Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-12-23

JurisdictionBélgica
Judgment Date23 décembre 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.189
Docket Number189/2021
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.189
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)

Numéro du rôle : 7464

Arrêt n° 189/2021

du 23 décembre 2021

ARRÊT

_________

En cause : la question préjudicielle concernant l'article 46 de la loi du 17 juillet 1963

« relative à la sécurité sociale d'outre-mer », posée par la Cour du travail de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet,

R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et

E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par arrêt du 5 novembre 2020, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le

18 novembre 2020, la Cour du travail de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 46 de la loi du 17 juillet 1963 relative à la sécurité sociale d'outre-mer, viole-t-

il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 14

de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du protocole n° 1 à cette Convention,

en ce que cet article 46, dans sa rédaction applicable au litige, conduit à traiter différemment

deux catégories de personnes, s'agissant de l'assurance soins de santé différée, alors qu'elles

ont contribué de la même manière au financement du régime de sécurité sociale d'outre-mer, à

savoir :

- les Belges (et certains étrangers ‘ privilégiés ' visés à son paragraphe 2) qui ne sont pas

soumis à l'obligation de résidence habituelle et effective en Belgique pour bénéficier de

l'assurance soins de santé différée s'ils en remplissent les autres conditions,

- les (autres) étrangers qui - comme Monsieur A.M. - doivent avoir leur résidence

habituelle et effective en Belgique pour bénéficier de l'assurance soins de santé différée s'ils

en remplissent les autres conditions, sauf dérogation accordée à titre individuel,

cette différence de traitement paraissant en outre reposer exclusivement sur la

nationalité ? ».

Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :

- A.M., assisté et représenté par Me S. Sarolea, avocat au barreau du Brabant wallon;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. Pertry, avocat au barreau de

Bruxelles.

Par ordonnance du 20 octobre 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs

T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l'affaire était en état, qu'aucune audience ne serait tenue,

à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la

notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu'en l'absence d'une telle demande, les

débats seraient clos le 10 novembre 2021 et l'affaire mise en délibéré.

Aucune demande d'audience n'ayant été introduite, l'affaire a été mise en délibéré le

10 novembre 2021.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives

à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

A.M. est né le 5 avril 1952. Il est de nationalité rwandaise et réside au Rwanda de manière habituelle et

effective depuis 1994.

Le 16 novembre 1999, A.M. s'affilie au régime général prévu à l'article 12 de la loi du 17 juillet 1963

« relative à la sécurité sociale d'outre-mer » (ci-après : la loi du 17 juillet 1963), qui couvre le régime de

l'assurance vieillesse, celui de l'assurance indemnité pour maladie et de l'assurance invalidité, et celui de

l'assurance soins de santé.

Pour bénéficier du remboursement des frais de soins de santé, les affiliés doivent démontrer qu'ils ont leur

résidence habituelle et effective en Belgique, sauf s'ils sont Belges ou s'ils appartiennent à l'une des catégories

d'étrangers visées à l'article 46, § 2, de la loi du 17 juillet 1963 (dénommés ci-après : les étrangers privilégiés), à

savoir les ressortissants d'un État membre de l'Espace économique européen, de la Confédération suisse ou d'un

État non membre de l'Espace économique européen si, en application du règlement (CE) n° 859/2003 du Conseil

du 14 mai 2003 « visant à étendre les dispositions du règlement (CEE) n° 1408/71 et du

règlement (CEE) n° 574/72 aux ressortissants de pays tiers qui ne sont pas déjà couverts par ces dispositions

uniquement en raison de leur nationalité », ils peuvent prétendre aux dispositions des

règlements (CEE) nos 1408/71 et 574/72 en matière de sécurité sociale, les réfugiés, les apatrides et les

ressortissants d'un pays avec lequel la Belgique a conclu un accord de réciprocité qui les dispense de la condition

de résidence.

A.M. conclut, en outre, un contrat d'assurance complémentaire « soins de santé », comme le permet

l'article 57 de la loi du 17 juillet 1963. Ce contrat stipule que l'intervention de l'Office de sécurité sociale d'outre-

mer (ci-après : l'OSSOM) s'étend aux soins donnés à l'affilié et aux membres de sa famille durant les périodes

d'activité et qu'elle n'est soumise à aucune condition de résidence.

Le remboursement des frais de soins de santé d'A.M. est pris en charge par l'assurance complémentaire tant

qu'il cotise à cette assurance. A.M. souhaite toutefois bénéficier de l'assurance soins de santé différée.

