Jugement/arrêt, Cour constitutionnelle (Cour d'arbitrage), 2021-06-17

JurisdictionBélgica
Judgment Date17 juin 2021
ECLIECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210617.6
Docket Number94/2021
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.20210617.6
CourtCour constitutionnelle (Cour d'arbitrage)

Numéro du rôle : 7498

Arrêt n° 94/2021

du 17 juin 2021

ARRÊT

________

En cause : la demande de suspension du décret de la Région wallonne du 1er octobre 2020

« modifiant le décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux,

en matière de taxes régionales wallonnes, en vue de la transposition de la

directive 2018/822/UE sur l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le

domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une

déclaration », introduite par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents F. Daoût et L. Lavrysen, et des juges T. Merckx-Van Goey,

P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et T. Detienne, assistée

du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la demande et procédure

Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 janvier 2021 et

parvenue au greffe le 20 janvier 2021, l'Ordre des barreaux francophones et germanophone,

assisté et représenté par Me S. Scarnà, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit une demande

de suspension du décret de la Région wallonne du 1er octobre 2020 « modifiant le décret du

6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux, en matière de taxes

régionales wallonnes, en vue de la transposition de la directive 2018/822/UE sur l'échange

automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs

transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration » (publié au Moniteur belge du 20 octobre

2020).

Par la même requête, la partie requérante demande également l'annulation du même décret.

Par ordonnance du 11 mars 2021, la Cour a fixé l'audience pour les débats sur la demande

de suspension au 31 mars 2021, après avoir invité les autorités visées à l'article 76, § 4, de la

loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 25 mars 2021 au plus

tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d'un mémoire, dont une copie serait

envoyée dans le même délai à la partie requérante.

Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me A. Hirsch et Me V. Delcuve,

avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.

À l'audience publique du 31 mars 2021 :

- ont comparu :

. Me S. Scarnà, pour la partie requérante;

. Me V. Delcuve et Me A. Biba, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement

wallon;

- le juge T. Giet, rapporteur en remplacement du juge-rapporteur J.-P. Moerman,

légitimement empêché, et la juge J. Moerman ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l'affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à

l'emploi des langues ont été appliquées.

II. En droit

-A-

Quant à l'objet de la demande de suspension et à l'incidence de l'arrêt de la Cour n° 45/2021 du 11 mars

2021

A.1.1. La partie requérante demande la suspension des articles 1er à 8 du décret de la Région wallonne du

1er octobre 2020 « modifiant le décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux,

en matière de taxes régionales wallonnes, en vue de la transposition de la directive 2018/822/UE sur l'échange

automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières

devant faire l'objet d'une déclaration » (ci-après : le décret du 1er octobre 2020). Elle observe que le décret du

1er octobre 2020 modifie le décret de la Région wallonne du 6 mai 1999 « relatif à l'établissement, au recouvrement

et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes » (ci-après : le décret du 6 mai 1999), en vue de transposer,

en ce qui concerne les taxes relevant de la compétence de la Région wallonne, la directive (UE) 2018/822 du

Conseil du 25 mai 2018 « modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et

obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet

d'une déclaration » (ci-après : la directive (UE) 2018/822).

A.1.2. Le Gouvernement wallon fait valoir que la demande de suspension est sans objet, eu égard à la

suspension partielle du décret du 1er octobre 2020 ordonnée par la Cour dans son arrêt n° 45/2021 du 11 mars

2021. Selon lui, il ressort de l'exposé des moyens et des développements consacrés au risque de préjudice grave

difficilement réparable que la demande de suspension concerne uniquement la situation des avocats. Selon lui

toujours, l'unique passage de la demande de suspension qui porte sur les justiciables vise indirectement les avocats,

dès lors qu'il concerne l'éventuelle incidence du décret du 1er octobre 2020 sur le lien de confiance entre les

justiciables et leurs avocats et sur le droit à un procès équitable. Selon le Gouvernement wallon, la demande de

suspension ne saurait donc conduire à une suspension du décret du 1er octobre 2020 plus étendue que celle qui a

été ordonnée par la Cour dans son arrêt n° 45/2021.

