Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2020-02-20

JurisdictionBélgica
Judgment Date20 février 2020
ECLIECLI:BE:GHCC:2020:ARR.20200220.2,ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.20200220.4
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.20200220.2,https://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.20200220.4
Docket Number27/2020,29/2020
CourtVerfassungsgerichtshof (Schiedshof)

Numéro du rôle : 7023

Arrêt n° 27/2020
du 20 février 2020

ARRÊT
_________

En cause : le recours en annulation de la loi du 21 mars 2018 « modifiant la loi sur la
fonction de police, en vue de régler l’utilisation de caméras par les services de police, et
modifiant la loi du 21 mars 2007 réglant l’installation et l’utilisation de caméras de surveillance,
la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité et la loi du
2 octobre 2017 réglementant la sécurité privée et particulière », introduit par l’ASBL « Liga
voor Mensenrechten ».

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman,
T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du
greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen,

après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :

2

I. Objet du recours et procédure

Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 15 octobre 2018 et
parvenue au greffe le 16 octobre 2018, l’ASBL « Liga voor Mensenrechten », assistée et
représentée par Me D. Pattyn, avocat au barreau de Flandre occidentale, a introduit un recours
en annulation de la loi du 21 mars 2018 « modifiant la loi sur la fonction de police, en vue de
régler l’utilisation de caméras par les services de police, et modifiant la loi du 21 mars 2007
réglant l’installation et l’utilisation de caméras de surveillance, la loi du 30 novembre 1998
organique des services de renseignement et de sécurité et la loi du 2 octobre 2017 réglementant
la sécurité privée et particulière » (publiée au Moniteur belge du 16 avril 2018).

Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Sottiaux et Me E. Cloots, avocats
au barreau d’Anvers, et Me H. Graux et Me M. Van Der Sype, avocats au barreau de Bruxelles,
a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Conseil des
ministres a également introduit un mémoire en réplique.

Par ordonnance du 18 décembre 2019, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs
L. Lavrysen et J.-P. Moerman, en remplacement du juge honoraire J.-P. Snappe, a décidé que
l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé,
dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être
entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 janvier 2020 et
l’affaire mise en délibéré.

Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le
15 janvier 2020.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives
à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.

II. En droit

-A-

A.1. La partie requérante, l’ASBL « Liga voor Mensenrechten », demande l’annulation de la loi du 21 mars
2018 « modifiant la loi sur la fonction de police, en vue de régler l’utilisation de caméras par les services de police,
et modifiant la loi du 21 mars 2007 réglant l’installation et l’utilisation de caméras de surveillance, la loi du
30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité et la loi du 2 octobre 2017 réglementant
la sécurité privée et particulière » (ci-après : la loi du 21 mars 2018).
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Quant à la recevabilité

A.2. Le Conseil des ministres affirme que le recours de la partie requérante est en réalité dirigé contre
plusieurs dispositions spécifiques de la loi du 21 mars 2018. Il ressort de l’exposé des moyens que le premier
moyen vise les articles 6, 9, 11, 35, 60, 69, 70, 71, 75 et 80 de la loi du 21 mars 2018, alors que le second moyen
est dirigé contre les articles 6, 9, 12, 28, 35, 48, 49, 50, 60, 69, 70, 71, 75, 80, 84 et 85 de la loi. En ce qu’elle
demande l’annulation de l’ensemble de la loi du 21 mars 2018, la requête doit être rejetée pour cause
d’irrecevabilité.

Le Conseil des ministres soulève ensuite l’irrecevabilité partielle des moyens en ce que la partie requérante
invoque la violation directe d’articles de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne ainsi que de la loi du 30 juillet 2018 « relative à la protection des personnes
physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel », étant donné que la Cour n’est pas
compétente pour exercer un contrôle direct au regard de ces dispositions.