Le 3 août 2016, A.M. envoie une lettre à l'Office des régimes particuliers de sécurité sociale (ci-après :

l'ORPSS), qui avait repris les obligations de l'OSSOM, lesquelles ont ensuite été transférées à l'Office national

de la sécurité sociale (ci-après : l'ONSS).

En vertu de l'article 46, § 1er, de la loi du 17 juillet 1963, il sollicite une dérogation à la condition de

résidence, pour raisons de santé.

Le 4 octobre 2016, l'ORPSS notifie à A.M. sa décision de ne pas accorder la dérogation sollicitée et, par

conséquent, de lui refuser le bénéfice de l'assurance soins de santé.

Le 11 octobre 2016, A.M. introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles un recours dirigé

contre la décision de l'ORPSS.

Le 2 mars 2018, le Tribunal du travail rejette le recours. Il juge que la décision de refus de la dérogation

sollicitée est justifiée. Il constate également que l'obligation de résider en Belgique « afin de percevoir les

prestations de l'assurance soins de santé » est imposée par l'article 46 de la loi du 17 juillet 1963 depuis le départ,

de sorte que le fait que le demandeur déclare qu'il n'en avait pas connaissance est sans incidence. Il relève par

ailleurs que l'article 18, § 1er, de la même loi permet aux étrangers de ne participer qu'à l'assurance vieillesse et

de survie, dès lors qu'ils doivent remplir la condition de résidence pour bénéficier de l'assurance soins de santé.

Enfin, il juge que la condition de résidence ne fait pas naître une discrimination indirecte fondée sur la nationalité

et que, même à supposer qu'une différence de traitement fondée sur la nationalité existe, celle-ci ne serait pas

discriminatoire.

Le 28 mars 2018, A.M. interjette appel de ce jugement devant la Cour du travail de Bruxelles.

La Cour du travail estime que l'article 46 de la loi du 17 juillet 1963 a toujours soumis le remboursement des

frais des soins de santé à la condition de résider en Belgique et qu'A.M. semble avoir été informé de cette condition.

Elle estime également que c'est à raison que l'ORPSS n'a pas accepté d'accorder à A.M. la dérogation qu'il

sollicitait.

Elle considère cependant que l'article 46 de la loi du 17 juillet 1963, dans sa version applicable au litige,

traite différemment, d'une part, les Belges et les étrangers « privilégiés » visés par cette disposition et, d'autre part,

les autres étrangers, comme A.M., en ce que seuls les seconds doivent avoir leur résidence habituelle et effective

en Belgique pour bénéficier de l'assurance soins de santé, sauf dérogation accordée à titre individuel, alors qu'ils

ont contribué de la même manière que les premiers au financement du régime belge de sécurité sociale d'outre-

mer.

Elle considère que cette différence de traitement pourrait paraître reposer exclusivement sur la nationalité,

étant donné que la ratio legis de la condition de résidence, qui était de permettre des contrôles périodiques, semble

avoir été complètement abandonnée.

Elle estime également que le contrôle de la proportionnalité de l'article 46 de la loi du 17 juillet 1963 n'est

pas comparable à celui que la Cour a effectué par son arrêt n° 82/2016 du 2 juin 2016, pour les motifs suivants : à

partir du 1er janvier 2009, les étrangers de la catégorie à laquelle A.M. appartient ne peuvent plus souscrire au

régime facultatif prévu par la loi du 17 juillet 1963, ce qui a limité pour l'avenir les effets du dispositif légal sur

les finances de l'État belge; si A.M. ne peut bénéficier de l'assurance soins de santé, le faible montant de la rente

complémentaire qu'il pourrait percevoir en vertu de l'article 20bis de la loi du 17 juillet 1963 pourrait être sans

commune mesure avec le montant éventuellement très important de frais de soins de santé qu'il pourrait devoir

exposer jusqu'à son décès; il peut être retenu qu'étant donné son âge, A.M. sera dans l'impossibilité de retrouver

un mécanisme assurantiel de même nature, lorsqu'il souhaitera ou devra s'arrêter de travailler.

La Cour du travail décide dès lors de poser la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit

-A-

A.1.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo allègue que la disposition en cause fait naître une

discrimination entre, d'une part, les Belges et les étrangers privilégiés qui sont affiliés à l'assurance soins de santé

du régime de sécurité sociale d'outre-mer et, d'autre part, les autres étrangers qui sont affiliés à cette assurance,

étant donné que seuls ceux-ci doivent avoir leur résidence habituelle et effective en Belgique afin de bénéficier de

l'assurance soins de santé.

A.1.2. La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que les situations des deux catégories de

...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT