rejeté cette action comme étant non fondée.

Y.S. et R.W. ont ensuite interjeté appel devant le juge a quo. Ce dernier juge que, si les intérêts du prêt intragroupe respectent les conditions de pleine concurrence (at arm's length) et que l'apport en nature dans la SPRL « D.W.B. » est une opération avec une réelle contrepartie, ceux-ci ont néanmoins été obtenus dans le cadre d'opérations qui ne peuvent se justifier par des objectifs économiques, mais par la seule finalité fiscale de la déduction pour capital à risque. Y.S. et R.W. font toutefois valoir que l'application de l'article 207, alinéa 2 (actuellement l'article 207, alinéa 7), du CIR 1992 aux avantages obtenus d'une entreprise étrangère est contraire au principe constitutionnel d'égalité. Le juge a quo décide dès lors de poser d'office la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit

-A-

A.1.1. S'appuyant sur les travaux préparatoires de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2008 et 2009, sur le commentaire administratif de l'article 79 du CIR 1992 et sur l'article 9 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE, Y.S. et R.W. argumentent que cette disposition ne peut être appliquée qu'à une seule forme spécifique d'abus, à savoir le transfert des bénéfices d'une société belge bénéficiaire vers une société belge déficitaire par l'octroi d'avantages anormaux ou bénévoles. Selon Y.S. et R.W., l'application de l'article 207 à une société qui reçoit l'avantage dans un contexte transfrontalier entraîne un déséquilibre dans la répartition internationale du pouvoir d'imposition - et, partant, une violation du principe de territorialité - puisque, dans une telle interprétation, la Belgique s'arrogerait injustement un pouvoir d'imposition qui, selon le principe précité, appartient à l'État dans lequel est établie la partie qui octroie l'avantage.

Contrairement à ce que le Conseil des ministres affirme, la modification de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 par la loi du 24 décembre 2002 n'avait aucunement pour objectif, selon Y.S. et R.W., d'étendre le champ d'application de cette disposition aux avantages anormaux ou bénévoles obtenus d'entreprises étrangères. Cette modification législative visait uniquement à remédier à l'asymétrie existante en matière de limitation de déduction entre les pertes fiscalement reportées et les pertes de la période imposable. L'interprétation que le ministre compétent a défendue dans le cadre de l'exposé des motifs de la loi du 24 décembre 2002 ne conduit pas à une autre conclusion. L'intention du législateur ne saurait être déterminée sur la base de documents parlementaires relatifs à la législation ultérieure qui n'apporte aucune modification pertinente au texte légal initial à propos duquel le législateur a clairement exposé son intention. Il ressort par ailleurs du rapport fait au nom de la Commission des Finances et du Budget sur le projet de loi qui est devenu la loi du 24 décembre 2002 que l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 concerne la prévention des transferts artificiels de bénéfices entre sociétés de groupe belges dans un contexte purement national.

Selon Y.S. et R.W., la portée de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 est donc très claire. Quand bien même il existerait le moindre doute à cet égard, ce doute doit, compte tenu du principe in dubio contra fiscum, jouer en faveur du contribuable.

A.1.2. Selon Y.S. et R.W., l'application de l'article 207, alinéa 2, du CIR 1992 dans un contexte transfrontalier viole le principe d'égalité en matière fiscale, en ce qu'il instaure une identité de traitement entre des catégories de contribuables qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, sans que cette identité de traitement soit raisonnablement justifiée ou proportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur et de la logique générale de la...

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