A.1.3. À l'audience, la partie requérante observe que les moyens qu'elle invoque sont similaires au septième

moyen soulevé dans l'affaire n° 7480, que la Cour a examiné dans son arrêt n° 45/2021. En outre, la partie

requérante souhaite qu'une question préjudicielle similaire à celle qui a été posée à la Cour de justice de l'Union

européenne par l'arrêt de la Cour n° 167/2020 du 17 décembre 2020 soit posée dans le cadre de la présente

procédure, afin que la partie requérante puisse avoir l'occasion de faire valoir ses arguments devant la Cour de

justice.

Quant à l'intérêt

A.2. La partie requérante fait valoir qu'elle a pour mission de défendre les intérêts des avocats et des

justiciables. Elle fonde son intérêt au recours sur trois éléments.

Premièrement, la partie requérante entend protéger les intérêts des justiciables. À cet égard, elle insiste sur

l'insécurité juridique résultant de l'imprécision de plusieurs notions relatives à l'obligation de déclaration des

dispositifs transfrontières potentiellement agressifs qui incombe aux intermédiaires ou aux contribuables. Elle

critique également la rétroactivité du décret du 1er octobre 2020. Elle observe en outre que le non-respect, par les

intermédiaires ou par les contribuables, des obligations prévues par le décret du 1er octobre 2020 est sanctionné

par de lourdes amendes administratives, qui sont de nature pénale. Elle ajoute que les intermédiaires s'exposent

également à des sanctions déontologiques et qu'ils risquent d'engager leur responsabilité civile.

Deuxièmement, la partie requérante entend protéger l'exercice de la profession d'avocat. Elle met en

évidence le dilemme suivant : d'une part, si un avocat-intermédiaire déclare un dispositif qui n'aurait pas dû faire

l'objet d'une déclaration, il s'expose à des sanctions pénales, à des sanctions déontologiques et à des actions

civiles, et, d'autre part, si un avocat-intermédiaire méconnaît les obligations de déclaration imposées par le décret

du 1er octobre 2020, il s'expose à des sanctions administratives de nature pénale. Elle souligne que les avocats qui

ne souhaitent pas courir ces risques doivent donc s'abstenir de donner des conseils juridiques dès qu'il existe un

aspect d'extranéité et un soupçon de présence d'un marqueur pouvant faire naître l'obligation de déclaration d'un

dispositif transfrontière. Selon elle, il en résulte une entrave disproportionnée à la liberté des avocats d'organiser

leur profession et de donner des conseils juridiques de façon indépendante.

Troisièmement, la partie requérante entend protéger le secret professionnel de l'avocat. Elle rappelle tout

d'abord que le secret professionnel de l'avocat est un principe général qui participe au respect des droits

fondamentaux et qu'il constitue un des piliers de l'État de droit démocratique. À cet égard, elle se réfère notamment

à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de justice de l'Union européenne et

de la Cour de cassation, ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour, notamment à l'arrêt n° 167/2020 du 17 décembre

2020. Elle souligne que les avocats donnent habituellement à leurs clients des conseils juridiques qui sont à la fois

protégés par le secret professionnel et soumis au champ d'application de l'obligation de déclaration imposée par

le décret du 1er octobre 2020. Elle souligne que, d'une part, les avocats qui se soumettent aux obligations de

déclaration imposées par le décret du 1er octobre 2020 en violant le secret professionnel s'exposent à des sanctions

disciplinaires et que, d'autre part, les avocats qui méconnaissent les obligations de déclaration imposées par le

décret du 1er octobre 2020 s'exposent à de lourdes amendes administratives. Elle en conclut que les avocats se

trouvent dès lors dans l'impossibilité d'exercer leur profession en toute indépendance.

Quant au sérieux des moyens

En ce qui concerne le premier moyen

A.3. La partie requérante prend un premier moyen de la violation, par le décret du 1er octobre 2020, des

articles 12, 14 et 190 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 7 de la Convention européenne des droits

de l'homme, avec l'article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec les principes

fondamentaux de la sécurité juridique et de la non-rétroactivité des lois.

Tout d'abord, la partie requérante observe que le non-respect des obligations imposées par le décret du 1er octobre

2020 est sanctionné par des amendes administratives de 2 500 à 25 000 euros et, en cas d'intention frauduleuse ou de

dessein de nuire, de 5 000 à 50 000 euros. Se référant à la jurisprudence de la Cour et à celle de la Cour européenne

des droits de l'homme, elle affirme que ces amendes...

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