Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-09-16
Jurisdiction | Bélgica |
Judgment Date | 16 septembre 2021 |
ECLI | ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210916.2 |
Link to Original Source | https://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210916.2 |
Court | Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage) |
Docket Number | 114/2021 |
Numéro du rôle : 7015
Arrêt n° 114/2021
du 16 septembre 2021
ARRÊT
________
En cause : le recours en annulation partielle de la loi du 7 mai 1999 « sur les jeux de hasard,
les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs », introduit par la
SA « Rocoluc ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J.-P. Moerman, T. Giet,
R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne et D. Pieters, et, conformément
à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président
émérite F. Daoût et de la juge émérite T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier
P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite F. Daoût,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 septembre 2018 et
parvenue au greffe le 2 octobre 2018, la SA « Rocoluc », assistée et représentée par
Me F. Tulkens et Me M. Vanderstraeten, avocats au barreau de Bruxelles, a, à la suite de l'arrêt
de la Cour n° 109/2018 du 19 juillet 2018 (publié au Moniteur belge du 5 septembre 2018),
introduit un recours en annulation partielle de la loi du 7 mai 1999 « sur les jeux de hasard, les
paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs ».
Le 23 octobre 2018, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier
1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs M. Pâques et E. Derycke ont informé
la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un
arrêt rendu sur procédure préliminaire.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Vlaemminck, Me R. Verbeke et
Me S. Mathieu, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire justificatif.
Par ordonnance du 16 mai 2019, la Cour a décidé de poursuivre l'examen de l'affaire
suivant la procédure ordinaire.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l'AISBL « European Gaming and Betting Association », assistée et représentée par
Me J. Roets et Me S. Sottiaux, avocats au barreau d'Anvers, et par Me P. Paepe, avocat au
barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Vlaemminck et Me R. Verbeke.
La partie requérante a introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 5 mai 2021, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
M. Pâques et Y. Kherbache, en remplacement du juge émérite E. Derycke, a décidé que l'affaire
était en état, qu'aucune audience ne serait tenue, à moins qu'une partie n'ait demandé, dans le
délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue,
et qu'en l'absence d'une telle demande, les débats seraient clos le 19 mai 2021 et l'affaire mise
en délibéré.
À la suite de la demande d'une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 19 mai
2021, a fixé l'audience au 16 juin 2021.
À l'audience publique du 16 juin 2021 :
- ont comparu :
. Me F. Tulkens, pour la partie requérante;
. Me J. Roets et Me P. Paepe, qui comparaissaient également loco Me S. Sottiaux, pour
l'AISBL « European Gaming and Betting Association » (partie intervenante);
. Me R. Verbeke, qui comparaissait également loco Me P. Vlaemminck, pour le Conseil
des ministres;
- les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à
l'emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité
A.1.1. Par application de l'article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle, la SA « Rocoluc » sollicite l'annulation de la loi du 7 mai 1999 « sur les jeux de hasard, les paris,
les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs » (ci-après : la loi du 7 mai 1999), jugée contraire
aux articles 10 et 11 de la Constitution par la Cour dans son arrêt n° 109/2018 du 19 juillet 2018.
La partie requérante, qui est également la partie requérante devant le Conseil d'État dans l'affaire n° 6885 à
l'origine de l'arrêt n° 109/2018, est une société anonyme active dans le domaine des jeux de hasard. Elle exploite
un établissement de jeux de hasard de classe II (salle de jeux automatiques) pour lequel elle dispose d'une licence
B, et elle détient une licence supplémentaire B+ pour exploiter des jeux de hasard de classe II en ligne. Elle a saisi
le Conseil d'État d'un recours en annulation contre la décision de la Commission des jeux de hasard par laquelle
celle-ci a octroyé à une société exploitant avec une licence A un établissement de jeux de hasard de classe I
(casino), une licence supplémentaire A+ pour l'offre de jeux de casino en ligne et une licence supplémentaire F1+
pour proposer des paris en ligne. C'est dans le cadre de ce recours qu'avait été posée la question préjudicielle ayant
donné lieu à l'arrêt n° 109/2018, précité.
La partie requérante justifie son intérêt à agir par le fait qu'elle est désavantagée par la concurrence déloyale
découlant de l'exploitation cumulée, via un même nom de domaine, de jeux de hasard et de paris correspondant à
des classes distinctes. Selon la partie requérante, cette exploitation cumulée permet aux titulaires de licences
concernés de bénéficier d'une visibilité accrue et de réaliser des économies d'échelle et des recettes importantes
issues du jeu et des bénéfices publicitaires, alors qu'une telle exploitation cumulée n'est pas possible dans le monde
réel.
A.1.2. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt à agir de la partie requérante au motif qu'il ressort d'un
arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 20 juin 2017 que l'offre combinée de paris et de jeux de casino sur les
sites web d'opérateurs de casino, qui agissent seuls ou en collaboration avec un partenaire, ne constitue pas une
pratique déloyale. Il estime que le cadre légal correct doit également être pris en compte pour examiner la
recevabilité du recours et que la Cour peut statuer dans un sens différent de celui de ses arrêts antérieurs. Selon le
Conseil des ministres, la circonstance que les établissements de jeux de hasard appartiennent au même secteur
économique et qu'ils sont susceptibles de partager une même clientèle ne démontre pas l'intérêt de la partie
requérante.
A.1.3. L'AISBL « European Gaming and Betting Association » expose qu'elle défend les intérêts collectifs
d'exploitants de jeux de hasard, paris et autres jeux semblables, qui offrent ces jeux dans le contexte du marché
européen unifié, notamment via les instruments de la société de l'information, et que parmi ses membres se
trouvent des détenteurs de licences octroyées par la Commission belge des jeux de hasard. Elle fait valoir qu'une
annulation de la loi du 7 mai 1999 dans la mesure de l'inconstitutionnalité constatée par l'arrêt n° 109/2018
empêcherait ses membres qui exploitent des jeux de hasard et des paris via les instruments de la société de
l'information d'exploiter des licences supplémentaires de classes distinctes via un même nom de domaine et les
URL associées, comme les y autorisent à l'heure actuelle les autorités belges.
Quant au fond
En ce qui concerne le moyen unique
A.2.1. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
La partie requérante critique le fait que la loi du 7 mai 1999 n'interdit pas le cumul de plusieurs licences
supplémentaires de classes distinctes pour l'exploitation de jeux de hasard et de paris, par un seul ou plusieurs
titulaires, via un seul et même nom de domaine et les URL associées, alors que, dans le monde réel, des jeux et
des paris de nature différente ne peuvent pas être proposés dans le même lieu physique.
Elle invite la Cour à déclarer le moyen fondé pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés en B.8.2 et
B.8.3 de l'arrêt n° 129/2017 du 9 novembre 2017 et en B.3 de l'arrêt n° 109/2018.
A.2.2. Le Conseil des ministres fait valoir que les arguments avancés dans le cadre de l'affaire ayant donné
lieu à l'arrêt n° 129/2017, qui concernait la situation distincte du cumul de licences par plusieurs titulaires, n'ont
pas été suffisamment développés. Il ajoute que, dans le cadre du recours en annulation présentement examiné, la
Cour n'est plus liée par l'interprétation du Conseil d'État qui a donné lieu à l'arrêt n° 109/2018 et qu'elle peut ne
pas annuler les dispositions déclarées inconstitutionnelles au contentieux préjudiciel.
Il indique que la décision de renvoi du Conseil d'État à l'origine de l'arrêt n° 109/2018 et le raisonnement
suivi par la Cour dans cet arrêt reposent sur une compréhension erronée du contexte juridique en cause.
A.2.3. La partie requérante soutient que le Conseil des ministres revient, sans apporter aucun élément
nouveau, sur des questions sur lesquelles la Cour s'est déjà prononcée. Elle ajoute que, statuant tant sur question
préjudicielle qu'en annulation, la Cour a eu la possibilité de s'écarter de l'interprétation retenue par le juge a quo
ou par la partie requérante et qu'elle s'est abstenue de le faire. Elle souligne que la Cour n'a pas formulé de réserve
quant à l'interdiction de cumul dans le monde réel mais bien quant à l'interprétation selon laquelle le cumul dans
le monde virtuel serait autorisé. Il n'y a pas lieu, selon la partie requérante, de s'écarter de la jurisprudence établie
dans un...
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