Jugement/arrêt, Cour de Cassation de Belgique, 2021-10-25

Judgment Date25 octobre 2021
ECLIECLI:BE:CASS:2021:ARR.20211025.3F.2
Link to Original Sourcehttps://juportal.be/content/ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20211025.3F.2
CourtCour de Cassation de Belgique
Docket NumberC.20.0422.F

N° C.20.0422.F
1. J. B.,
2. G. D.,
3. G. L.,
agissant en qualité de curateurs à la faillite de la société anonyme Forges de Clabecq,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 6 mars 2020 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 17 août 2021, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 17 août 2021, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 17 – alinéa unique avant la modification de cet article par l’article 137 de la loi du 21 décembre 2018 portant des dispositions diverses en matière de justice, alinéa 1er après cette modification –, 744, alinéa 1er, 780, alinéa 1er, 3°, et 1042 du Code judiciaire ;
- en tant que de besoin, notion légale d’intérêt légitime à agir.
Décision et motifs critiqués
Saisi de l’appel principal des demandeurs contre le jugement entrepris, qui avait en substance dit pour droit que le défendeur, après mise en œuvre des garanties qu’il avait originairement émises en faveur de la banque S.N.C.I. pour des prêt octroyés par celle-ci à la société Forges de Clabecq, est désormais seul titulaire de la créance initialement admise par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 19 octobre 2012 au passif privilégié de cette société au profit de la société anonyme BNP Paribas Fortis, l’arrêt attaqué, après avoir jugé les appels principaux et incidents recevables, juge l’action originaire du défendeur recevable par les motifs suivants :
« 3. La demande [du défendeur] est recevable
9. Les [demandeurs] soutiennent que, ‘puisque les arrêtés royaux et ministériels rendant possibles les garanties sont manifestement illégaux, que les garanties sont elles-mêmes illégales à l'égard du droit européen et que [le défendeur] entend uniquement profiter des effets de ces actes illégaux, il y a lieu de constater que la demande [du défendeur] est irrecevable’ à défaut d'intérêt légitime ;
10. En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former ;
L'intérêt à agir désigne ‘tout avantage matériel ou moral – effectif mais non théorique – que le demandeur peut retirer de la demande qu'il intente au moment où il la forme, dussent la reconnaissance du droit, l'analyse ou la gravité du dommage n'être établis qu'à la prononciation du jugement’ (Rapport Van Reepinghen, Doc. parl., Sénat, sess. ord. 1963-1964, n° 60, p. 23). L'intérêt se confond ainsi largement ‘avec l'objet de la demande, entendu comme « ce qui est réclamé par le demandeur ; c'est le résultat économique, social ou moral qui est recherché et que l'on demande au juge de consacrer dans sa décision », indépendamment de toute qualification juridique’ (R. Jafferali, ‘L'intérêt légitime à agir en réparation – Une exigence... illégitime ?’, J.T., 2012, pp. 253 et s., n° 43) ;
Un demandeur n'a pas d'intérêt légitime si l'objet de sa demande, c'est-à-dire le résultat matériel, moral ou psychologique qu'il espère obtenir au moyen de la procédure, tend à maintenir une situation contraire à l'ordre public ou à obtenir un avantage illicite (Cass., 8 mars 2018, C.17.0390.N ; 10 octobre 2013, C.12.0274.N ; 14 décembre 2012, C.12.0232.N, et 20 février 2009, Pas., n° 142) ;
11. Tel n'est pas le cas en l'espèce. La demande [du demandeur] ne tend pas au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à un avantage illicite ; elle tend à ce qu’il soit reconnu comme le désormais seul titulaire d'une créance qui a été précédemment admise par une décision judiciaire ;
La fin de non-recevoir ne peut être suivie ».
Griefs
L’article 17 du Code judiciaire visé au moyen dispose que l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former.
En vertu de cette disposition, l’action ne peut être admise que si le demandeur a un intérêt légitime pour la former.
L’intérêt légitime est d’ordre processuel et, dans une certaine mesure, substantiel.
L’intérêt légitime d’ordre processuel présuppose l’existence d’un intérêt sérieux empêchant qu’une partie agisse par esprit de chicane et ne fasse un usage abusif de l’action en justice.
Mais l’intérêt légitime doit aussi s’apprécier en fonction de l’objet de la demande, c’est-à-dire du résultat recherché. En ce sens, l’intérêt est, au regard du droit subjectif substantiel, illégitime – et la demande mue par cet intérêt est irrecevable – lorsque la demande en justice tend au maintien d’une situation illicite ou à l’obtention d’un avantage illicite.