A.3. La partie requérante conteste l’exception d’irrecevabilité. Elle souligne qu’elle allègue, pour chaque
moyen et chaque branche, la violation des articles 10, 11 et 22 de la Constitution. La Cour peut prendre en compte
des dispositions de droit international qui garantissent des droits et libertés analogues. Lorsqu’est invoquée la
violation d’un droit fondamental, la Cour peut en outre exercer un contrôle au regard des articles 10 et 11 de la
Constitution. En effet, toute violation d’un droit fondamental emporte également la violation du principe d’égalité
et de non-discrimination.

La partie requérante ajoute qu’elle n’invite pas la Cour à contrôler directement la loi attaquée au regard de la
loi précitée du 30 juillet 2018, mais seulement au regard de cette loi lue en combinaison avec le droit de l’Union,
dont elle constitue l’exécution ou la transposition, et avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution.

A.4. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres persiste en ses griefs relatifs à l’irrecevabilité
partielle des moyens. Il ressort clairement de la requête que la partie requérante invoque directement la violation
de dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte, au lieu d’invoquer la violation
des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec d’autres dispositions de conventions
internationales et européennes. Qui plus est, la Cour ne peut exercer de contrôle au regard de la loi du 30 juillet
2018, puisqu’elle peut uniquement effectuer son contrôle au regard de dispositions législatives si et pour autant
que celles-ci contiennent des règles répartitrices de compétence.

Quant au premier moyen

A.5. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par les articles 6, 9, 11, 35, 60, 69, 70, 71,
75 et 80 de la loi du 21 mars 2018, des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8 et 52 de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne et avec les articles 4, 5, 6 et 7 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement
européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement
des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des
infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre
circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil » (ci-après : la
directive (UE) 2016/680). Le moyen porte sur les délais de conservation des informations et données à caractère
personnel enregistrées.

Selon la partie requérante, la loi du 21 mars 2018 constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie
privée, en ce qu’elle prévoit la possibilité de conserver durant douze mois les informations et les données à
caractère personnel collectées grâce aux caméras de police et la possibilité de conserver durant trois mois des
images enregistrées par des caméras de surveillance.
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Cette ingérence est disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis. En premier lieu, le délai de
conservation dans le cadre de l’utilisation des caméras de police porte de manière générale sur toutes les
informations et données à caractère personnel qui sont collectées par l’utilisation de caméras, alors que le délai de
conservation dans le cadre de l’utilisation ordinaire de caméras est différencié de manière limitée. Ensuite, la loi
du 21 mars 2018 ne contient pas de règles claires et précises, ni d’exigences minimales qui permettent de
déterminer le délai de conservation concret. Le Roi dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu pour les « lieux
qui, en raison de leur nature, sont sujets à un risque particulier pour la sécurité ». Enfin, la loi du 21 mars 2018
n’interdit aucun traitement dérivé ou indirect des données conservées par les autorités concernées, même après
l’expiration des délais de conservation et d’accès.

A.6. Selon le Conseil des ministres, l’utilisation normale des caméras de surveillance sur la voie publique
ou à des endroits accessibles au public ne constitue pas en soi une ingérence dans le droit au respect de la vie
privée, mais l’existence d’une ingérence doit être appréciée cas par cas par les juridictions compétentes. Il en va
d’autant plus ainsi s’il s’agit de caméras utilisées pour la reconnaissance des plaques d’immatriculation, au lieu
des caméras de surveillance ordinaires.

Si la loi du 21 mars 2018 constituait néanmoins une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, cette
ingérence est, à l’estime du Conseil des ministres, limitée. Les images et les informations susceptibles d’être
obtenues à la suite de l’utilisation de caméras ne sont en effet pas intrinsèquement privées. Lorsqu’une personne
se déplace sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, elle ne saurait avoir d’attentes raisonnables
en matière de respect de la vie privée. Il en est d’autant plus ainsi lorsque des caméras sont utilisées en vue de la
reconnaissance des plaques d’immatriculation. L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée est de ce fait,
selon le Conseil des ministres, d’un tout autre ordre que l’ingérence que la directive sur la conservation des données
constituait dans ce même droit.

En tout état de cause, l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée est objectivement justifiée. Elle est
prévue par une disposition législative suffisamment précise et...

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