Devant la cour d’appel, les demandeurs soutenaient que les garanties du défendeur pour les prêts consentis par la banque S.N.C.I. à la société Forges de Clabecq, qui étaient le fondement ultime par lequel le défendeur avait fini par prétendre venir aux droits de ladite banque, étaient nulles. C’était l’objet de leur premier moyen intitulé « Premier moyen (à titre principal) : les garanties [du demandeur] sont illégales, tant à l’égard du droit belge que du droit européen, et absolument nulles ».
Dans un deuxième moyen – intitulé « La demande originaire et l’appel incident [du défendeur] sont irrecevables à défaut d’intérêt légitime » –, les demandeurs prolongeaient la réflexion commencée dans le premier moyen : puisque les garanties litigieuses étaient nulles en raison d’une cause illicite, ce qui constituait une contrariété à l’ordre public, l’action originaire du défendeur était irrecevable à défaut d’intérêt légitime.
L’arrêt attaqué, statuant sur le fond de la demande du défendeur, c’est-à-dire bien en aval de la question de la recevabilité, déclare explicitement ne pas vouloir entrer dans l’examen de la licéité ou de la conformité à l’ordre public des garanties litigieuses émises par le défendeur : « À défaut de justifier d'un intérêt, les [demandeurs] — qu'ils soient représentants du failli ou des créanciers de la masse — ne peuvent dès lors invoquer la nullité de la convention du 15 décembre 2015 pour contrariété à l'ordre public. Il est par conséquent inutile d'entrer dans l'examen de la prétendue cause illicite et de l'excès de pouvoir allégués ou encore dans celui de l'illégalité invoquée des garanties accordées par [le défendeur] (premier moyen des [demandeurs]), du montant des paiements invoqués par [le défendeur], de la réalité d'une demande de paiement par la banque, ou encore de la succession des communautés et régions aux droits et obligations de l'État fédéral, à supposer que tout ou partie de ces questions touchent l'ordre public ».
La cour d’appel a cependant perdu de vue que cette question se posait aussi au niveau de la recevabilité de la demande.
En statuant sur cette recevabilité, l’arrêt attaqué relève d’abord que « [les demandeurs] soutiennent que, ‘puisque les arrêtés royaux et ministériels rendant possible les garanties sont manifestement illégaux, que les garanties sont elles-mêmes illégales à l'égard du droit européen et que [le défendeur] entend uniquement profiter des effets de ces actes illégaux, il y a lieu de constater que la demande [du défendeur] est irrecevable’ à défaut d'intérêt légitime ».
Il donne ensuite sa définition de la notion légale d’intérêt pour en déduire qu’« [u]n demandeur n'a pas d'intérêt légitime si l'objet de sa demande, c'est-à-dire le résultat matériel, moral ou psychologique qu'il espère obtenir au moyen de la procédure, tend à maintenir une situation contraire à l'ordre public ou à obtenir un avantage illicite ».
Après tous ces rappels, l’arrêt attaqué énonce enfin de façon lapidaire : « Tel n'est pas le cas en l'espèce. La demande [du défendeur] ne tend pas au maintien d'une situation contraire à l'ordre public ou à un avantage illicite ; elle tend à ce qu’il soit reconnu comme le désormais seul titulaire d'une créance qui a été précédemment admise par une décision judiciaire ».
Or, ainsi qu’il a été vu, l’arrêt attaqué refuse expressément d’examiner la question de la licéité et de la contrariété à l’ordre public. Certes, il exprime ce refus dans le cadre du premier moyen soulevé par les défendeurs. Mais, à supposer que ce refus soit fondé dans le cadre dudit premier moyen, la cour d’appel ne pouvait cependant faire l’économie de cet examen dans le cadre du deuxième moyen. Celui-ci ne tendait pas à invoquer au fond une quelconque nullité mais arguait simplement que, par son action, le défendeur « entend uniquement profiter des effets de ces actes illégaux », de sorte que « la demande [du défendeur] est irrecevable ».
Première branche
En vertu de l’article 149 de la Constitution, tout jugement – et donc tout arrêt – doit être motivé.
L’article 780, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire, applicable en degré d’appel en vertu de l’article 1042 du même code, précise que le jugement (et donc l’arrêt) contient, à peine de nullité, outre les motifs et le dispositif, l'objet de la demande et la réponse aux moyens des parties exposés conformément à l'article 744, alinéa 1er, dont le 3° précise que les conclusions contiennent les moyens invoqués à l'appui de la demande ou de la défense, le cas échéant en numérotant les différents moyens et en indiquant leur caractère principal ou subsidiaire.
Il en résulte qu’en décidant de...

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